La mission de l'Aide de camp du Président de la République

28/06/2020 - 9 min. de lecture

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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Quelle est la mission de l'Aide de camp du Président de la République ?

 

 

C'est la première question que je posai à mon prédécesseur en arrivant à l’Elysée.

La réponse me surprit quelque peu. Elle figurait déjà dans une belle page écrite sous la monarchie : « Il faut qu'un bon aide de camp soit posé, qu'il ait de l'esprit, de la valeur et du sang froid ; qu'il écoute avec attention ce qu'on lui ordonne, qu'il l'exécute exactement, et qu'il se fasse bien expliquer toutes choses, afin de les rendre clairement et intelligiblement. Il doit se donner tous les mouvements possibles pour avertir le Général auprès duquel il est, de toutes choses, et pour cet effet ne jamais épargner ses peines. Il faut, pour exercer cet emploi avec succès, être jeune de corps et vieux d'esprit. »

Auprès du Président de la Vème République en 1988, l'aide de camp avait une double responsabilité : il était d’abord et surtout le « maillon militaire de la liaison nucléaire » au plus près du Président, décideur ultime du feu. C’était là sa fonction majeure auprès du Chef des Armées.

Il était aussi celui qui accompagnait le PR pour toutes les cérémonies protocolaires organisées à l’Élysée, comme les remises de décorations, les réceptions d’Etat, les vœux. Il participait à l’organisation des déplacements du PR en dehors de l’Elysée en France et à l’étranger pour lesquels il l’accompagnait par la suite. A cette époque, le PR participait en moyenne à un événement parisien tous les deux jours, une visite en province toutes les deux semaines et un déplacement à l’étranger tous les mois sans compter les sommets Internationaux, rencontres bilatérales ou voyages officiels…

Ces déplacements avaient toujours une finalité politique (soit de politique intérieure ou internationale). Le programme en découlait. Il devait intégrer à la fois les obligations protocolaires notamment à l’étranger comme des cérémonies dans des lieux historiques, des diners officiels avec discours en préliminaire, des rencontres avec les Présidents et les personnalités politiques locales en place. Rencontres avec d’autres aussi comme les autorités religieuses catholiques dans les pays de l’Est avant la chute du mur, considérées par le pouvoir en place comme des dirigeants de sectes. L’opposition n’était pas oubliée ainsi que les dissidents. L’organisation de ces rencontres nécessitait beaucoup de doigté et de diplomatie.  Des temps de repos selon l’état de santé du PR étaient prévus ainsi que des temps libres essentiellement culturels et privés, c’est-à-dire du « privé dans l’officiel ». La sécurité était très présente ainsi que le confort matériel du PR et de la délégation pour pallier les fatigues dues à des décalages horaires ou des changements climatiques importants. Un exercice d’équilibre difficile pour ne pas trop subir les exigences du pays d’accueil et garder sa liberté d’action. Le Préfet ou l’ambassadeur était d’une aide précieuse. En outre, à l’étranger, les militaires de la Maison présidentielle étaient bien souvent en charge de l’organisation des voyages officiels dans leur pays. Le militaire, aide de camp français, devenait immédiatement l’interlocuteur privilégié.

L’aide de camp qui avait reçu des orientations du PR directement ou indirectement et du médecin personnel du Président veillait avec le Chef de Cabinet ou le Chef du Protocole à cet équilibre, d’autant qu’il aurait à en rendre compte lors du déplacement ou au retour. 

Les  voyages préparatoires  des déplacements officiels, les «  préparatoires » comme il était d’usage de les appeler à l’Elysée,  concernaient les principaux représentants des services actifs lors des déplacements présidentiels : les VO (voyages officiels), le  GSPR (Groupe de sécurité de la Présidence de la République), le  service de presse pour l’organisation matérielle de la vie des membres de la presse accréditée pour le voyage, ceux en charge de l' « image du Président », des transmissions gouvernementales, du service de santé des armées en charge de la santé du PR et de la délégation. Il était arrivé de transporter un demi-hôpital de campagne militaire lorsque le déplacement avait lieu dans des pays sous dimensionnés en soutien santé. Quand le voyage était de longue durée, un représentant du service de l'intendance était présent. Toute cette équipe, qui à l'usage se connaissait parfaitement, effectuait les repérages, si possible dans les mêmes conditions que le voyage officiel, afin de reconnaître les lieux et mettre en œuvre tout ce qui serait indispensable pour la réussite du déplacement.

Lors du voyage officiel, l'aide de camp était toujours en première ligne auprès du PR pour lui  donner les détails du programme de la journée ou du lendemain, recevoir des directives complémentaires, s’assurer du texte du discours qui serait prononcé, indiquer la tenue à revêtir pour telle ou telle cérémonie, préciser le cérémonial, notamment militaire, proposer des listes d’invités pour des diners privés ou dans la salle à manger de l’avion présidentiel (places très convoitées), assurer la liaison avec les personnes de la délégation que le PR souhaitait voir, filtrer ceux, insistants, qu’il ne voulait pas voir, communiquer les informations venant de Paris et assurer la liaison avec le Secrétaire Général resté à l’Elysée ou le CEMP s’il n’était pas du déplacement et enfin organiser en toute discrétion les « escapades impromptues » du PR au moment où l’on s'y attendait le moins. Dans ces circonstances, le PR estimait qu’il facilitait le travail de la sécurité vis-à-vis de personnes mal intentionnées car quelques minutes avant d’exprimer ses désirs « lui-même ne savait pas où il souhaitait aller » ! Son regard malicieux n’échappait pas aux gendarmes du GSPR qui une fois de plus se trouvaient sur la corde raide souvent à l’étranger, à des milliers de kilomètres de Paris.

L'aide de camp était la mémoire, les yeux et les oreilles du Président et, bien souvent, des autres. Quand le programme devait être modifié ou une mauvaise nouvelle à annoncer, c'était lui qui en avait la charge.

Voilà donc, dans les grandes lignes, le rôle que j’étais appelé à assumer.

Comme entrée en matière, le jour de mon arrivée une surprise m’attendait.

Alors que mon apprentissage avait à peine commencé, je me retrouvais installé comme observateur dans l’hélicoptère présidentiel pour préparer un déplacement en province.  Ceux de l’Elysée qui participaient également au voyage ayant le sens de l'accueil, je fus installé sur le « siège du Président » et pris en photo. Quel honneur mais aussi quel clin d’œil pour la suite !

Dès le lendemain, mon prédécesseur me passait les consignes. La première se résumait en un seul mot : pas de panique ! Nous avions un mois pour nous préparer ; il s'agissait donc d'absorber le maximum de connaissances pour se trouver dans les meilleures conditions pour débuter.

D'abord, quelques détails qui rendaient la vie plus facile : le PR était toujours en retard de dix minutes environ. En fait, il savait que les horaires étaient définis de façon large. Comme il n'aimait pas attendre (un Président devait-il attendre ?), il préférait prendre un léger retard pour arriver quand tout était prêt. Quand on le taquinait sur ce sujet il avait l’habitude de répondre que cela « arrangeait les retardataires » !

Ensuite, il n'aimait pas le côté « brute galonnée » que le militaire qui l'accompagnait aurait pu avoir. Il s'agissait d'être présent pas pesant, toujours à sa place, compétent dans sa spécialité, exclusivement. On n'occupait pas un poste politique. Il ne s'agissait donc pas de se fourvoyer dans une voie qui n'était pas celle pour laquelle on avait été désigné. Tout écart serait signifié. C'était bien souvent l'entourage du Président qui précisait les limites, chacun étant particulièrement jaloux de son pré carré.

Enfin, le PR aimait bien que les activités soient organisées sans trop de luxe apparent et, si possible, sans trop de pompe, mais en respectant un certain confort et surtout sans oublier qu'il était le Président de la République ! Cette dernière consigne était la plus difficile à appliquer car elle ne manquait pas de subtilité, chacun ayant par ailleurs une conception tout à fait personnelle de l'éclat à donner aux choses quand il s'agissait du Président. En fait, la suite m‘a montré rapidement que, dès qu'il s'agissait du premier personnage de l'État, tout commençait PETIT et se terminait GRAND. On commençait la programmation par un voyage restreint en Falcon 900 et on finissait dans un Concorde et autre Airbus avec plus de deux cents personnes, presse comprise !

Les autres consignes, plus délicates, étaient passées en dehors des oreilles indiscrètes très nombreuses à l’Elysée. Chacun était à l’affût des potins, voire des ragots surtout sur la vie privée du PR, pour se positionner au plus près de lui et pour certains obtenir ainsi quelques faveurs ultérieurement. C'est sûrement cela le phénomène de cour.

Pour ne pas se trouver dans des situations embarrassantes, il s'agissait de connaître les rapports privilégiés qui liaient chacun des membres de l’Elysée au PR : tel conseiller ou secrétaire pouvait être l'enfant d'un de ses très bons amis, un ou une fidèle du parcours politique du PR, une personne qu’il avait bien connue ou qui lui avait été chaudement recommandée par un excellent ami. Il y avait les amis, ceux qui avaient leurs entrées et qu'il fallait aborder avec précaution ainsi que ceux qui vivaient à proximité immédiate du PR et qui étaient intouchables, ou qui s'imaginaient l'être.

Enfin, il y avait la vie privée du Président. C’était le sujet tabou dont on ne parlait jamais…alors que tout le monde savait ou croyait savoir. L’aide de camp, même s’il n’était pas présent, assurait toujours sa responsabilité. Lors de sa vie privée le PR, quoi qu’il fasse, restait toujours le Président de la République, chef des Armées. Il ne fallait pas l’oublier.

Les consignes étaient passées au fil des jours, détail après détail, ce qui rendait l'opération un peu fastidieuse. Mais on ne pouvait pas en échapper !

Enfin, le jour tant attendu arriva. Le vendredi 17 juin 1988, à 10h30, j’étais présenté au PR. Je patientais quelques instants dans l'antichambre, sur le palier du premier étage, parcourant des yeux ces lieux qui m’étaient encore inconnus mais qui ne tarderaient pas à devenir familiers. De nombreux visages passaient sur lesquels j’essayais de mettre un nom… sans grand succès d'ailleurs.

Un huissier m’introduisit dans le « bureau doré », bureau du Président qu’occupait aussi le général de Gaulle. Assis dans son fauteuil le PR se leva, vint à ma rencontre et m’accueillit très aimablement. Il me pria de m’asseoir. Il m’adressa alors quelques mots très courtois de bienvenue et me fit comprendre que, si le travail pouvait parfois paraître un peu ingrat pour des officiers supérieurs, il serait surtout extrêmement enrichissant pour moi qui serait un observateur d'événements majeurs voire historiques surtout internationaux. Il insista ensuite sur l’extrême disponibilité que nécessitait la fonction ainsi que sur la qualité de discrétion dont il fallait faire preuve en toute circonstance. J’évoquais rapidement mon parcours et l'entretien se termina. Le Président me raccompagna jusqu'à la porte, me serra la main et je sortis.

Voilà, j’avais enfin rencontré celui pour lequel j’allais travailler pendant trois ans et qui serait l'objet de toute mon attention, 24 heures sur 24 !

Ma famille supportera avec une certaine abnégation cette période pendant laquelle je n’ai pas été souvent près d’elle.

 

Général Jean-Pierre Meyer

28/06/2020

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