Anticiper aide à agir, pour ne pas subir

21/04/2022 - 4 min. de lecture

Anticiper aide à agir, pour ne pas subir - Cercle K2

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Cette tribune est co-rédigée par Michel Tsimaratos est Professeur de Médecine et Alexandre Lanzalavi dans le cadre des travaux du M DO TANK. Du Think au Do, le M DO TANK est un cercle indépendant de réflexions opérationnelles, de propositions et d’expérimentations consacré à la création d’un soft-power territorial.

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Le déficit d’information stratégique et les crises des deux dernières années ont mis en lumière l’importance de l’anticipation et l’utilité de la communication d’influence. L’information est une pièce à deux faces, renforcer la connaissance, c’est aussi gérer l’ignorance. La guerre de l’information est une réalité, l’affronter exige une bonne maîtrise des sciences humaines.

L’actualité de ces deux dernières années a été dominée par deux crises majeures : la pandémie liée au Sars-Cov-2 fin 2019, qui a déstabilisé les systèmes de santé au point de générer une crise sanitaire mondialisée, et un conflit armé entre l’Ukraine et la Russie aux portes de l’Europe. Le caractère inattendu, surprenant, de ces crises, a justifié la recherche de solutions innovantes, parfois disruptives, mais souvent prises avec un sentiment de précipitation. Dans le grand public, la précipitation a favorisé la montée en puissance du doute, du complotisme et des infox. La conjonction de la surprise et du doute a révélé un intérêt soudain pour l’information stratégique, un domaine négligé durant les dernières décennies. Depuis deux ans, de très nombreuses tribunes, et autant d’articles et d’analyses s’intéressent à la guerre économique, la géopolitique, la dépendance énergétique, et le déficit de souveraineté et d’influence de la France (et de l’Europe). Alors, est-il encore possible de faire un pas de côté pour tirer des enseignements de nos lignes de conduite, de nos approches systémiques, de nos choix stratégiques ?

 

Changer d’état d’esprit

Depuis la fin des années 50, le soft power anglo-saxon infuse son idéologie et transforme les organisations européennes. New public management, révision générale des politiques publiques, économie de marché, délocalisation des appareils productifs et fusion-acquisition de grandes entreprises française et européennes, le monde de l’entreprise a adopté le langage et adapté ses valeurs. Le storytelling de la consommation comme rempart à la sauvagerie des conflits armés, à la cruauté des combats et aux souffrances de populations sur les terres européennes a été efficace. La naïveté, l’ignorance mais parfois aussi la cupidité ont façonné notre consentement au modèle. Pour consommer beaucoup, il faut produire moins cher, souvent ailleurs, sans toujours se soucier des coûts sociaux, environnementaux ou politiques. La réalité actuelle est violente et notre capacité à consommer ne nous protège pas. Avec les crises, le constat est sans appel. Tous les dirigeants reconnaissent avec contrition la perte de souveraineté dans de nombreux secteurs stratégiques. Une contrition assumée. L’absence d’anticipation et la manque de lucidité ont alimenté la dépendance.  

 

Vision à long terme et anticipation 

Avec la prise de conscience, les patrons cherchent l’élan du sursaut pour "retrouver son leadership face aux États-Unis et à la Chine[1]". Une forme d’incantation, lorsqu’au même moment, au même endroit, on dresse la table[2] pour l’affrontement dans "… la guerre géoéconomique que se livrent les États-Unis et l'Empire du Milieu, et, à travers eux, les fleurons du numérique[3]". 

Faire preuve d’anticipation et de vision est bien plus efficace sur le long terme[4].  Anticiper, c’est d’abord maitriser l’information utile. Utile pour vendre bien sûr[QN1], mais surtout pour imposer ses propres règles, maîtriser les jeux d’influence et décider sans subir. Le décryptage du monde qui nous entoure permet de prendre de la hauteur et préparer les esprits aux risques et aux tensions de demain. Proposer une autre vision du monde, c’est donner du sens à l'action. Agir en regardant loin pour devenir simultanément "acteur" et "partie prenante". 

Tout est déjà décrit, le chemin est clairement défini et il n’y a rien à inventer. Il suffit d’observer et d’apprendre. Les États-Unis, à l’aide d’un arsenal juridique savamment étudié pour s’adapter aux contraintes du commerce international, ont réussi à amener leurs cibles sur le terrain qu’ils ont eux-même défini[5]. Si l’on tire les leçons de nos erreurs, la priorité est d’alimenter le débat d’idées, les règles de fonctionnement et les normes en faveur de nos intérêts. L’enjeu est d’apporter une plus-value aux informations. La décision est toujours renforcée par une information pertinente, séduisante et argumentée. 

 

L’information est une pièce à deux faces

La gestion de la connaissance a aussi sa face sombre, moins brillante, plus sournoise. Générer de l’ignorance, c’est inciter le plus grand nombre à se contenter d’informations superficielles pour la satiété intellectuelle. Maîtriser la désinformation et les fakesnews est une stratégie de soumission pour confiner l’esprit critique. Lorsque la soumission se nourrit de consommation, l’ignorance devient son promoteur. Les influenceurs deviennent les apôtres de l’infobésité, décideurs de l’ignorance. Dans la transmission ininterrompue de l’information, l’augmentation exponentielle de la masse de données finit par rendre aveugle à l’essentiel. La fuite en avant est la solution de facilité. Elle repose sur l’acceptation du flot continu de données vides de sens. 

 

Anticiper et contribuer à faire "renaitre le sens"

Quelle grille de lecture philosophique, économique et géopolitique allons-nous mobiliser pour réagir ? Une vision large, sous le prisme de la culture générale et des sciences humaines, aide l’analyse et permet de mieux appréhender l’adversaire. L’adversaire qui a pris le visage d’un volume gigantesque de données inutiles[6].

Michel Tsimaratos & Alexandre Lanzalavi

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[1] https://www.linkedin.com/posts/union-pour-les-entreprises-des-bouches-du-rh%C3%B4ne---upe-13_club100-activity-6913166034040446976-jFUf/?utm_source=linkedin_share&utm_medium=ios_app

[2] https://www.linkedin.com/posts/jean-yves-baeteman-2a8425134_le-saviez-vous-marseille-est-en-train-activity-6910619076021129216-pQpM/?utm_source=linkedin_share&utm_medium=member_desktop_web

[3] https://portail-ie.fr/analysis/2581/jdr-les-cables-sous-marins-a-laube-du-siecle-numerique-une-guerre-geoeconomique?fbclid=IwAR0ampTQUSuv7yzFLB7OmbzGgQ3SNEAZu6GZDxDzDcOgvHne5FXcapEx5RE

[4] https://lvsl.fr/comment-la-france-perd-la-guerre-economique/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter_Derniers_Articles&utm_medium=email

[5] De grands fleurons industriels européens - Siemens, Alstom, Total, Volkswagen, etc. - ont ainsi eu affaire à la justice américaine.

[6] https://www.fauves-editions.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=68958

21/04/2022

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