Back to USSR 

12/04/2022 - 7 min. de lecture

Back to USSR  - Cercle K2

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Christian Sommade est Délégué général du Haut comité français pour la résilience nationale.

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Back to USSR 

Ou quand la défense territoriale et civile des années 80 se réinvite dans le concept de défense et de sécurité nationale, voire dans la stratégie de résilience nationale.

 

Le Haut Comité Français pour la Défense Civile[1] est né en 1982, dans le contexte de la guerre froide et de la crise des euromissiles, de 2 grandes idées : d’abord le nucléaire ne dissuade que du nucléaire, ensuite pour résister à une invasion terrestre une armée de métier ne suffit pas, il faut une défense territoriale et civile digne de ce nom. L’Ukraine nous démontre très clairement la validité de cette constatation 40 ans après.  

Les peuples ne veulent plus de guerre

Hors des territoires de l’OTAN, aucun pays européen n’est prêt à aller faire la guerre à la Russie ou à toute autre puissance nucléaire (la Chine - ou d’autres -...) pour soutenir un état voisin de cette puissance qui serait attaqué par cette dernière. Car le fait nucléaire a bouleversé depuis les années 50 les rapports de puissance entre états « nucléaire ». Les sanctions économiques ne peuvent dissuader que partiellement un état lorsque la géopolitique et l’histoire sont vues par le prisme nationaliste, la Russie le démontre. On peut d’ailleurs se poser la question de l’intervention en général, même en dehors du fait nucléaire, avec les défaites répétées de l’Occident ou de la Russie depuis 50 ans sur bon nombre de théâtres d’opérations (Vietnam, Afghanistan, Irak, Syrie...). La guerre au terrorisme oui (et encore), mais aux peuples non - en tout cas en Occident. Malheureusement ailleurs rien n’est garanti, notamment face aux bouleversements climatiques déjà en cours et dont on peut craindre un paroxysme prévu au milieu de notre siècle.

Si tu veux la Paix, prépare la Guerre

La deuxième constatation est que pour résister à une invasion, la composante défensive et territoriale est majeure. Des « réservistes » entrainés et équipés d’armes défensives modernes : drones, communications cryptées, missiles anti-chars, snipers, avec des munitions… dans des terrains équipés d’abris durcis sont aussi largement efficaces que des blindés et des chars face à une invasion terrestre. Quand on connaît parfaitement son « terrain » et que l’on veut le défendre, on est efficace. Là aussi, l’Ukraine en fait la démonstration depuis 40 jours.

Si à cela vous ajoutez une défense civile efficace (stocks et abritement) et une population « patriote », vous changez la donne stratégique vis à vis d’un agresseur. Le prix à payer d’une invasion devient trop lourd. C’est une dissuasion d’aussi haut niveau que le fait nucléaire, car c’est une dissuasion « absolue ou ultime » dans le sens où le chantage « nucléaire » de l’adversaire n’est plus de mise, ce n’est plus le pari d’un homme, le président : appuiera-t-il ou pas sur le bouton ? C’est le pari de la nation, une nation organisée et impliquée pour faire face à tous les scénarios d’attaque.

Ces constats ont été faits par le Général Etienne Copel, en 1984 dans son livre « Vaincre la Guerre », ils se sont révéler prémonitoires, mais surtout exacts à la lumière des faits constatés, et ils doivent interroger les politiques et les citoyens sur le modèle de défense que nous devons adopter pour demain. 

Certains veulent adapter notre modèle d’armée à la haute intensité, c’est une louable intention avec un effort militaire à 3% du PIB pour une armée de métier, et probablement toujours rien ou si peu pour la défense civile et territoriale. Les avions, les blindés, le cyber, les chars et les munitions consommant avec 50 000 hommes en plus probablement tout le budget supplémentaire de ces 1% … si celui-ci était adopté.

Je pense que c’est un leurre. Une armée de métier, même plus puissante, sera toujours insuffisante pour une guerre absolue à tout niveau. Cette armée fera une guerre « militaire » face à un ennemi qui lui, ne sera plus à 100 % militaire, dans les conflits à venir. Sans compter que notre dissuasion nucléaire pourrait être détournée, soit pacifiquement par glissement de politique interne, soit par de nouvelles technologies, si nous n’y prenons garde. Elle peut être aussi tout simplement contournée par une attaque nucléaire « terroriste » difficilement attribuable si elle est bien réalisée. Et les missiles hypersoniques ou la guerre de l’espace ne sont peut-être pas sans impact sur notre concept actuel ?

Les menaces peuvent être tellement complexes et diverses et se mélanger entre catastrophes naturelles et provoquées, qu’une armée de métier ne peut résoudre tous les scénarios, même si elle reste indispensable à la sécurité nationale globale.

Les menaces hybrides, tels des hydres à têtes multiples, seront les enjeux de demain. Ces menaces ne peuvent donc pas être contrées uniquement par une défense militaire et de métier. La défense doit être nationale et globale et intégrer la population, au moins celle qui veut servir son pays, sans être militaire de métier et apte à faire face à tous les scénarios.

Défendre le territoire national, c’est défendre et impliquer la population dans sa défense et sa sécurité.

Cela réclame 4 grandes composantes à notre effort de défense et de sécurité nationale futur.

1.     La poursuite de la dissuasion nucléaire, avec une dissuasion crédible dans le nouveau cadre des menaces actuelles (ABM, missiles de contre-frappe hypersonique, cyber et autres chantages parallèles - Bio notamment). Ce qui nécessite peut-être un toilettage « public » de notre concept des intérêts vitaux.

2.     Une armée de métier apte à combattre en haute intensité avec des matériels qui « fonctionnent » non pas à 50 ou 60 % mais à 90 % de capacité opérationnelle, donc avec des stocks de pièces détachés et des munitions en suffisance pour un combat de plusieurs semaines, en tout lieu : Centre-Europe ou OPEX sous toutes latitudes.

3.     Une armée de « réserve » territoriale apte à combattre sur le territoire national avec les citoyens volontaires, formés, entrainés et équipés d’armes modernes, de systèmes de protection (véhicules légers, abris, NRBC, Cyber..) sur au moins 200 kms en profondeur de nos frontières terrestres et maritimes et aptes à sécuriser militairement certains points sensibles. Elle est à construire. Cette armée du « territoire national » formerait le niveau de dissuasion « absolue ou ultime » vis-à-vis de l’adversaire en lui montrant la capacité citoyenne de mobilisation, comme on peut le constater dans des pays qui ont fait ce choix, comme la Suisse, la Finlande, Israël ou Singapour. Cela représenterait un effort financier certes important, mais relatif, car on peut acheter et former beaucoup de volontaires avec le prix d’une centaine de chars et d’une cinquantaine d’avions de chasse moderne. Le montant d’une armée défensive et autonome par région serait beaucoup moins cher et probablement bien plus efficace qu’une armée de métier pour réaliser cette mission. Une armée de volontaires pour 15 ans d’engagement (sauf cas particulier) avec 6 mois de formation initiale, 15 jours d’entraînement annuel, pour 100 000 hommes avec des armes défensives modernes et des véhicules légers blindés de type 4x4, kits médicaux, NRBC, des caches durcies, etc., ainsi que des liens, par contrat ad-hoc, avec la mise à disposition de moyens d’entreprises ou de collectivités - et là rien n’empêche d’être inventif- couterait largement moins de 1% du PIB. Il faudrait aussi être attractif pour les volontaires, par une indemnité, une réduction d’impôts,…Cette armée redonnerait également du lien avec la population générale autour d’un concept de défense et de sécurité nationale rénové, plus proche de la population, face à des menaces actuelles et futures évolutives et complexes. Elle serait donc aussi un rempart à la désinformation, clé de voute des menaces hybrides. Elle offrirait également une réserve capacitaire, en cas de besoin interne : catastrophes de toutes natures ou menaces sécuritaires internes d’ampleur. Elle permettrait de soutenir l’effort des services du quotidien (sécurité publique, sécurité civile, sécurité sanitaire…) dans les moments les plus graves ou les plus critiques.

4 - Une politique de sécurité nationale plus ambitieuse pour les services de secours et de santé publique, mais aussi pour les entreprises - au premier rang desquelles les opérateurs d’importance vitale - mais aussi les collectivités, et les entreprises importantes ou critiques pour le pays, doit être menée. Si beaucoup de choses ont été faites depuis presque 20 ans, il reste encore beaucoup à faire. Un budget fort, clairement identifié, et mieux doté permettrait les avancées nécessaires à la résilience de nos infrastructures et à notre souveraineté technologique et alimentaire.

A l’heure où l’État réfléchit à une stratégie de résilience nationale, une armée territoriale « terrestre », « low cost » (pas une garde nationale à l’américaine), mais bien équipée serait certainement une des avancées conceptuelles majeures pour faire face à de nombreux besoins qui émergent des crises récentes de sécurité nationale, comme le COVID ou d’autres, là où les territoires peuvent être seuls pendant plusieurs heures ou jours face à certains scénarios de risques ou de menaces.

Un nécessaire tournant stratégique 

Ce tournant stratégique nécessite pour les gouvernants de faire confiance à la population. Celle-ci a majoritairement confiance dans ses institutions militaires, en incluant bien sûr la Gendarmerie nationale. Une défense territoriale basée sur l’Armée de Terre et la Gendarmerie permettrait d’atteindre l’objectif de maillage du territoire et de sécurité d’un tel dispositif. Cette approche permettrait d’apporter des moyens « capacitaires » importants à ce concept de sécurité et de résilience nationales, qui en manque cruellement.

Mais faisons attention à l’industrie de défense (DGA compris) qui poussée par une pensée militaire et industrielle très – trop - axée sur la sophistication, sera plus tentée de faire « comme d’habitude » de grands programmes très onéreux, certes intéressants, voire parfois exportateurs, mais en faible quantité et qui ne constitueront jamais l’ultime rempart de la population face à l’ennemi, si celui-ci arrive en nombre, même armé de couteaux. La défense nationale au sens premier du terme est un sujet de citoyenneté avant d’être un sujet de base industrielle (même si elle est importante) et de marché international.

Conclusion

La crise ukrainienne change la donne. N’attendons pas 40 ans de plus pour « construire » la défense territoriale et civile dont notre pays a besoin pour être résilient face aux menaces militaires et stratégiques. Le nouveau quinquennat permettra peut-être de faire les bons choix ?

 

Christian Sommade

 

[1] Aujourd’hui Haut comité Français pour la Résilience Nationale (Résilience France)

12/04/2022

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