COVID-19 Mega-choc

15/03/2020 - 10 min. de lecture

COVID-19 Mega-choc - Cercle K2

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Article publié le 14 mars

Le Président de la République a préparé la nation à des temps difficiles dans un langage diplomatique et républicain, alternant compassion, avertissement, hommage, et remerciements. Mais au-delà de ce très beau discours, et des mesures qui sont mises en œuvre par le gouvernement, à savoir un « semi-confinement ». Quels sont les scénarios susceptibles de se dérouler, à la vue des exemples étrangers et notamment Chinois, Coréen, Italien et Espagnol ? Quelle « Gestion de crise » peut-on voir en France ? et qu’elles sont, dans ce cadre, les forces et faiblesses de notre dispositif ?

Tout d’abord nous avons passé le cadre d’une crise exceptionnelle, nous sommes bien dans un méga-choc mondial (crise hors cadre) sous tous les aspects : humains, organisationnels, financiers et politiques. Ce méga-choc laissera bien évidemment des traces, non seulement par les pertes humaines mais aussi par les coûts démesurés que ce choc va entraîner au niveau mondial et aux déséquilibres qu’il va provoquer (> au Trilliard de $). Aucun secteur d’activité, aucune famille ne seront épargnés à court ou à moyen terme des conséquences de cette crise.

L’approche des organisations devra changer et prévoir ces méga-chocs de façon plus sérieuse, beaucoup plus sérieuse qu’auparavant. Cette crise ne sera pas de celles que l’on oublie pour passer à autre chose rapidement. Elle laissera une trace profonde et nécessitera une rupture dans les approches des États et des organisations publiques et privées. C’est le côté « opportunité », nous pouvons espérer qu’à l’avenir nous serons mieux préparés à ces mega-chocs, car malheureusement il y en aura d’autres, notamment avec le changement climatique, sinon c’est à désespérer.

La question souvent posée pour la France ces jours-ci est de savoir si « on en fait trop » ou « pas assez ». La question ne se pose pas en ces termes. Le concept de réalité sur ce virus doit nous ramener à une analyse objective. Que savons-nous aujourd’hui de ce virus ? beaucoup plus de choses qu’il y a un mois ou 15 jours, mais singulièrement les données scientifiques sont peu publiées dans le grand public, il faut vraiment aller les chercher.

Or nous savons :

  1. Que le virus se propage très vite et qu’il affecte beaucoup plus de personnes que les cas recensés, certains experts pensent que le coefficient multiplicateur est de 6 à 10 [1]
  2. Que la transmission du virus se fait de multiples manières, cf étude allemande [2] et Américaine [3] : sa persistance dans l’air (aérosolisation) est estimée environ à trois heures - la transmission sur plusieurs supports (acier, aluminium, cuivre, plastique, cartons) varie de 8 heures à 9 jours.
  3. Que le taux de transmission (R0) est normalement de 2 à 3 (hors confinement sévère..), hors « super spreader » (combien sont-ils ?)
  4. Que le taux d’attaque, c’est à dire la part de population qui va être infectée sera probablement situé entre de 10 à 20 %
  5. Que le taux de mortalité est faible : de l’ordre de 2 % des personnes infectées pour des systèmes de santé moderne à 4-6% pour des systèmes de santé peu performants (ce qui n’est pas le cas des Italiens)

En termes pratiques, la gestion de la crise sanitaire va donc nécessiter de jouer, comme expliqué, fort à propos par les autorités sanitaires françaises, sur toute une gamme d’actions :

1 - La première est évidemment la distance sociale que l’on ne cesse de répéter mais que l’on applique pas vraiment, car un grand nombre de nos concitoyens sont encore assez inconscients du danger « collectif », et le Premier Ministre l’a rappelé ce soir : Prenons quelques exemples : Les bars et ERP non essentiels sont fermés… Mais pour les transports en commun des questions se posent, certes ils sont certes toujours actifs, mais ils devraient être réduits en quantité. Cela me semble une assez grande aberration, car si les opérateurs réduisent les transports ce sera encore pire, la distance sociale ne pourra pas avoir lieu, si le travail doit être maintenu, il faut au contraire garder le même niveau de disponibilité des transports, avec évidemment moins de monde à l’intérieur, conséquence des mesures de télétravail. C’est là où on voit que les plans de continuité d’activités des opérateurs de transports ne sont pas vraiment bien pensés dans ce cadre.
Réunion autorisées jusqu’à 100 personnes.. cela sera-t-il suffisant, n’est-ce pas déjà trop ? À la vue de ce qui est expliqué plus avant sur les modes de transmission, je ne suis pas certain. Je pense, à titre personnel, que devant la montée évidente des statistiques morbides, nous serons obligés d’aller beaucoup plus loin dans les mesures de confinement et de restrictions de circulation. La question est de savoir quand ? ? … dernière minute : visiblement ce soir .. La prochaine étape sera donc le confinement à domicile comme en Italie, mais quand ?

Il faut également noter que dans cette distance sociale les masques peuvent jouer un grand rôle. Malheureusement faute de stock d’Etat, la production des FFP2 (entre 150 et 250 000 masques/jour), doit être exclusivement affectée aux soignants et cela est tout à fait logique et normal. Mais nous n’avons pas non plus suffisamment de masques chirurgicaux pour protéger la totalité de la population comme l’on fait les chinois, les Coréens… qui ont visiblement des capacités de production très supérieure à la nôtre. Or il est évident que les masques font aussi parti des mesures barrière au même titre que les gels hydroalcooliques qui sont également en totale rupture de stock partout en France. Nous ne pourrons pas donc compter sur autre chose que les écharpes et une hygiène irréprochable ce qui peut déjà faire beaucoup…Mais cela risque de rendre difficile l’application de plan de continuité, n’oublions pas que seul 1 emploi sur 3 peut se réaliser en télétravail.

2 - La deuxième est bien évidemment de maintenir un taux de mortalité faible. Il va falloir démontrer des mesures barrières et surtout une organisation hospitalière excellente. Je crois qu’on ne peut pas douter ni du dévouement, ni de la compétence des soignants hospitaliers français, à qui on peut rendre hommage dans des conditions de fonctionnement extrêmement difficiles, et ce depuis plusieurs années déjà. Mais seront-ils assez nombreux ? quels rôles la médecine de ville peut (ou doit) jouer en plus de la détection des cas sévères ? Il faut pour cela les préparer, les équiper,… ce qui sera extrêmement difficile à faire dans les délais que la crise nous impose. Je ne suis pas un spécialiste de la santé publique, mais il est évident qu’un problème capacitaire va se poser tant que les mesures plus drastiques de confinement et une chute rapide du R0 ne seront pas mises en place.

3- le dernier point technique que je voudrais aborder celui de la désinfection. Je suis extrêmement étonné qu’aucune consigne, ni aucun process en préparation ne soit envisagé publiquement à ce stade. Tous les pays réalisent des désinfections, et on le comprend parfaitement eu égard aux chiffres que j’ai signalé plus haut. La France semble vouloir échapper à cette problématique. C’est très surprenant de la part des autorités de ne pas vouloir considérer la désinfection comme une arme à part entière dans la lutte contre ce virus. Je dois dire que je m’interroge.

Le scénario sera donc un confinement renforcé ou très renforcé à l’Italienne, c’est à dire probablement avec restriction de circulation, dans les jours à venir. Ce sera certainement déterminer en fonction des statistiques quotidiennes et de leur acceptabilité par l’opinion publique et la classe politique, mais saurons-nous le mettre en œuvre ?.

La France dispose néanmoins de nombreux atouts pour faire face à une crise comme celle-ci. D’abord on peut se féliciter des prises de position et de la conduite de la crise par les plus hautes autorités de l’État. Le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre de la Santé, le Directeur général de la santé sont sur le pont, et ça se voit. Il y a aux commandes, des gens responsables et compétents, au niveau de l’appareil d’État tout entier; et là je ne fais vraiment pas de politique, c‘est un sentiment profond et sincère.
Mais il y a aussi des faiblesses, car à un autre niveau, on ne peut s’empêcher de penser que la préparation à cette situation d’exception était insuffisante, comme pour d’autres grands risques d’ailleurs, faute d’argent et de priorité politique sur ces domaines. Les stocks de masques étaient très faibles, nous en avons déjà parlé, les respirateurs : combien pour la France entière ? les plans de continuité d’activité et les plans blancs ? quelle réalité et quelle organisation ? les professionnels savent tous que c’est loin d’être parfait…. Mais cela ne concerne pas que l’hôpital…toutes les structures d’État, les collectivités et la plupart des entreprises sont souvent dans la même « faible préparation ». La culture du risque n’est pas française, c’est vrai, nous sommes plus en réaction toujours, mais face aux très grandes crises cela ne suffit pas. Nous sommes souvent en état d’impréparation « technique » car nous sommes avant tout en impréparation psychologique majeur face aux grandes crises.

L’organisation « gestion crise française » va également être sous tension forte, car tous les départements vont être touchés. Toutes les préfectures vont devoir monter un COD et celui-ci va devoir durer plusieurs semaines… quelque chose de totalement inédit en France. Et il n’y a pas que les préfectures, l’ensemble des grandes collectivités locales va devoir mettre en oeuvre les plans communaux de sauvegarde. De très nombreux problèmes de toutes natures vont se poser, nécessitant des arbitrages presque 24 heures sur 24. Pensez que le confinement va réduire l’activité, et que rien ne va se passer dans les structures de gestion de crise publiques ou privées serait une grave erreur. Au contraire, elles vont être le seul filtre capable de gérer l’ingérable. Il va falloir en même temps être rigoureux, organisé, et capable de durer et de comprendre les contraintes de toutes les parties prenantes de la situation, tout en faisant preuve de pragmatisme, de balance coût bénéfice dans les décisions, et d’humanité.. un vrai challenge pour toutes le femmes et tous les hommes concernés.

Dans ce cadre, on notera que ceux qui sont au premier rang de la crise, seront fortement chahutés, et pour lesquels un bon plan de continuité d’activité aurait été utile… plan qui n’existe malheureusement que très rarement, et encore plus rarement au niveau de détail nécessaire. Je pense également aux collectivités territoriales, dont les plans communaux de sauvegarde ne prennent jamais en compte la problématique « pandémique » ou si peu…. Encore beaucoup de travail pour les collectivités et j’espère que les nouveaux maires élus, qui vont être directement plongés dans le bouillon de la crise, auront compris immédiatement qu’il faut prendre ces affaires là au sérieux….

Le temps et les entreprises : comment l'optimiser ? Un temps « perdu » va s'imposer aux entreprises et aux organisations en général, qui auront besoin d'une capacité d’innovation importante dans cet usage du temps en vue de la repris. Ils devront compter sur leur capacité d’innover sur les plans marketing, techniques ou financiers. L’État a répondu présent par les mesures qu’il a prises vis-à-vis des entreprises. Mais il faut que ces dernières « profitent » de cette baisse d’activité pour deux choses : utiliser du temps pour l’innovation, la maintenance, ou la création de valeur pour le futur, mais aussi à la continuité d’activité sur leur « core business » essentiel. Rappelez-vous que tout client que vous n’aurez pas laissé tomber en temps de crise sera un client acquis pour très longtemps….

Mais la grande faiblesse sera de faire passer un message de contrainte à une population qui n’en a pas l’habitude, et pour laquelle l’autorité publique n’est pas toujours bien vue. Les paroles et le bon sens ne suffiront peut-être pas toujours. Or, Il va falloir tenir, et les français savent faire leur devoir, en règle générale et dans la grande majorité… Le message est simple : Il faut simplement que tout le monde aide les « troupes sanitaires » au sens large, par la bonne attitude et l’absence de « panique » individuelle ou collective face aux symptômes, car ce sont elles qui vont être en guerre dans les prochaines semaines.

Un certain nombre de grands épidémiologistes sont surpris des conséquences et des mesures qu’ils jugent parfois disproportionnés par rapport à une épidémie somme toute statistiquement faiblement « mortelle ». Ils ont raison en regard de l’histoire. Mais c’est sans compter aujourd’hui sur l’acceptabilité sociale des événements catastrophiques, acceptabilité qui a évoluée dans une société fortement médiatisée et dont l’information est impossible à réguler au travers des réseaux sociaux. En un mot, on accepte les 8 à 9000 morts de grippe annuelle, car la grippe est là depuis plus d’un siècle, les 3 500 morts d’accident automobile, etc.. mais « on » n’accepte pas, ni les morts du Bataclan, ni les victimes d’un virus globalisé , qui en tuant, certes "faiblement" (avec l'horreur de ce mot), mais qui bloque la société, et paralyse la liberté individuelle et collective d’action, la liberté d’entreprendre et de socialisation.

La mondialisation des flux, la mixité internationale sont à la fois une source de faiblesse dans cette crise, car c’est cette mondialisation qui est à l’origine de cette épidémie, bien que les épidémies aient toujours existées, mais elles étaient le plus souvent moins soudaines et globales, ... mais c’est aussi un espoir… voir la Chine proposer l’Italie des médecins et des milliers de respirateurs, si cela arrive réellement, c’est un témoignage très intéressant qu’il n’y a pas que du négatif dans la mondialisation des crises loin de là, si la solidarité est présente..

LA CRISE EST LÀ, IL FAUT GÉRER A TOUT NIVEAU, c’est l’urgence mais nos sociétés sont trop complexes, trop interdépendantes, et les enjeux trop forts pour ne pas être préparer pour le prochain cygne noir.

Christian Sommade - 14 mars 2020

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[1] https://medium.com/elemental-by-medium/coronavirus/home

[2] https://www.journalofhospitalinfection.com/article/S0195-6701(20)30046-3/pdf

[3] https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.09.20033217v2.full.pdf

15/03/2020

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