De l’intérêt de mobiliser l’expérience de la préparation mentale des sportifs de haut niveau au profit de tous
15/04/2020 - 5 min. de lecture
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Internationale italienne de judo, Crisitina Piccin est préparatrice mentale.
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De l'intérêt de l'exemple de la vie de sportif de haut niveau
Une carrière de sportif de haut niveau est constamment rythmée par des échéances et soumise à des objectifs de performance. Si cette vie d’athlète peut être stimulante, elle est également pleine de stress et d’angoisse. Excitation, espoir, joie de la victoire bien sûr, mais aussi frustration et déception liées aux défaites et aux blessures : un sportif de haut niveau est, tel un courant alternatif agité par ses pôles positif et négatif, incessamment traversé par des émotions opposées. Lorsque celui-ci n’appréhende les épreuves et les rendez-vous sportifs que comme des sources d’anxiété, les conséquences sur son corps et son mental peuvent être considérables. Il n’est alors pas rare qu’elles dégénèrent en véritables traumatismes avec un impact durable sur sa performance et sur sa vie. Pour anticiper ce risque, le monde du sport a été l’un des premiers à recourir à la préparation mentale pour les athlètes. Si cette préparation vise initialement à améliorer leur performance, elle s’inscrit aujourd’hui dans une logique plus globale de bien-être et d’équilibre, sans écarter l’exigence d’efficacité et de résultat. L’un de ses objectifs est d’aider le sportif à accroitre son relâchement dans les moments clés. Les plus grands sportifs se reconnaissent d'ailleurs à leur capacité à exprimer, dans les moments où la tension est la plus forte, le meilleur d'eux-mêmes.
De la même manière que les sportifs, chacun d'entre nous attache aux situations de crise (comme celle que nous traversons actuellement) de nombreuses projections qui génèrent de l’anxiété voire de la peur. Cette peur n’est bien entendu pas une pure création de l’esprit, elle se développe sur des racines bien réelles. Les circonstances actuelles et les prévisions économiques de l’après confinement mettent en danger les besoins premiers de l’Homme : besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement de soi. La présence d’un danger invisible à l’extérieur (mais probablement pour certains aussi à l’intérieur) et les mesures d’urgence prises par les pouvoirs publics (quarantaine, distanciation sociale, réduction des services non essentiels) provoquent en nous un sentiment d’insécurité et d’incertitude, qui ont des conséquences sur notre santé physique et psychique.
De la nécessité d'apprivoiser et de maîtriser son angoisse
Toute situation nouvelle est porteur d’incertitudes : il représente un défi inconnu auquel notre esprit n’est pas préparé et qu’il ne sait comment appréhender. Or, nous le savons, l’incertitude est, pour notre esprit, un vecteur d’angoisse. Celui-ci a besoin du terrain solide de la certitude et du connu pour s’élancer avec assurance et sérénité. Lorsque l’esprit est inquiet, le corps s’en ressent. Cette angoisse devant l’incertitude est suscitée par nos propres représentations subjectives. Ce sont ces représentations qui orientent nos choix, éperonnent ou immobilisent notre action, nourrissent ou paralysent notre réflexion.
Rappelons nous avec Franklin Delano Roosevelt que « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même. » Maîtrisons notre angoisse pour ne pas la laisser atteindre le point limite où elle nous priverait de notre capacité d’action et de réflexion.
Les sportifs de haut niveau ont bien compris la nécessité d’une préparation mentale. Ils ne sont pas les seuls : médecins, astronautes, militaires, forces de l’ordre, hauts dirigeants, etc. intègrent également la préparation mentale dans leur formation. Ils pourraient être source d’inspiration pour tous ceux qui sont aux prises quotidiennement avec l’anxiété.
Une review publiée par le Departement of Psychological Medicine, King’s College en février[lien], qui regroupe les résultats de différentes études sur les effets psychologiques de la quarantaine, révèle les facteurs perturbateurs et les effets à long terme du confinement. Les facteurs de stress pendant la quarantaine seraient les suivants : peur de l’infection, ennui et frustration, insuffisance de l’information et difficultés pour obtenir la fourniture de biens et de services. Après la quarantaine, la dégradation des finances et la stigmatisation seraient les facteurs de stress prédominants.
De la méthode et des techniques à intégrer
La manière dont nous percevons et gérons ces facteurs de stress est essentielle, notamment si la durée du confinement est prolongée ou que des mesures aussi radicales sont de nouveau instaurées dans le futur. Il est notamment fondamental d’instaurer des routines sécurisantes et d’apprendre des exercices simples qui peuvent se révéler très utiles lorsque nous prenons conscience de l’emprise de ces facteurs sur notre mental. La situation d’urgence nous oblige à l’adaptation. Or, nous avons l’opportunité de nous préparer à ces répercussions psychologiques et sociales et ainsi diminuer leurs effets sur notre physique et notre mental, comme le font les sportifs et les autres acteurs de la performance. La psychologie et la préparation mentale sont des armes réelles et d’autant plus à notre portée qu’il ne s’agit pas d’acquérir de nouvelles aptitudes mais de développer des habiletés mentales que nous possédons déjà (motivation, concentration, confiance en soi, gestion du stress).
La préparation mentale passe avant tout par des exercices de respiration et de prise de conscience. De nombreuses études scientifiques ont prouvé que la relaxation a un effet positif sur diverses populations (malades, jeunes, personnes âgés, athlètes, médecins, populations en lieu de crise, etc.). Elle agit en diminuant l’état de tension psychique par une diminution de la tension musculaire. Une fois la tension psychique descendue, il devient possible de contrôler sa pensée pour éviter les perturbations externes ou internes (images, pensées parasites, focalisation sur les points d’anxiété). La préparation se poursuit par l’imagerie mentale pour se concentrer, se motiver et se focaliser sur les points d’amélioration. Celle-ci facilite la planification d’actions concrètes et enfin la fixation de buts qui permettent d’avancer. Le confinement a prouvé à chacun d’entre nous à quel point ces éléments étaient importants dans notre vie professionnelle mais également personnelle.
Pour appliquer cette méthode, plusieurs techniques peuvent être utiles. Nous pouvons citer notamment la respiration ventrale et ses variantes ou la prise de conscience des individus grâce à la Mindfulness, à la sophrologie et aux différentes techniques de relaxation (Training Autogène, relation progressive) et de méditation (Yoga, Zen) qui permettent l’endormissement et l’évacuation de ce stress. La compréhension et la structuration de la pensée résiliente peuvent aussi passer par des techniques cognitivo-comportementales comme la P.N.L. (programmation neuro-lingustique). Quant à la familiarisation à la visualisation positive, les techniques d’imagerie et de répétition mentale peuvent être une aide précieuse.
Ces savoirs sont utilisés depuis des années par des milieux d’excellence dans lesquels la gestion du stress est une nécessité. Ils sont aujourd’hui nécessaires à toute une population se trouvant en situation d’urgence sanitaire et probablement demain confrontée à une crise économique.
Comme Einstein le rappelle, « le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu’il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau ». L’avenir qui se prépare impose de faire preuve d’adaptation, car nous allons au devant d'obstacles et de défis nouveaux. Nous devons donc faire évoluer nos modes de réflexion et apprendre à penser autrement. Se « préparer » est primordial pour concevoir ces enjeux de la manière la plus réaliste possible.
Les mesures de distanciation sociale donnent aujourd’hui l’opportunité de mettre en œuvre cette préparation. La mise en place de nouvelles habitudes de vie, pendant et après le confinement, est une nécessité pour notre société afin d’éviter qu’elle ne devienne vulnérable et sujette à un effet post-traumatique à large échelle.
À vouloir toujours envisager les termes du problème de façon radicale, nous finirons par prendre des mesures radicales qui pourraient, à terme, être nuisibles à chacun d’entre nous...
Préparatrice mentale et sportive de haut niveau
15/04/2020