Dubaï : le Dilemme du prisonnier

08/12/2021 - 5 min. de lecture

Dubaï : le Dilemme du prisonnier - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Serge Delwasse est P-DG de CetraC.io.

---

à D. et O. qui, outre qu’ils m’ont accueilli, m’ont permis de comprendre

Je n’aime pas Dubaï. Mais j’admire ce qui y est fait. Dubaï c’est, malheureusement, l’avenir. Je vais tenter de vous en convaincre.

Je reviens donc de Dubaï où j’ai visité le Salon aéronautique et l'Exposition universelle - autrement appelée Expo 2020. Expo 2020 parce qu'elle se tient de…  2021 à 2022 :-). 

Deux réflexions tout d'abord. 

La première, c'est le politiquement correct. Dubaï est le paradis de l'inclusion. Coexistent des femmes en jupe courte et de petites écolières en burka ou équivalent, de toutes ethnies, de toutes nationalités. Paroxysme de l’inclusion dont le plus bel exemple est l'expression "people of determination". J'ai mis du temps à comprendre que les "people of détermination" était les handicapés. Ainsi, en un peu plus de 150 ans, nous sommes passés de l'infirme qui volait de Baudelaire aux "people of determination", non sans avoir fait un détour via les infirmes, les invalides, les GIG/GIC, les handicapés - voire les z’andicapés, les personnes à mobilité réduite et les personnes en situation de handicap. Non pas que je n'aie pas le plus profond respect pour lesdits handicapés, mais je ne pense pas que le terme infirme, par exemple, fût péjoratif.

La seconde est simple : c’est la fin des expositions universelles. C’est en tout cas l'impression que donne cette Expo 2020. Il s'agit en fait d'un immense parc à thème où chaque pays vient présenter ses spécialités touristiques. Pour la France, l'orfèvrerie, les chemises Lacoste et probablement un peu de nourriture. C'est Disneyland en plus grand et sans les attractions, mais avec la parade. C'est très beau, c’est sublime. Les pavillons font tous un concours d'imagination architecturale. Malheureusement, ça n'a aucun intérêt. La plupart des pays n'ont rien à présenter à part un peu d'artisanat local. Je vous conseille de visiter le pavillon du Botswana. Et parmi ceux qui ont quelque chose à montrer, on en voit plus et mieux sur Youtube et Wikipedia…

Petite incise : c’est kitchissime. Le goût à Dubaï serait d’ailleurs qualifié par la plupart d’entre nous de "mauvais". N’empêche, ce sont eux qui ont raison. Ce sont eux qui imposeront leur goût demain. Ils l’imposent déjà en partie. Il suffit de voir la décoration des toilettes de la business de l’A380 d’Emirates. J’ai mis un point d’honneur à visiter ledit A380 au Airshow et j’ai tenu à faire ouvrir les toilettes ! Vous n’aimez pas ladite déco, mais préférez-vous la non-déco de celle des avions d’Air France ?

Mais revenons-en à cette formidable réussite qu’est Dubaï. Dubaï est riche. Dubaï, c'est la richesse et il ne s'agit pas d'une richesse héritée de quelques champs de pétrole. Il s'agit d'une richesse produite par une volonté délibérée de créer un pont entre l'Orient et l'Occident. Cela a été fait avec intelligence, avec agilité. Cela a été fait en s'appuyant sur les meilleurs experts, les meilleurs architectes, les meilleurs conseillers. Ainsi, Dubaï est successivement passé du simple hub d’Emirates à une vraie destination, business et touristique. Bref, ça a marché. Il faut comprendre que Dubaï n'est pas Monaco. Dubaï, c'est 70 km de long de buildings, ininterrompus. Ils ont réellement créé un pays et ils l’ont créé de toutes pièces. Et ils l’ont fait en regardant devant eux et non derrière. 

Et c'est ici que le dilemme du prisonnier intervient. Permets-moi de te rappeler, cher lecteur, ce qu’est le dilemme du prisonnier. Deux prisonniers sont en cellule. S’ils sont solidaires, ils sont condamnés à une légère peine. S’ils se dénoncent chacun, ils sont condamnés à une peine plus lourde. Et si l’un dénonce l’autre et l’autre ne le dénonce pas, celui qui ne dénonce pas a une peine extrêmement lourde et celui qui dénonce est acquitté, relaxé, ce que vous voulez. Le dilemme du prisonnier est fondateur de la théorie des jeux, branche très intéressante des mathématiques. Vous savez, je l'ai écrit à plusieurs reprises, que je suis convaincu que les maths permettent de comprendre le monde. 

Nouvelle incise : en voulant mettre fin à ladite sélection par les maths, la France a probablement fait une erreur fondamentale. Les maths, ça sert à comprendre le monde et sélectionner par les maths permet de sélectionner ceux qui comprennent le monde ou qui comprendront le monde demain. 

Revenons donc au dilemme du prisonnier et revenons surtout à Dubaï. Ce que nous dit ledit dilemme, pratiquement, c'est que, si nous jouons tous avec les mêmes règles, nous gagnerons ensemble. Avec des contraintes, avec des difficultés, mais nous gagnerons. Si nous ne jouons pas avec les mêmes règles, c'est celui qui joue sans règles qui gagne. Et si personne ne joue avec des règles, c'est le suicide collectif. Problème : le suicide collectif est l’équilibre. Exemple : la COP 26, sauver la planète. Nous supprimons la liaison aérienne Paris-Bordeaux au nom de la sauvegarde de ladite planète et, pendant ce temps, les Chinois utilisent des centrales à charbon pour produire leur électricité. À Dubaï, on climatise une montagne, artificielle bien entendu, pour faire une piste de ski par 40° à l'ombre. 

Second exemple : les droits de l'homme. La société telle qu'elle est organisée à Dubaï est d'une simplicité biblique. C'est une société féodale : les seigneurs sont les citoyens de Dubaï qui sont très peu nombreux, qui ont un certain nombre de domestiques indiens, pakistanais, africains, domestiques qui ont chacun une spécialité en fonction de leur origine, j'ai envie de dire ethnique, en tout cas nationale. Ainsi, à l'Expo 2020, la sécurité est faite par les Kényans et les hôtesses sont philippines... Il est une autre catégorie de domestiques, de plus haut de gamme : ce sont les expats (j’ai envie de dire : les expats occidentaux) qui sont très nombreux, qui viennent là pour gagner beaucoup d'argent. Ils savent qu'ils ne prendront jamais la nationalité de Dubaï - a contrario de Singapour où les étrangers peuvent acquérir la nationalité singapourienne. Il s’agit dont bien d’un "deal" : vous venez à Dubaï pour apporter votre savoir, votre expertise, votre travail et vous partirez lorsqu’on n’aura plus besoin de vous. Vous ne venez que si Dubaï considère que votre apport est intéressant (pas de visa sans contrat de travail). En échange, vous avez une vie confortable et agréable. François 1er et Léonard.

Qui que vous soyez, la règle est simple, connue et acceptée : si vous violez la loi, la police vous inflige une amende très élevée. Si vous exagérez vraiment, on vous met dans le premier avion et vous êtes persona non grata à Dubaï. C'est simple, ce n'est peut-être pas très humaniste, mais ça marche : il n’y a quasi pas de délinquance.

Ces quelques observations montrent que nous ne jouons pas avec les mêmes règles. Nous sommes donc à la croisée des chemins. Nous avons le choix de continuer à jouer avec nos règles, avec la quasi-assurance de disparaître à terme, d'adopter leurs règles, au risque de perdre notre âme. Et, la troisième branche de l'alternative, c'est d'arriver à les convaincre de jouer avec nos règles. Mais comment faire ? Auparavant, pour forcer le partenaire à jouer avec vos règles, vous lui faisiez la guerre. Aujourd'hui, la guerre n'est plus une option crédible.

Alors ? Que faisons-nous ? C’est bien la première fois que j’achève une tribune sur un point d’interrogation…

Serge Delwasse

08/12/2021

Dernières publications