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Le Commandant Thomas Fressin est Docteur en Histoire moderne et travaille au Centre de Recherche de la Gendarmerie Nationale.
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Cet article a déjà été publié dans La Revue du Trèfle, n° 157, juillet-août-septembre 2020[*].
Piliers essentiels de la transformation, l’enseignement supérieur et la recherche permettent de défendre et de conforter la capacité de la Gendarmerie à se transformer et à s’adapter aux enjeux socio-technologiques de demain. Pour cela, une véritable politique institutionnelle a permis d’établir de nombreux partenariats et liens étroits avec le milieu académique. Il revient aujourd’hui aux officiers de la Gendarmerie de renforcer ces relations.
Dans ses Éloges des académiciens de l’Académie royale des sciences, Condorcet indiquait en 1785 : "il n’y a point d’innovations sans avances, sans risques : l’Agriculture ne peut se perfectionner que lorsque des propriétaires riches, devenus cultivateurs, s’occuperont des progrès de l’art par curiosité, par intérêt, par ce sentiment naturel qui attache l’homme à l’objet de ses travaux et qu’ils consacreront une partie de leur superflu et de leur loisir à tenter des expériences, à essayer des méthodes"[1].
Plus de deux siècles après la publication de ces idées, qui faisaient alors du Marquis un chantre de la révolution scientifique, un parallèle contemporain appliqué à la sécurité reste possible : sans recherche et sans innovation impulsées par des officiers ayant un haut niveau de compétence scientifique, la sécurité intérieure ne pourrait pas se perfectionner et la population en récolter les fruits.
Consciente de ce constat stratégique, la Gendarmerie s’engage résolument, depuis plus de vingt ans, à entreprendre une politique de partenariats avec le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui a permis un rapprochement mutuel, porteur de sens et d’efficience.
Une véritable politique d’enseignement supérieur
Si après mai 68 les liens entre la Gendarmerie et le milieu académique semblaient quelque peu distendus, l’Armée a su prendre, au tournant du XXIe siècle, la mesure des enjeux et des défis à venir en termes d’évolutions sociologiques et technologiques.
Au début de cette mutation, les démarches entreprises reposaient essentiellement sur des démarches empiriques et des initiatives individuelles, entretenues entre officiers de tous grades et acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Progressivement, années après années, la confiance mutuelle établie entre les deux mondes a permis d’initier et d’institutionnaliser de nouveaux projets académiques plus ambitieux.
Les effets de ces rapprochements ont notamment permis d’impacter le cursus de formation initiale des officiers de la gendarmerie dès le début des années 2000. Dans le contexte du processus de Bologne tendant à normaliser les formations universitaires en Europe, il convenait alors de proposer aux officiers, à côté de leur formation militaire, une formation universitaire diplômante de haut niveau, basée sur des politiques partenariales pragmatiques et rentables. Pour ce faire, des partenariats ont été entrepris avec des universités, comme Panthéon-Assas (Paris II) et Paris Est-Créteil (UPEC). Cela a notamment permis de diversifier le corps professoral, en y intégrant des enseignants-chercheurs en sus des officiers professeurs de l’EOGN, mais aussi de délivrer des diplômes universitaires de niveau I aux élèves non titulaires d’un diplôme, démarche qui permet aujourd’hui aux officiers de Gendarmerie ainsi qu’aux officiers du corps technique et administratif de bénéficier d’un réel parcours universitaire, qui leur permet d’accroître leur niveau de compétence et de le valoriser sur le marché du travail.
Depuis, la Gendarmerie a su poursuivre cette révolution académique. Intégrée au sein du réseau des écoles de service public (RESP), l’EOGN a progressivement adapté sa pédagogie. Sa politique d’enseignement, aujourd’hui construite autour de quatre axes d’efforts – la formation, le rayonnement, la transformation et la recherche –, se renouvelle notamment par un nouveau référentiel de formation, l’adoption de nouvelles méthodes d’ingénierie pédagogique, le développement de cours en "distanciel", la transversalité de ses enseignements ou encore l’intégration d’une démarche qualité. Par ailleurs, pour asseoir une véritable politique d’ouverture et promouvoir l’institution dans un univers créateur de sens et d’idées, de nombreux partenariats ont été tissés avec des sociétés, administrations et établissements, tant en France, qu’en Europe ou à l’international.
Consciente des enjeux pour l’avenir, la Gendarmerie a également su aller plus loin dans la refonte de la formation continue de ses officiers : rénovation des conditions d’accès à l’enseignement supérieur du deuxième degré (ES2) et possibilité de réaliser des scolarités alternatives de haut niveau à la place de l’École de Guerre ; création d’un MBA spécialisé Management de la scolarité avec HEC Paris et Paris II ; intégration de civils et en particulier d’universitaires dans divers jurys de concours.
Une politique productive de "recherche action"
Soucieuse de vouloir contribuer à la réflexion générale avec une réelle démarche scientifique, la Gendarmerie a également su adopter une politique ambitieuse en matière de recherche, qui a permis de renforcer la convergence entre l’institution et le milieu académique.
Après avoir créé un Centre de prospective en 1998, un Centre de recherche (CREOGN[2]) en 2010 et un Observatoire national des sciences et technologies de la sécurité (ONSTS) en 2017, la Gendarmerie a désigné la même année un conseil scientifique qui a fixé un Plan stratégique recherche et innovation (PSRI) en 2018. Fort de sept axes scientifiques et technologiques clés – numérique, big data, cyber, intelligence artificielle, robotique, être augmenté, identification humaine –, ce plan repose essentiellement sur de la "recherche action", dont la démarche et la méthodologie de recherche visent à mener en parallèle et de manière intriquée l'acquisition de connaissances scientifiques et des actions concrètes et transformatrices sur le terrain. Ce double objectif est souvent associé à une réflexion critique, en s’appuyant alors sur les sciences humaines et sociales. Doublée d’une posture constante de veille anticipative, ce plan stratégique permet au final de rester à l’affût des technologies de rupture, de soutenir des projets émergents et de ne pas négliger la recherche fondamentale.
À ce sujet, depuis 2018, la Gendarmerie suscite, oriente et appuie les initiatives de recherches individuelles de ses personnels, notamment en matière de recherche doctorale. En plus de développer de nombreux liens avec des écoles doctorales et des laboratoires de recherche, cela lui permet aujourd’hui de pouvoir compter sur une vaste communauté de chercheurs, désormais constituée de plus de 270 docteurs et doctorants[3]. Investis dans des disciplines très hétéroclites et désireux de ne pas vivre sur leurs acquis, ces gendarmes-chercheurs font preuve de talent et d’engagement hors pairs, qui sont régulièrement employés dans le cadre de réflexions scientifiques et/ou stratégiques. Certains d’entre eux, devenus experts dans leur domaine et reconnus sur la scène internationale, dispensent des cours à l’université comme vacataires, voire enseignants-chercheurs associés, et quelques-uns sont même habilités à diriger des recherches.
Pour faire rayonner les recherches et travaux de ses chercheurs, tout en s’ouvrant aux échanges et aux partages, la Gendarmerie organise fréquemment avec le monde universitaire des séminaires, des ateliers de recherche et des colloques thématiques. Elle s’associe également étroitement à des associations, comme l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD), qui favorisent le développement de la recherche, de l’enseignement et de l’échange d’expériences et d’analyses avec le milieu de la sécurité et de la défense. De plus, elle publie de nombreux documents en sources ouvertes, comme la Veille juridique du CREOGN et la Revue de la Gendarmerie nationale.
Souhaitant encourager la recherche et la réflexion stratégique, la Gendarmerie encourage en interne ses personnels à développer des brevets et à publier des articles. Attachée à la science ouverte, elle incite ses officiers à déposer leurs articles et travaux universitaires sur des plateformes communes d'archive ouverte. Vers l’interne et l’externe, elle récompense, par différents prix, l’excellence de travaux de recherche portant sur des questions intéressant la sécurité et la défense nationale. Elle finance également des études de recherche et des contrats postdoctoraux au profit de chercheurs extérieurs. Voulant parfaire et accroître ses collaborations avec le milieu scientifique, elle établit de grands accords cadres – notamment avec le CNRS et la Conférence des présidents d’université (CPU) –, ouvre désormais ses données à la recherche[4] et s’associe à des projets de recherche nationaux et internationaux en lien avec les domaines de la sécurité intérieure et de la défense.
Soucieuse de soutenir les innovations les plus prometteuses et les innovations de rupture, l’institution a récemment complété son Plan stratégique recherche et innovation en confiant à ses personnels le soin de développer des projets, loin de tout carcan administratif ou de toute pesanteur hiérarchique. Lancée à l’été 2018, l’action "DISRUPT 2019", avec un budget évalué à environ 400 000 € de crédits de fonctionnement et d'investissement, soutient douze projets innovants avec pour objectif de permettre, en 18 mois, de les porter chacun jusqu’à un niveau de maturité permettant de mesurer pleinement leur pertinence opérationnelle au travers une phase d’expérimentation. Ces projets sont aussi variés que l’identification via des empreintes ADN non-humain, la détection préventive des comportements atypiques, un exosquelette adapté aux gendarmes ou encore le prélèvement de l’emprunte olfactive. Le succès de l’implémentation de certains de ces projets au sein de l’Armée permettra de confirmer le talent et l’innovation des officiers engagés.
De la convergence à la connivence
En somme, bien loin du temps de l’ignorance post-mai 68, le rapprochement de la Gendarmerie avec le milieu académique a permis une réconciliation qui donne à chacun l’occasion de ne plus s’observer comme une bête curieuse.
Grâce aux liens étroits entretenus, les officiers de la Gendarmerie peuvent désormais disposer d’une culture de recherche et d’innovation concrète, comprendre et maîtriser les enjeux scientifiques, tester et mettre en œuvre des technologiques de pointe ou encore innover par eux-mêmes. De leur côté, les chercheurs et enseignants-chercheurs peuvent désormais être associés à de nombreuses décisions scientifiques de l’institution et y trouver de nombreux sujets de recherche, champs de données et terrains d’études à haute valeur ajoutée.
La convergence avec le milieu académique, devenue véritable connivence avec le temps, participe à la fort ancienne détermination de la Gendarmerie à conserver la maîtrise de l’initiative face aux risques socio-technologiques en perpétuelle évolution.
Pour que ces liens, nécessaires et déterminants, puissent perdurer et se développer davantage, les officiers de la Gendarmerie doivent, plus que jamais, participer à la révolution scientifique interne et prendre ainsi conscience du nécessaire investissement dans les cercles de sociabilité académiques et de pensées externes. Fort du haut niveau de savoir et de compétence qu’ils acquièrent au cours de leurs formations et de leur carrière, c’est à eux que revient le devoir d’innover et de participer individuellement à la réflexion scientifique.
En paraphrasant Condorcet, il est ainsi possible d’inviter les officiers à s’occuper de cette mission importante avec curiosité et intérêt, en consacrant une partie de leur superflu et de leur loisir à tenter des expériences, à essayer des méthodes et à les faire connaître. C’est à ce prix que la sécurité intérieure continuera à se perfectionner, que la population et la France en récolteront tous les fruits et que l’éloge de la politique entreprise par la Gendarmerie en matière de recherche et d’innovation pourra un jour être rendu.
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[1] Condorcet, "Éloge de M. du Hamel" (année 1782) dans Éloges des académiciens de l’Académie royale des sciences. Imprimerie royale, Paris, 1785, p. 136.
[2] Centre de recherche de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale.
[3] À savoir 139 personnels d’active, 73 réservistes opérationnels, 8 réservistes citoyens, 3 personnels civils, 5 personnels en 2ème section ou à la retraite et pour finir 43 civils externes à la Gendarmerie.
[4] Circulaire n° 30053 du 3 septembre 2019 relative à l’export de données à destination de la recherche scientifique.
05/02/2021