[Groupe K2] Economie bleue et innovation - Entretien avec Patrick Baraona

28/04/2024 - 16 min. de lecture

[Groupe K2]  Economie bleue et innovation - Entretien avec Patrick Baraona - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Patrick Baraona est président du comité Marseille-Fos-Calanques à l'Institut français de la mer. Il est également l'ancien directeur général du pôle Mer Méditerranée.

 

La pêche, un secteur d'avenir

 

Entretien réalisé par Marie Scotto, chargée de relations publiques au centre d'études stratégiques de la Marine (CESM), dans le cadre du rapport K2 "Marine et société civile". 

 

Marie Scotto : Comment définiriez-vous l’économie bleue ? Quel rôle tient l’innovation dans ce concept ?

Patrick Baraona : L’économie bleue a à peu près la même définition pour tout le monde. Elle comprend à la fois tous les secteurs et toutes les industries qui sont à la fois liés aux océans, aux mers, mais aussi aux côtes, c’est-à-dire à l’interface entre la mer et la terre. Finalement, elle comprend à la fois la surface de l’eau, la masse d’eau, le fond de la mer et l’interface terre-mer. Toute la difficulté de notre secteur est qu’il est multi-activités et multi-filières. Si on passe en revue ces différentes composantes, on peut citer de manière non exhaustive : 

  • Les usagers de la surface, avec tout ce qui correspond à la navigation, le transport de passagers et de marchandises, les bateaux de travail (pêche, aquaculture, exploitation offshore, exploration, etc. ), les bateaux de plaisance (loisirs), la protection et la sécurité avec la Marine nationale et le sauvetage en mer.
  • Ceux qui travaillent dans la masse d’eau avec : l’exploitation des ressources biologiques, la pêche mais aussi l’aquaculture ; les activités scientifiques de connaissance du milieu marin que ce soit l’océanographie ou la biologie marine. Il y a aussi toutes les activités de loisirs ou professionnelles autour de la plongée, qui sont des activités économiques, plutôt proches des côtes, voire directement dans les ports pour le contrôle des infrastructures. On pourrait aussi rajouter la robotique, avec des équipements qui vont explorer cette masse d’eau et qui vont être au service soit des industries, soit des scientifiques.
  • Au fond de la mer, on a les champs pétroliers et gaziers, qui sont les premières exploitations qui ont été faites jusqu‘à des profondeurs aujourd’hui de 3000m, et qui seront peut-être demain suivies par le minier si c’est autorisé jusqu’à 6000m, sachant que la France a pour le moment pris une décision d’interdiction, contrairement à d’autres pays. Les pipes lines. La pose et la maintenance des câbles sous-marin transocéaniques pour les télécommunications notamment. Les scientifiques qui font de la bathymétrie avec la reconnaissance des fonds, ceux qui font de la recherche d’épaves, tout ce qui correspond au patrimoine sous-marin.
  • Les énergies marines renouvelables, secteur en pleine expansion, ont une place particulière car elles occupent à la fois la surface (Éolien, houlomoteur, ETM), une partie du volume d’eau (Éolien posé ou flottant avec ses ancrages, Energie thermique des mers) et le fond de la mer (Hydrolienne).
  • Et tous ceux qui sont à l’interface terre-mer : les ports, toutes les infrastructures côtières, les digues, les jetées, les phares, les systèmes qu’on met en place pour amortir la houle, lutter contre l’érosion. Puis, les activités à terre qu’on considère plus facilement rattachées à l’économie bleue, comme les chantiers navals, une partie de la logistique portuaire, souvent liée aux grands armateurs avec les porte-conteneurs. Très souvent, ils dépassent le cadre du transport maritime, la même entreprise peut transporter également les conteneurs par train ou camion. CMA CGM par exemple est très intégré, ils ont les bateaux, ils font le transport mais aussi la logistique.

Finalement, cette économie bleue est très multiforme puisqu’elle concerne toutes les activités industrielles et tous les secteurs qui touchent aux océans, aux mers et à l’interface terre-mer.

L’innovation, de fait, est également multiforme et concerne la quasi-totalité des secteurs mentionnés. Vous avez de l’innovation dans la construction navale, sur la robotique sous-marine qui va servir la défense mais aussi l’exploration des mers et des océans pour aller dans les grandes profondeurs. La protection de l’environnement n’est pas en reste pour trouver des solutions qui réduisent les pollutions marines (identification et récupération des déchets, dont les déchets plastiques par exemple), mesures et suivi de la qualité des eaux côtières. Les Énergies marines. Par exemple, les éoliennes en mer, flottantes, n’existaient pas il y a une quinzaine d’années, on ne savait pas comment les faire et peu de monde croyait à cette solution. Après, on a imaginé faire flotter des systèmes qui font 180 mètres de haut, voire davantage, avec des grosses turbines tout en haut, avec une houle importante, du vent. Des prototypes sont en cours de test mais les solutions finales ne sont pas encore industrielles. Pour le houlomoteur et l’hydrolien, comme l’énergie thermique des mers, on est encore dans des phases de recherche expérimentale.

L’innovation doit permettre de développer l’économie bleue, de la transformer en croissance bleue. Cette croissance bleue se veut durable et innovante. Et c’est l’innovation qui va permettre de la rendre durable, au sens la moins impactante possible pour l’environnement, c’est-à-dire utiliser des matériaux et des énergies qui impactent peu l’environnement, qui puissent être recyclés, à faible émission de carbone, et demain à zéro émission de carbone puisque c’est l’objectif par exemple pour le transport maritime 2050. La difficulté, c’est comme cette économie est multiforme et multi filières, vous avez à chaque fois des secteurs particuliers qui vont pouvoir faire l’objet de politiques spécifiques, régionales, nationales ou européennes.

M. S. : La croissance bleue peut-elle être durable ? Une montée en gamme dans sa composante environnementale est-elle envisageable ?

P. B. : On voit bien que l’avenir de l’humanité va se jouer autour des mers et des océans, ceux-ci étant régulateurs du climat. Le grand public a maintenant connaissance depuis plusieurs années de leur rôle dans l’absorption du carbone et la production d’oxygène. La croissance bleue peut être qualifiée de durable. Je dirai qu’un des éléments clés, c’est d’essayer de ne plus utiliser d’énergies fossiles, ou un minimum. Il y a des secteurs comme les énergies marines renouvelables qui sont en plein dedans car c’est un bon relai de croissance pour des énergies non émettrices de gaz à effet de serre. On a pris beaucoup de retard dans les décisions politiques. Les industriels, les chercheurs et les scientifiques étaient prêts pour développer les éoliennes en mer mais l’État a un peu tardé à prendre les décisions. On est en train d’essayer de rattraper ce retard. Entre le moment où l’État décide de lancer un appel d’offres et le moment où les éoliennes entrent en production, il se passait 10-12 ans dans les cas précédents et on essaye aujourd’hui de réduire ce délai à 8 ans. C’est beaucoup. Il faudrait être capable de passer à 4-5 ans, et aujourd’hui ce n’est pas le cas.

Il y a également un énorme enjeu sur le développement durable des bioressources marines et de la pêche. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que la pêche soit vraiment durable. Il y a une volonté qu’elle le soit, mais par les techniques de pêche, l’utilisation pour la propulsion des énergies fossiles, le chalutage et les bateaux usines, ce n’est pas le cas. Il y a une volonté européenne et française d’aller vers ça, mais il y a encore du chemin à faire. Pour les pêcheurs, c’est une révolution d’être capable de pêcher des espèces spécifiques, de respecter des quotas, et d’arriver à en vivre. L’alternative serait l’aquaculture et en plus, on sait faire. Mais ce sont souvent les populations près des côtes qui n’en veulent pas. Il y a beaucoup de freins car on en veut bien la développer, mais pas devant chez soi. C’est dommage parce qu’on sait en faire de la biologique, en France notamment, en utilisant de la nourriture pour les poissons qui soit constituée de microalgues ou de farine d’insectes. Si on pêche des poissons en grande quantité pour les donner à manger à d’autres poissons, on n’a pas bien réfléchi à la boucle finale, ça n’est pas durable. Par contre, si on trouve d’autres moyens de les nourrir, qu’on réduise le nombre de poissons dans les cages d’élevage, qu’on n’utilise pas les antibiotiques pour ne pas impacter la santé et le milieu… On aura une aquaculture durable et pertinente qui pourra contribuer à nourrir la population mondiale sans appauvrir la biodiversité marine et c’est très important.

Au niveau de l’interface terre-mer, il y a aussi tous les rejets des stations d’épuration, les ruissèlements des eaux de pluie, ou les rejets des fleuves. On a un travail à faire pour minimiser ces rejets et ne pas retrouver ensuite dans l’environnement marin des substances chimiques, biologiques, de type molécules médicamenteuses, des plastiques qui se transforment en microplastiques et qui contaminent toute la chaîne alimentaire… Il y a des enjeux stratégiques et de santé publique liés à l’énergie et au climat autour des mers et océans, et donc à l’économie bleue. Je pense que c’est ce qu’on commence à comprendre et à prendre en compte. Toute la pollution des mers et océans vient à 95% de la terre. Ce n’est pas tant les pêcheurs et les bateaux qui font le gros des rejets.

Concernant la montée en gamme d’un point de vue environnemental, on est sur du court-moyen terme. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’acteurs qui se lancent, beaucoup de start-ups qui se créent. Il y a aussi bien sûr des grands groupes qui sont volontaires pour pousser ce développement, comme Veolia, Engie, EDF R sur les problématiques du littoral, ou des groupes de la défense comme Naval Group, Thalès, des chantiers navals et aussi les ports qui mettent en place des programmes comme le souhaite l’Europe « green et smart ».

Il y a une prise de conscience et une volonté d’aller assez vite, en s’appuyant sur l’innovation sous tous ses aspects et qui la plupart du temps est portée par des petites entreprises.

M. S. : L’économie bleue française pèse 1,5% du PIB français (d’après les données économiques maritimes françaises 2021 publiées par l’IFREMER[1]). Quelle est la politique de la France en la matière ? Comment encadre-t-elle ou encourage-t-elle ce développement ?

P. B. : Il y a un secrétariat d’État chargé de la mer qui est rattaché aux services du Premier ministre et qui s’appuie sur la Direction Générale des Affaires maritimes de la Pêche et de l’Aquaculture (en cotutelle avec un autre Ministère) et dispose aussi du Secrétariat général de la mer, qui est une autre structure, rattaché également aussi au service du Premier Ministre. Il existe aussi un Conseil National de la Mer et des littoraux et des conseils maritimes de façade qui couvrent l’ensemble des régions maritimes françaises. Un Comité interministériel de la mer présidé par le secrétaire d’État se réunit une à deux fois par an. On voit bien que l’organisation est donc intersectorielle et assez complexe, je ne la détaillerai pas car cela alourdirait le propos. Les sites de l’administration sont très bien faits et ils expliquent clairement les politiques menées.

Et puis il y a le ministère de l’Économie et des Finances qui a un œil sur une partie des financements de l’économie maritime, notamment au travers du Comité stratégique de filière des industriels de la mer. Ce comité rassemble 4 grands syndicats professionnels : le GICAN, le SER, la FIN et EVOLEN. Ces 4 syndicats, qui rassemblent beaucoup d’industriels de toute taille, se sont associés pour former ce comité. Il y a différents comités internes, dont un qui s’occupe de la R&D et qui a mis en place une instance appelée le CORIMER, qui lance des appels à manifestation d’intérêt pour des projets de R&D tous les ans. Les pôles de compétitivité sont impliqués dans la promotion de ces appels à projets, et dans l’instruction des dossiers. Les dossiers qui sont retenus sont présentés au CORIMER, où sont représentés les services de l’État (notamment les agences de financement comme BPI, l’ADEME…), les représentants des ministères et les représentants de la filière. Ces projets font l’objet d’expertises complémentaires et de cofinancement pour les meilleurs. Cette politique entre l’État et les industriels permet dans ces secteurs de financer des projets de R&D qui vont préparer l’avenir. C’est donc une politique volontariste. Il n’y a pas une enveloppe aussi importante que dans d‘autres secteurs, mais le besoin identifié par la filière reste de plus 100 millions d’euros par an dans ces domaines : énergies, construction navale, défense, transport, environnement…

Il y a également d’autres grands programmes nationaux, comme France 2030. Une ligne de ce plan concerne l’économie maritime : les grands fonds. À l’origine, cela concernait l’exploration et l’exploitation des grands fonds, mais finalement la France a déclaré vouloir un moratoire sur l’interdiction de l’exploitation minière. Pour l’instant, un certain nombre de pays suivent la France, d’autres non. La Norvège par exemple a autorisé l’exploitation dans ses eaux et délivre des permis. Les industriels français sont bien positionnés pour ce plan car il y a beaucoup d’avancées dans le domaine de la robotique, avec notamment un institut comme l’Ifremer qui a des engins pouvant aller à 6 000m de profondeur. Ils ont répondu et développé des systèmes qui peuvent aller faire la cartographie des grands fonds ou des inspections de câbles sous-marins, voire peut-être demain de l’exploitation si celle-ci vient à être autorisée. En tout cas, il y a des financements de l’État qui sont sur des projets de ce type-là. Il y a un très bon potentiel français dans ce domaine au niveau des industriels. C’est très important du fait de l’étendue de la zone économique exclusive (ZEE) française : on a une façade maritime importante en Métropole, mais aussi de nombreux territoires d’outre- mer, qui représentent une surface totale de plus de 11 millions de km2, soit la deuxième au monde. Dans notre ZEE, il y a des besoins de surveillance, de protection, d’exploration, et peut-être demain d’exploitation. Pour la France, c’est un enjeu non négligeable de montrer la voie à d’autres pays.

M. S. : La participation de la France à l’économie bleue européenne s’élève quant à elle à 9% en termes d’emploi et à 12% de la valeur ajoutée brute. Comment expliquer un tel poids ? Quelle approche des autres pays européens en la matière ? Et quelle volonté européenne de développement de cette économie ?

P. B. : Il y a une volonté européenne initiée dans les années 2000 avec la politique maritime intégrée de l’Europe, qui reconnaissait l’importance de la mer et des océans en disant également que cela relevait d’un domaine intersectoriel, d'où cette vision intégrée : essayer d’avoir une vision commune entre tous les pays européens.

Elle tourne quand même beaucoup autour de la pêche et de l’aquaculture, ce qui peut expliquer aussi un peu le décalage avec la France. Même si on a pas mal de pêcheurs, nous ne sommes pas très présents sur l’aquaculture, alors qu’on a des espaces et que l’Ifremer a quasiment inventé toutes les techniques d’élevage. La profession n’ayant pas eu de soutien politique suffisant, ni d’investisseurs prêts à aller sur ces sujets, le tout couplé à une faible acceptabilité des populations riveraines, les brevets ont été finalement exploités par d’autres pays. Sur la pêche, les pays du Nord ou l’Espagne sont plus présents et pèsent assez lourds.

On peut faire le même constat sur les activités portuaires, les grands ports du Nord faisant la course en tête (Anvers, Rotterdam, Hambourg, etc.). L’Espagne et l’Italie rivalisent aussi avec nos ports. Sur la construction navale, c’est plus équilibré avec notamment les Chantiers de l’Atlantique, grand constructeur de paquebots géants, ou Naval Group pour la défense, et pas mal de chantiers pour des unités spécialisés ou pour la plaisance. Cependant, malgré ses atouts, la France pendant longtemps ne s’est peut-être pas suffisamment intéressée à son domaine maritime. C’est en train de changer, depuis quelques années il se peut que ce différentiel avec d’autres pays maritimes européens soit progressivement rattrapé. Ce que font les industriels au travers du comité stratégique de filière c’est aussi de montrer qu’il y a un vrai tissu industriel maritime en France et qu’il faut le renforcer avec un soutien public plus affirmé.

Dans la politique maritime intégrée, il y a également un volet important sur les énergies renouvelables, la planification stratégique des espaces maritimes et l’environnement marin. La directive-cadre européenne Stratégie pour le milieu marin, qui s’applique à tous les pays de l’Union, vise à avoir des eaux saines sur toutes les côtes européennes avec des indicateurs qui sont les même pour tous et une obligation de planifier les usages sur les côtes. Cela va dans le bon sens et fera progresser les choses, la France prendra toute sa part.

M. S. : Quels sont les secteurs français en pointe en termes d’économie bleue ? Quels seront les défis auxquels ils auront à faire face dans les prochaines années ?

P. B. : On peut citer la défense, même si c’est spécifique, car la Marine nationale est d’un très bon niveau et on a un constructeur leader - Naval Group - qui sait tout faire : des porte-avions, des frégates, des patrouilleurs, des sous-marins nucléaires… c’est une force et une industrie de pointe. Derrière ce grand groupe, on a beaucoup d’autres entreprises et d’autres chantiers, avec des spécialistes qui font des systèmes embarqués, du logiciel… C’est tout un écosystème.

Au niveau des chantiers, on a quand même des fleurons dans le naval civil avec les Chantiers de l’Atlantique qui reste leader sur les grands bateaux de croisière et se lance aussi dans les énergies marines. Et sur la plaisance, où la France est le premier constructeur européen et le second mondial avec un groupe comme Bénéteau-Jeanneau mais aussi Fountaine Pajot (catamarans de luxe), Dufour (voiliers) et quelques autres. Le défi de ces chantiers sera de prendre le virage de la décarbonation et du recyclage des unités usagées. L’innovation y contribuera.

Sur la pêche et l’aquaculture, ce n’est pas là qu’on est les meilleurs, on peut s’améliorer.

Concernant les ports, on a des mutations qui se font avec une volonté d’avoir des grandes portes d’entrées - Le Havre, Marseille, Dunkerque - avec des grands axes qui permettent de structurer le territoire à partir d’elles. La création d’Haropa pour l’axe Le Havre-Rouen-Paris, l’axe Méditerranée-Rhône-Saône avec Marseille-Fos et les autres ports de la façade méditerranéenne jusqu’à Lyon et au-delà en Bourgogne par exemple. Le défi des ports sera d’être plus « vert », toujours la décarbonation notamment et « smart » en utilisant beaucoup plus le numérique.

Sur les énergies marines, on a des grands acteurs comme EDF renouvelables, Engie, Total, et des fournisseurs de composants qui émergent comme BW Ideol (plate-forme flottante). On peut penser que dans ce domaine on aura aussi des champions, même si on a plus les constructeurs de nacelles, de génératrices, de pales qui ont des usines en France mais sont passés sous capitaux étrangers pour la plupart… C’est tout un secteur industriel qui est en train de se développer, de l’industrie lourde et les ports vont également y prendre leur place car pour construire ces éoliennes géantes posées ou flottantes, il faut une logistique portuaire extrêmement importante (des dizaines d’hectares disponibles, des quais des moyens de levage, etc). Cela va être un enjeu majeur. Le défi c’est d’accélérer et de donner une visibilité suffisante aux industriels car les investissements sont gigantesques et se comptent en dizaines de milliards d’euros.

Nous sommes également bien placés sur la protection de l’environnement, sur le fait d’être capable d’identifier les espèces en danger et instaurer des mesures de protection/préservation que ce soit au fond des mers ou dans la masse d’eau. Nous disposons de beaucoup d’aires marines protégées et de parcs marins sur les différentes façades maritimes françaises. Sur la restauration de l’environnement marin, la lutte contre l’érosion, on a des PME très performantes et qui exportent.

On peut citer aussi les biotechnologies bleues où la recherche française est performante et génère des starts up sur l’utilisation des ressources du vivant : Algues, Microalgues ou d’autres espèces vivantes à partir desquelles on va identifier des molécules d’intérêt pour le secteur de la santé, de l’agroalimentaire voire de l’industrie. C’est un nouveau défi et qui nécessitera de soutenir ces pépites financièrement (capital risque).

M. S. : Quel est l’objectif d’un pôle de compétitivité comme le pôle Mer Méditerranée ? En quoi s’ancre-t-il dans ce processus vertueux ?

P. B. : Le pôle de compétitivité Mer Méditerranée couvre la façade méditerranéenne française. Son objectif c’est le développement durable de l’économie maritime. Pour y arriver, il doit faire travailler ensemble différents acteurs : d’une part, les entreprises (de toute taille), les acteurs de la recherche (universités, instituts, laboratoires, etc.), et les acteurs de la formation. L’objectif du Pôle est de favoriser l’innovation collaborative entre ces acteurs pour développer de nouveaux produits et services. Il faut s’assurer que cela bénéficie au territoire et donc croiser le tout avec les politiques publiques régionales voire métropolitaines en fonction de l’échelle, mais également nationale et européenne.

Pour rappel, c’est l’État qui a lancé la politique des Pôles fin 2004 et qui attribue le label, mais aujourd’hui ce sont les régions qui ont pris le relai au niveau de leur cofinancement notamment. Les Pôles ont donc un ancrage territorial très fort, avec une masse critique d’acteurs capables d’innover. Les entreprises qui innovent en s'appuyant sur la recherche académique élaborent de nouveaux produits et nouveaux services qu’ils vont commercialiser sur un marché national et international. Ils vont alors développer leur chiffre d’affaires et donc recruter, favorisant l’emploi régional. C’est un cercle vertueux.

Le Pôle Mer Méditerranée joue ce rôle sur trois Régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Corse ; son influence s’étend même au-delà sur tout le bassin méditerranéen.

Il couvre tous les secteurs de l’économie bleue que j’ai évoqués précédemment avec une volonté de renforcer la souveraineté de la France dans le secteur maritime (innovation et réindustrialisation), tout en poussant ses membres à prendre en compte dans leur développement la transition écologique et numérique. On peut dire qu’avec son homologue breton, le Pôle Mer Bretagne Atlantique, depuis bientôt 20 ans d’existence, ces deux pôles ont rempli leurs objectifs et sont devenus incontournables dans le paysage européen de l’innovation maritime.

[1] Kalaydjian Regis, Bas Adeline (2022). Données économiques maritimes françaises 2021 / French Maritime Economic Data 2021, IFREMER, 126p. https://doi.org/10.13155/88225

28/04/2024

Dernières publications