Tribune K2 de l'Amiral Alain de Dainville

07/01/2021 - 6 min. de lecture

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L'Amiral (2s) Alain de Dainville est ancien Chef d'État-major de la Marine.

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L’Afrique ce grand continent, 20 % des terres émergées, 25 % de la population mondiale en 2050, divisé en 54 États aux frontières floues, coincé entre deux océans, pris en tenailles entre la pénétration atlantique et celle de l’Océan Indien, a le triste privilège d’accueillir des affrontements majeurs, importés de l’étranger, alors qu’elle a suffisamment de difficultés propres à surmonter.

Le continent est marqué par la faiblesse politique, une des raisons du développement de la piraterie dans le Golfe de Guinée. Certains de ses dirigeants mettent le pays à leur service, là où l’on attendrait l’inverse. Le vide laisse à la place à la domestication, car si le proverbe africain recommande "parle doucement et porte un gros bâton", le gros bâton a disparu. Celui de l'ONU se montre incapable de restaurer la paix. Son principal contributeur de troupes défend ses intérêts et les organisations régionales montrent leur limites. Les pays africains sont devenus pour la Chine des réserves à voix pour renforcer sa position mondiale, favoriser l’élection de ses candidats à la direction des agences de l’ONU, défendre ses intérêts stratégiques fondamentaux mais controversés au Xinjiang, à Taïwan, au Tibet, dans la Mer de Chine méridionale, à Hong Kong, et soutenir l’affrontement de plus en plus acerbe avec les États-Unis et l’Europe. En Afrique, Pékin s’occupe davantage de droits juridiques que de droits de l’homme, sous couvert du principe de non-ingérence hérité des Pères fondateurs de la République populaire. Les esprits africains sont formatés par les 27 instituts Confucius du continent, les représentations diplomatiques veillent au grain et la fréquentation des universités chinoises par les étudiants africains ne cesse de croître.

 

Le talon d’Achille de la Chine

Les États-Unis, qui veulent contenir la Chine ou échapper au piège de Thucydide, ont compris que la partie se jouait en Afrique, où Xi Jinping montre à quel point les ressources naturelles ainsi que les marchés en devenir focalisent l’attention de sa diplomatie comme de ses entreprises. En dix ans, plus de 1 million de Chinois s’y sont installés pendant que leur pays y investissait près de 120 milliards de dollars. Ils imposent des infrastructures à leur service que les Africains, faute de pouvoir rembourser les prêts, paieront de leur asservissement.

Limiter l’accession de la Chine aux matières premières et aux marchés peut casser sa dynamique et transformer le continent en talon d’Achille dans sa course à la première place. Les États-Unis accroissent leur effort commercial, créent en septembre 2018 une institution financière, l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC), pour contrer l’influence chinoise. Pour endiguer sa croissance, ils encouragent l’Inde et la Turquie à développer leur commerce sur le continent, sans hésiter à briser la cohésion de l’OTAN, pour ne pas heurter la Turquie. La Russie s’immisce de plus en plus dans cette guerre commerciale : reste à savoir si les États-Unis répéteront l’erreur de les pousser dans le camp de la Chine.

L’Inde se voit un destin de puissance mondiale qui la force à s’intéresser à la rive africaine de l’Océan Indien. Elle s’y investit dans le commerce, où elle est devenue le deuxième partenaire commercial après la Chine, même si elle n’atteint que la moitié du volume de sa concurrente. Contrairement à la Chine qui investit dans les infrastructures pour écouler son acier, son ciment et ses marchandises, elle privilégie le soutien aux populations en s’appuyant sur une diaspora plus fidèle que ne l’est celle de la Chine.

Les grandes puissances s’affrontent en Afrique également au travers des ONG, où près de 2000 opèrent, que ce soient des GONGO à la chinoise ou des ONG anglo-saxonnes jamais très éloignées de leurs gouvernements. Elles développent également leur présence diplomatique, plus d’une trentaine de sièges chacune, aménagent une présence militaire, Djibouti en étant la capitale. Les États-Unis détiennent une trentaine de sites répartis entre bases principales et camps, avant-postes sous le commandement de l’Africacom. La Chine a construit une base importante à Djibouti, la Turquie s’implante militairement en Somalie et dans l’île de Suakin au Soudan, où la Russie vient de signer des accords, les Émirats et Israël sont implantés dans l’île de Socotra. L’Inde est présente militairement dans le nord de Madagascar et dans l’île mauricienne d’Agaléga. L’Europe y est représentée par la France.

 

L’action toxique de la Chine

L’action toxique de la Chine ne se limite pas à ces champs d’activités. Un triste exemple vient de la pêche, indispensable pour nourrir la population. La Chine, qui a trouvé au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest des eaux très poissonneuses et très peu surveillées, y déploie ses chalutiers, où ils opèrent soit illégalement, soit, même si le peuple n’y trouve pas son compte, grâce à des accords monnayés par certains dirigeants, privant les pêcheurs locaux de leur activité traditionnelle..

Ainsi, l’importation de la main d’œuvre chinoise, le pillage des ressources minérales et de la pêche contribuent, malgré l’adage africain "la pauvreté dans la dignité vaut mieux que l'opulence dans l'esclavage", à pousser les jeunes privés d’emplois à se radicaliser et à émigrer vers l’Eldorado. La Chine est une des causes de l’émigration économique. Certaines ONG s'impliquent sur le terrain, en lien avec des organisations des pays cibles.

La réputation chinoise est de plus en plus mauvaise, salie par la "diplomatie du piège de la dette", avec laquelle elle menace de s'emparer d'infrastructures stratégiques, mais aussi pour sa responsabilité dans le crise du Coronavirus. Au Nigeria, les magistrats réclament 200 milliards de dollars de dédommagement à la Chine pour compenser les dommages et les pertes humaines subies. Les Chinois passeront outre car ils s’accrocheront à cet indispensable levier de croissance qu’est l’Afrique.

 

La lutte pour le contrôle du sunnisme

L’Afrique n’est pas que le théâtre de l’avenir de l’hégémonisme des puissances. C’est le continent où les salafistes de l’État islamique, d’Al-Qaïda ou des Frères musulmans veulent saisir la faiblesse des pays pour instaurer chacun selon leur vision le Califat. Les djihadistes y trouvent un terreau plus fertile à leur action, malgré l’opération Barkhane, qu’à celle des Frères musulmans, car les urnes y sont plus funéraires qu’électorales.

Les Frères musulmans noyautent les ONG, les organisations liées à l’Union européenne et à l’ONU, avec le soutien de la Turquie qui y voit une belle occasion de combattre le wahhabisme, de redevenir le phare du monde sunnite et de récupérer les villes saintes dans le giron des anciens Ottomans.

Alliant prédication et actions sociale et humanitaire, les ONG islamiques, les organisations transnationales musulmanes et les fondations saoudiennes ont investi financièrement et idéologiquement le continent africain pour imposer leur interprétation conservatrice de l'Islam. Aujourd'hui, les groupes terroristes qui sévissent au Sahel et en Afrique du Nord-Ouest profitent d'un environnement de plus en plus pétri de l'idéologie wahhabite où le conservatisme religieux s'est banalisé par des décennies d'une insidieuse pénétration doctrinaire, même si un attentat contre un imam vient de temps en temps freiner l’expansion. L'islam fondamentaliste saoudien est le terreau sur lequel sont nés et prospèrent le salafisme et le djihadisme armé qui, financés par les trafics maritimes de la drogue et d’êtres humains, minent les sociétés africaines. Ils sont renforcés par les djihadistes syriens, mercenaires de la Turquie, dans la guerre de Libye, puis expédiés au sud, particulièrement au Niger, où les Turcs veulent installer une base militaire.

Ainsi en Afrique, la Chine veut gagner des marchés, parfois avec l’aide des entreprises françaises implantées traditionnellement sur le continent, et pomper les ressources. Elle prive sans vergogne les Africains de travail, les pousse à l’émigration en Europe avec l’aide d’ONG influentes. Les États-Unis ont compris qu’il était stratégiquement essentiel de s’opposer à la croissance chinoise avec l’aide commerciale de l’Inde et de la Turquie et l’inconnue russe. La Turquie s’oppose à ses alliés de l’OTAN par son aide à la pénétration des Frères musulmans. Elle soutient également le djihadisme qui veut contrôler les passages en Méditerranée des humains embarquant en Libye. L’Arabie Saoudite poursuit son prosélytisme wahhabite, creuset du djihadisme. Ce même djihadisme menaçant le fondement des monarchies du Golfe les pousse à soutenir le G5 Sahel. En Afrique, comme ailleurs, Riyad s’oppose à Ankara, pour ne pas perdre le leadership de l’islam sunnite.

Il est temps de remettre de la cohérence dans la savane !

Amiral (2s) Alain de Dainville

07/01/2021

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