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Jean-Michel Garrigues est Associé, RH et Développement au sein de BLB Associés.
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"Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile" (Albert Camus, Noces à Tipasa). Un mantra volubile, et un destin doucereux. Pourtant, nous vivons un semestre culbuto, un roller coaster temporel totalement imprévu. Qu’en faire ?
L’horizon chimérique
Ces derniers mois, tant disaient "plus jamais ça". De tous âges, de tous bords, de toutes conditions. Impossible, juste avant, d’imaginer l’essentiel d’un monde stoppé en quelques jours, comme une météorite géante anéantissant les dinosaures en un clin d’œil appuyé.
Voici la lagune vénitienne peuplée de faune ondulante, voici les forêts emplies de gibier paisible, voici l’apparition subite d’un silence assourdissant, de quoi convertir même les moins prosélytes aux vertus d’une nature enfin autogérée. Comment vouloir autrement, sauf à devenir ou demeurer un suppôt quasi-satanique d’un monde en surrégime permanent ?
Une vague de néo-convertis a déferlé sur les réseaux sociaux, assénant leur rêve d’un lendemain meilleur, pendant que s’étripaient les garants de certitudes, nous rappelant ce mâle propos d’Umberto Eco : "les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles, qui, avant, ne parlaient qu’au bar, et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite, alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel".
Chaque diatribe pro ou anti hydroxychloroquine, pro ou anti gestes-barrière ou distances de sécurité, illustre malheureusement la fracture intellectuelle du citoyen moderne, pour lequel seule compte son opinion sur toute vicissitude de la marche du monde, qu’elle concerne son quartier ou les antipodes.
Et pourtant, beaucoup se retrouvaient dans une imagerie fantastique d’un univers devenu pédestre, sylvestre, alpestre, dans lequel télétravail harmonieux, économie collaborative et quotidien sociétal embaumeraient une atmosphère devenue soudainement limpide.
La dissonance harmonique
Évidemment, il est bien tôt pour atermoyer sur la forme prophétique des nuages, à défaut de disserter sur le sexe trouble des anges. Laissons sa chance au produit, comme diraient les affreux marketeurs de la vieille époque. Les plus belles histoires d’amour sont improbables, dit-on chez l’un ou l'autre dirigeant du monde, lesté d’une forte différence d’âge avec son conjoint.
Mais, en fait, le monde d’après, ne serait-ce pas le monde d’avant, qui se fout de l’après, comme avant ? Que constater des premières ébauches d’un retour à une réalité, certes encore instable, mais tangible ? Eh bien, sans nul doute, que la montagne imaginaire a accouché d’une souris bien réelle, bien charnelle, bien véloce.
Le leitmotiv universel est de reprendre la course contre le temps, plus vite, plus haut, plus fort. Tenter de rattraper le temps perdu, de pallier du mieux possible ces longues semaines de sidération absolue, de condensation viscérale des énergies soudain inertes. Vouloir du mieux possible effacer le confinement, oublier la pandémie, courir vers l’horizon.
Aucun pays, aucun pouvoir, aucun acteur n’y échappe. Une fuite éperdue vers le passé, retrouver un environnement connu, voulu, rassurant. Voici venu le temps des moyens illimités, des ressources inépuisables, de l’open bar financier. À votre bon cœur, Messieurs, Dames, charités continentales et bourses nationales confondues.
L’orthodoxie budgétaire est savamment broyée à la moulinette, la capacité d’endettement est devenue un enseignement magistral théorique, l’équilibre financier laisse place à la théorie de la subsidiarité arrangeante (le souci n’est même plus le remboursement du capital à l’échéance mais, au mieux, celui du paiement régulier des intérêts).
La conjonction pragmatique
Comment concilier les urgences financières et les espérances environnementales ? Comment assumer les contraintes irrépressibles et les convictions idéologiques ? Faut-il jeter les bébés (contaminés) avec l’eau (polluée) des mers ? Doit-on considérer un hiatus éternel ou appeler un consensus accessible ?
Rien ne constate mieux l’injonction contradictoire des paradigmes temporels : la nécessité semble duale, tant dans l’approche froidement pragmatique que dans la vision résolument stratégique. Les praticiens de l’argent omniscients contre les apôtres du besoin raisonné. Un combat séculaire, des approches renouvelées, mais comment échapper à une réflexion holistique, à une distanciation prolifique ?
Le mieux est souvent l’ennemi du bien, dit avec raison l’adage populaire. Mais pourquoi confondre vitesse et précipitation, pourquoi opposer réaction nécessaire et réflexion inévitable ? Aucun grand dirigeant public n’a pu, au fil du temps, éviter de mêler tactique et stratégie, action de court terme et regard de long terme.
Pourquoi refuser de tels enseignements ? Pourquoi contourner la mesure, pourtant si louable en ces temps incertains ? Non, refuser l’emprise économique immédiate est suicidaire, mais écarter les besoins d’un monde nouveau serait criminel. Évidemment, toutes les forces d’aujourd’hui doivent être consacrées au rétablissement d’un contexte porteur, sous peine sinon d’incidences sociales inacceptables pour les acteurs politiques, déjà meurtris par la casse probable des temps prochains.
Prenons le temps de donner du temps au temps. De concilier la gestion évidente des besoins quotidiens et la détermination d’un avenir meilleur. D’imaginer les désirs de demain pour en faire les souhaits d’aujourd’hui. La raison d’être inonde les tabloïds autorisés, sans trop savoir d’ailleurs, pour la plupart, que faire de cette patate chaude.
Comme souvent, cette belle idée ne vaudra que par les constats qui pourront en être faits. Elle nécessite une révolution de la confiance, dans un pays miné par la défiance. Refonder l’entreprise mais aussi transformer la société, en commençant par réformer l’école. Les notions sont à la mode : activité collaborative, intelligence collective, exemplarité des acteurs économiques, conscience sociétale et écologique. Formons des vœux ardents que ces approches humanistes ne restent pas… des vœux pieux.
29/09/2020