L’intelligence artificielle dans l’industrie

13/09/2023 - 10 min. de lecture

L’intelligence artificielle dans l’industrie - Cercle K2

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Lionel Faure est Directeur de Projet de Performance Industrielle et Digital & Youness Laamiri Responsable Excellence Opérationnelle, SPIE Nucléaire

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"La création d'une intelligence artificielle serait le plus grand événement de l'histoire de l'humanité. Mais il pourrait aussi être l'ultime", Stephen Hawking

 

Comment définir l’Intelligence Artificielle (IA) ? Partons des définitions de l’intelligence humaine puis allons vers celle de l’intelligence artificielle et citons différents types d’IA.

Deux définitions sur l’Intelligence issues du Larousse [1] : "Ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle" et "Aptitude d'un être humain à s'adapter à une situation, à choisir des moyens d'action en fonction des circonstances".

Une définition de l’Intelligence Artificielle du Conseil de l’Europe [2] : "l’IA est en réalité une discipline jeune d’une soixantaine d’années, qui réunit des sciences, théories et techniques (notamment logique mathématique, statistique, probabilités, neurobiologie computationnelle et informatique) et dont le but est de parvenir à faire imiter par une machine les capacités cognitives d’un être humain. Les spécialistes préfèrent en général employer le nom exact des technologies concrètement en œuvre (qui relèvent aujourd’hui essentiellement de l’apprentissage automatique – machine learning) et sont parfois réticents à employer le terme d’intelligence, car les résultats, bien qu’extraordinaires dans certains domaines, demeurent encore modestes au regard des ambitions entretenues".

Selon Arne Wolfewicz auteur de Growth Machine Builder - Deep Learning vs. Machine Learning – What’s The Difference ? [3], « l'apprentissage automatique (Machine Learning) signifie que les ordinateurs apprennent à partir de données en utilisant des algorithmes pour effectuer une tâche sans être explicitement programmés. L'apprentissage profond (Deep Learning) utilise une structure complexe d'algorithmes inspirée du cerveau humain. Il permet de traiter des données non structurées telles que des documents, des images et du texte. »

Pour aller plus loin, nous ne pourrions pas ne pas citer la définition de l’IA générative, "d’après ChatGPT (Generative Pre-Trained Transformer), l’Intelligence Artificielle générative est un sous-domaine de l’intelligence artificielle qui se concentre sur la génération de contenus ou de solutions à partir d’un modèle appris à partir de données. L’objectif est d’offrir une réponse, de produire du contenu ou des solutions qui sont bien écrites, convaincantes, crédibles en lien avec le contexte décrit par la requête et éventuellement avec un ton si la requête l’indique (formel, informel, professionnel, humoristique)" [4].

Si les définitions sont posées, pas un seul jour ne passe sans que ne se créent de nouveaux modèles d’intelligence artificielle. Cette technologie évoluant très rapidement, il nous faut la maîtriser et par conséquent, l’encadrer, sans l’étouffer, car elle peut s’avérer importante pour le progrès dans de nombreux domaines.

 

L’IA dans l’industrie : quelques cas d’usages

En termes de performances industrielles, l’intelligence artificielle permet de réaliser un saut technologique important. Jusqu’à maintenant, nous appliquions des méthodes éprouvées certes, mais quelque peu anciennes et figées. Ces méthodes avaient été empruntées notamment aux secteurs automobiles américain et japonais. De nombreuses possibilités apparaissent aujourd’hui, ouvrant la voie à la créativité des ingénieurs "industriels". L’adaptabilité des machines et des hommes se trouve plus que jamais mise en exergue. Les actions sont beaucoup plus rapides et peuvent directement être appliquées en amont des chaines de production, et certains problèmes évités en tenant compte des nombreuses données issues des retours d’expérience. L’IA fournit des aides à la décision pertinentes, car s’appuyant sur des modèles apprenants, alimentés par des données en permanence.

Dans l’industrie, l’IA trouve des usages variés et intéressants, qui, selon Lindsay Moore dans "10 AI use cases in manufacturing" [5], peuvent toucher les différents services de l’entreprise. Comme par exemple l’utilisation du RPA (Robotic Process Automation) pour réduire les tâches répétitives comme la saisie des factures ou pour réduire les erreurs ; les jumeaux numériques pour faciliter la conception et l’appropriation des environnements complexes ; l’éco-monitoring pour réduire la consommation des équipements ; la maintenance prédictive pour détecter les comportements à risques et alerter sur les défaillances des machines et équipements avant que cela ne se produise les chatbots pour accompagner les utilisateurs et leur délivrer les réponses à leurs questions à l’aide d’un formulaire de chat en ligne ; la gestion des niveaux des stocks et le passage des commandes de façon autonome…

Le nombre d’exemples de l’utilisation de l’IA dans l’industrie ne cesse de grandir. Nous en trouvons dans tous les processus d’aide à la prise de décision, tant au niveau opérationnel, technique que décisionnel et stratégique. Cette technologie est devenue omniprésente dans notre quotidien d’industriels.

 

L’humain au centre

Depuis la création des automates mécaniques, qui en premier lieu servaient pour le divertissement (automates d’art), leurs évolutions vers des automates électromécaniques industriels puis programmables ont eu pour objectif d’améliorer la performance des humains et d’augmenter la cadence de production, pour répondre aux besoins d’un marché en croissance. L’humain conçoit, crée la machine, lui alloue un domaine d’actions bien défini et limité par des barrières physiques.

Le développement rapide de l’informatique a permis d’étendre le périmètre d’actions des automates en leur donnant la possibilité de prendre des décisions. Les premiers actionneurs-asservisseurs permettent, par exemple, de déclencher une soupape lorsque la pression dépasse une valeur précise et de façon automatique ou autonome. L’être humain délègue une partie de son discernement à la machine, qui l’assiste et qui agit selon des règles préétablies.

Grâce au développement des technologies de mesures (capteurs, transmetteurs, etc.), de plus en plus de robots autonomes voient le jour. Le robot est devenu plus performant, plus précis et ne demande que peu d’entretien. L’idée de l’Homme est de confier aux robots les tâches à faible valeur ajoutée et à forte pénibilité. Pour que le robot fonctionne de façon optimale, il a besoin d’experts pour le concevoir, le fabriquer, le programmer et le maintenir. L’humain se préoccupe maintenant du maintien en bon état de fonctionnement de la machine. 

Isaac Asimov et John W. Campbell ont formulé en 1942 les trois lois de la robotique, c’est-à-dire les règles auxquelles tous les robots, qui apparaissent dans leurs romans de science-fiction, doivent obéir. Selon ces deux auteurs, un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger ; un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres entrent en contradiction avec la première loi ; un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi. Ceci a signé le début du travail sur l’éthique et la déontologie de l’utilisation de la machine, mais sans encore se pencher sur les questions juridiques qui sont toujours d’actualité.

Vient par la suite le "cobotisme" qui consiste en une collaboration entre l’humain et le robot pour effectuer des tâches qui nécessitent une surveillance humaine comme la télé-chirurgie, le déminage, l’intervention en milieu à risques… l’humain agit par le biais d’une interface homme-machine sur une opération précise tout en étant assisté par la machine dans ses actes et décisions.

L’évolution de la collaboration entre l’Homme et la machine a connu une croissance fulgurante, au moment où l’Homme a mesuré le gain apporté par l’automatisation des tâches, le potentiel de la simulation numérique, la réduction des nombres d’essais industriels et cliniques, le pouvoir de la machine à travailler avec des données que le cerveau humain n’est pas capable d’analyser aussi rapidement que la machine…

Andra Keay, directrice de la Silicon Valley Robotics, une association de promotion des produits dérivés de la robotique, a proposé de développer les trois lois de la robotique et de les mettre au goût du jour. Les cinq nouvelles lois nous expliquent que les robots, y compris les intelligences artificielles et les technologies associées, ne doivent pas être utilisés comme des armes, insistant sur le fait que nous ne pourrons pas éviter ce phénomène, mais que nous devons tenter de le limiter. Que les robots doivent se conformer aux lois, notamment celles sur la protection de la vie privée. Que les robots sont des produits et en tant que tels, ils doivent être sûrs, fiables et donner une image exacte de leurs capacités. Que les robots étant des objets manufacturés, l’illusion créée ne doit pas être utilisée pour tromper les utilisateurs les plus vulnérables. Et enfin, il doit être possible de connaître le responsable de chaque robot.

Les apports de l’intelligence artificielle et des technologies associées ne sont plus à prouver, celles-ci permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives pour les citoyens et les entreprises, d’avoir une incidence directe sur tous les aspects de nos sociétés, de modifier en profondeur le marché de l’emploi et d’exercer une influence sur l’ensemble des secteurs d’activité. L’humain continue de jouer un rôle de premier plan dans la création des algorithmes et des univers numériques, dans lesquelles l’intelligence artificielle va apprendre des données disponibles, identifier les trames, modéliser les échanges, prédire les comportements, agir sur nos environnements numériques et physiques, s’auto-maintenir, voire créer de nouvelles IA en autonomie.

Plusieurs questions d’ordre éthique, déontologique, juridique et technique peuvent se poser. Quelle est l’identité juridique de l’IA ? Qui est responsable des décisions et actions prises par l’IA ? Comment mettre en place des garde-fous pour l’IA ? Comment s’assurer de la protection des données des utilisateurs, de l’application de la législation anti-discrimination et de la protection et la surveillance des marchés…

Des premières réponses seront apportées par l’Union Européenne, qui réglementera l’utilisation de l’intelligence artificielle par la loi sur l’IA [6] [7], la première loi globale sur l’IA au monde. Les règles diffèreront selon les différents niveaux de risques (inacceptable, élevé ou limité). L’objectif étant de parvenir à un accord d’ici fin 2023.

 

Conclusion

En juillet 2023, en Suisse, lors du sommet mondial sur l’intelligence artificielle, organisé par les Nations Unies, s’est déroulée la première conférence de presse tenue par neuf robots humanoïdes devant un panel de journalistes. Ces derniers ont posé des questions qui portaient sur les capacités de ces robots à évaluer des situations complexes, dont huit sur neuf étaient capables de se mouvoir et de s'exprimer sans intervention humaine. La plus connue des humanoïdes, Sophia, a assuré que ses semblables seraient de meilleurs dirigeants pour le monde, quant à Grace, elle nous a rassuré sur le fait qu’elle porterait assistance et soutien aux Humains et ne remplacerait aucun emploi existant. Selon ces mêmes robots, l'humanité devrait se montrer vigilante et prudente concernant le développement de l’intelligence artificielle. Mais ne l’oublions pas, l’IA ne fait que répéter une idée émise par des humains, idée pour laquelle elle ne met aucun sens, étant donné qu'elle est bornée à ses propres mécanismes, et en incapacité relative de créer.

L’évolution rapide de l’IA a continué d’impacter profondément la société et plus particulièrement la souveraineté économique et industrielle. La décision automatique prise par un robot ou par une intelligence artificielle est dénuée de préjugés et d’émotions, elle est purement analytique et contextuelle, elle ne fait qu’imiter des mécanismes et permet d’accélérer la prise de décision, d’analyser les comportements complexes des marchés, d’améliorer la productivité, de créer de nouveaux produits, par extrapolation, à partir de données existantes. L'IA ne connaît pas la peur, comme le suggérait, dans 2001 : L’odyssée de l'espace, HAL quand ses circuits sont coupés.… Le Graal de l’industriel.

Sauf que dans certaines situations, l’industriel a besoin de s’appuyer sur sa sensibilité, son intuition, sa vision, ses émotions… car il n’y aurait jamais eu de découverte de l’insuline ou de la pénicilline sans sérendipité. Les grandes découvertes sont souvent le fruit d’une erreur, d’une transgression ou d’une synchronicité (deux éléments distincts et sans relation apparente qui prennent un sens pour celui qui sait les voir, les comprendre et les rapprocher). À notre sens, de telles facultés humaines ne seront jamais modélisables par une approche algorithmique, même en s’appuyant sur des calculateurs quantiques.

L’Éducation est basée sur l’apprentissage de modèles parentaux et sociaux. Il n’est pas sûr que l’application de modèles mathématiques utilisés par l’IA puissent se substituer à ces modèles à multiples facettes. L’humain fait bouger les lignes et peut, pour détourner l’expression commune, sortir des "chantiers battus".

Néanmoins, l’IA présente de nombreux avantages comme dans le traitement des cancers, selon Anne Vincent-Salomon [8], pathologiste à l'Institut Curie à Paris : "les algorithmes d'intelligence artificielle nous aident à repérer les cellules tumorales qu'on n'arrive pas à voir avec nos outils actuels, et celles qui seront susceptibles de mieux répondre aux traitements. C'est ce qui nous permettra, on l'espère, de choisir au mieux les traitements, pour en ajouter ou en enlever, en faire moins ou en faire plus en fonction de paramètres qui auront été identifiés grâce à l'intelligence artificielle".

Lionel Faure & Youness Laamiri

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[1] Larousse : LIEN

[2] Conseil de l’Europe : LIEN

[3] Arne Wolfewicz, Growth Machine Builder - Deep Learning vs. Machine Learning – What’s The Difference ?, Levity, 15 février 2023 : LIEN

[4] Olivier Laborde et Antoine Carrière, "Pourquoi l’Intelligence Artificielle générative est une révolution d’envergure", Harvard Business Review, 11 mai 2023 : LIEN

[5] Lindsay Moore, "10 AI use cases in manufacturing", Techtarget, 20 janvier 2023 : LIEN

[6] et [7] Actualité du Parlement européen, "Loi sur l’IA de l’UE : première réglementation de l’intelligence artificielle" du 14 juin 2023 : LIEN et Nouvelles du Parlement européen, "Les eurodéputé prêts à négocier les toutes premières règles pour une IA sûre et transparente" du 14 juin 2023 : LIEN

[8] Anne Vincent-Salomon, "Institut Curie : l'intelligence artificielle utile dans la lutte contre le cancer pour adapter au mieux les traitements", Franceinfo, 24 septembre 2021 : LIEN

13/09/2023

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