La Chine nouvelle superpuissance

24/09/2023 - 10 min. de lecture

La Chine nouvelle superpuissance - Cercle K2

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Olivier de Maison Rouge est Avocat (Lex-Squared), Docteur en droit et Auteur.

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"La Chine est un géant qui sommeille. Lorsqu’il se réveillera, il étonnera le monde"[1], Napoléon 1er à Sainte-Hélène (1816).

Beaucoup a été dit sur la Chine depuis deux décennies, entre sa montée en puissance et sa rivalité avec l’Occident, désormais affirmée. Mais on ne peut parler de l’Empire du Soleil Levant sans évoquer sa longue et vieille histoire. Evoquer une civilisation, c’est interroger ses racines profondes. Aussi, après plusieurs siècles de dormition – et parfois de prédation par les Occidentaux – tel un Phénix, elle renaît de ses cendres.

En effet, longtemps la Chine a rayonné sur l’Asie, ignorant l’Occident avec qui les échanges étaient limités. Les Occidentaux étaient même relégués au rang des Barbares, à l’image des Grecs et ce qu’ils désignaient comme étant les "métèques" ou des Romains et les populations allogènes du monde latin.

A l’instar de la Chine contemporaine, l’Europe avait connu une période d’effacement relatif, pendant près d’un millénaire, après la fin de l’Empire romain (476 après JC). C’est avec la Renaissance que l’Europe a connu son regain, durant lequel la Chine passait dans l’ombre. Cette dernière subira au 19ème siècle les assauts des puissances européennes conquérantes, aboutissant à une humiliation de la Chine. La fin de la guerre froide et l’effondrement du bloc soviétique lui offrit sa revanche qu’elle tient désormais, tandis que l’Europe est à son tour entrée en léthargie.

Aujourd’hui, seuls les États-Unis sont en capacité de rivaliser avec la Chine, qui lui dispute son hégémonie dans un monde redevenu bipolaire. Cette montée aux extrêmes – à moins que ce ne soit là le piège de Thucydide – ne sera pas sans heurt.

Et, pour la première fois, sans doute, depuis 500 ans au moins, l’épicentre géopolitique de notre planète se trouve dorénavant en Asie.

 

La Chine : un empire pluriséculaire…

La Chine a longtemps ignoré l’Occident – et réciproquement – se concentrant sur sa sphère d’influence naturelle, à savoir l’Asie. Il faudra attendre l’exploration des Portugais au-delà du Cap de Bonne-Espérance pour que la Chine soit découverte par les Européens au XVIème siècle.

Or, la Chine contemporaine est le fruit de 12 dynasties, reflet de 4 000 ans d’histoire[2].

L’Empire du Milieu[3], par sa superficie et ses nombreuses frontières à défendre qui ne reposent pas systématiquement sur des barrières naturelles, a toujours été menacé d’invasion par ses voisins. Cela traduit les conflits localisés lors des intrusions barbares, outre les morcellements entres différents royaumes intérieurs. Les Shang, puis les Zhou, sont ainsi les premiers clans impériaux recensés (de -1122 à -256 av. JC). C’est ensuite la période dite des "Royaumes combattants" qui opposent les Wei, Chu, Han, Zhao, Qin et Zhou (-453 av. JC), décrits et régis par Sun Tzu dans L’Art de la guerre. C’est aussi l’époque de Confucius.

La dynastie des Qin s’impose alors sur les autres souverains (c’est la grande armée de Qin Shi Huangdi le "Premier Empereur", réalisée en terre cuite, qui sera découverte ensevelie à à Si-an en 1974). Pour se protéger des envahisseurs venus des Steppes, les premières grandes murailles sont alors édifiées. Les Han, qui renversent l’empereur (-206 av. JC), sont, quant à eux, à l’origine des premiers canaux de navigation intérieure. Ils conquièrent ensuite la Corée en -106 av. JC, dont ils font une colonie. Ce sont des paysans sédentaires, comme le sont restés les Chinois.

Après une longue période d’anarchie, dans un empire délité, la période des "Trois royaumes" (220 après JC) morcelle le territoire chinois : séparation entre les Wei, les Shu-Han et les Wu. En 404, le bouddhisme se propage dans tous les royaumes supplantant le confucianisme originel.

Le Général Yang Jian place les Sui au pouvoir en 581. Les Li assassinent le dernier Empereur Sui en 618, prenant le trône à leur tour. Ils livrent bataille aux Turcs dont ils sortent victorieux.

En 637, les Tang, qui ont pris possession de la Mongolie et de la vallée de l’Ili, édictent le code éponyme qui énonce près de 500 articles juridiques créant un cadre normatif strict à tout l’empire. Les Tang quitteront le pouvoir en 790. La Chine est alors à nouveau livrée aux querelles claniques jusqu’en 960. Durant cette période, le Viêt-Nam, qui était sous domination chinoise, prend son indépendance (939).

En 960, le Général Zhao Kuangyin installe les Song à la tête de l’Empire et procède à l’unification du pays qu’il pacifie. La poudre à canon est inventée en 1044. La monnaie papier apparaît et se diffuse dans l’Empire. La mesure du temps est connue, ainsi que la boussole. La paix profite à l’essor du commerce intérieur et au développement des villes, tandis qu’émerge une bourgeoisie d’affaires assise notamment sur la culture du ver à soie.

En 1153, les Jin prennent possession de la Chine du Nord, jusqu’en 1234, tandis que les Song conservent leur domination sur le Sud. Gengis Khan règne pour sa part sur la Mongolie depuis laquelle il part à ses conquêtes, dont la Chine du Nord. En 1253, ayant chassé les Jin, l’Empereur mongol Quilai, installe sa capitale à Pékin, qui devient le centre politique et économique de la Chine. Il favorise l’expansion du bouddhisme. La dynastie prend le nom de Yuan. Marco Polo séjourne alors à Pékin en 1275 à l’occasion de son expédition chinoise.

En 1368, les Ming disputent le pouvoir aux Yan et unifient toute la Chine sous leur autorité. Ils continuent régulièrement à combattre les Mongols. Les Ming partent à la conquête de l’Indonésie, de Ceylan, du Golfe persique, de l’Arabie et des côtes d’Afrique, pour installer des comptoirs commerciaux. La Chine connaît alors un essor en matière navale et commerciale. Les Ming installent leur capitale à Pékin (1421). Ils renforcent la Grande muraille au Nord pour se concentrer sur leur puissance maritime. La porcelaine est produite à l’échelle industrielle et attire des convoitises. La Route de la Soie permet d’écouler les stocks d’étoffes précieuses vers l’Occident. La dynastie s’avère être une période faste pour l’empire.

 

… affaibli au contact des Occidentaux : l’opium comme levier d’asservissement

Les Portugais prennent possession des premières côtes chinoises en 1514-1516 et s’installent à Macao en 1557. Ils arrivent ensuite à Pékin en 1598. Avec le suicide de l’Empereur décadent Chongzhen, en 1644, la dynastie Ming s’éteint.

Les Mandchous (dynastie Quing) prennent le pouvoir, se comportant en envahisseurs brutaux. En 1662, en raison de la piraterie qui menace les navires chinois, l’Empereur ferme les comptoirs côtiers, ce qui met fin au commerce naval précédemment développé par les Ming. Le Traité de 1689 avec les Russes fixe les frontières avec la Sibérie. En 1751, les Chinois prennent le contrôle du Tibet. La paix intérieure permet à la Chine d’étendre son influence sur la Corée, le Népal, la Birmanie, le Siam, les Philippines et le Viêt-Nam qui sont des états vassaux. La population croît sur le versant continental ; l’activité économique demeure très agraire.

Commence alors pour la Chine un temps qui ressemble, quelques siècles après, au Moyen-âge que l’Europe a précédemment connu. Cela concourt à la faire sortir, provisoirement, de l’Histoire.

Lord Macartney, à la tête d’une délégation commerciale britannique, se rend à Pékin en 1793 et refuse de se soumettre à l’Empereur. Dans le même temps, l’East India Company importe clandestinement de l’opium dans l’Empire du Milieu. En 1840-1842, est livrée la première guerre de l’opium, qui se solde par le Traité de Nankin lequel voit Hong-Kong être cédée à la Grande-Bretagne tandis que la France et les États-Unis obtiennent des privilèges commerciaux. De son côté, en 1850, la Russie prend possession de l’estuaire du fleuve Amour, contrôlant l’accès fluvial intérieur (Traité de Kouldja).

En 1858-1860, une nouvelle "guerre de l’opium", au cours de laquelle le corps expéditionnaire franco-britannique se livre au célèbre "sac du Palais d’été", s’achève par le Traité de Tientsin qui ouvre la Chine à 11 nouveaux ports occidentaux et donne à la Russie la province de l’Oussouri. Un second Traité de Tientsin est signé avec la France en 1885, portant sur le Tonkin qui devient possession française.

Au terme de la guerre sino-japonaise de 1894-1895, la Chine est vaincue et doit abandonner à son ambitieux voisin Formose et les îles Pescadores, par le Traité de Shimonoseki. Les Russes s’emparent de Port-Arthur.

À son tour, l’Allemagne prend pied en Chine et parvient à se faire attribuer Kiao Tchéou dans la péninsule du Shandong. En parallèle, la France et la Grande-Bretagne obtiennent de nouvelles concessions. Les Anglais nomment cette période le "break up of China" (le démantèlement de la Chine). En riposte, le mouvement des Boxers voit le jour en opposition au démembrement en cours affaiblissant leur patrie.

En 1899, par la voix du Secrétaire d’État John Hay, les États-Unis prônent la libre-concurrence en Chine entre les puissances européennes, afin d’en tirer à son tour tous les bénéfices. C’est l’affirmation de la doctrine de la "porte ouverte". La Chine devient offerte malgré elle au monde entier. Cet évènement a pour conséquence immédiate la prise de Pékin par les Boxers qui assassinent l’ambassadeur allemand et occupent les légations étrangères. C’est l’épisode des "55 jours de Pékin" qui s’achève par l’arrivée d’un corps expéditionnaire international qui réprime la rébellion patriotique. À l’issue, la Chine se voit contrainte à payer une lourde amende aux puissances occupantes.

Après cet incident, à son tour, le Japon réclame son dû et livre une guerre à la Russie (1904-1905) pour obtenir le Liao-Toung et Port-Arthur. Au même moment, à Tokyo, Sun Yat-Sen fonde l’ancêtre du parti Guomindang qui prône l’indépendance de la Chine et la fin de la monarchie impériale.

En 1911, la Mongolie est annexée par la Russie alors que Sun Yat-Sen est proclamé Président de la nouvelle République chinoise à Nankin. Il engage des réformes sociales. Le Tibet profite de cet évènement pour prendre son indépendance. Le Japon fait valoir ses droits sur la Mandchourie et récupère en 1919 les droits de l’Allemagne vaincue. La Chine est livrée aux "Seigneurs de la guerre" qui luttent les uns contre les autres pour leur pouvoir provincial, accentuant la faiblesse du pays. En 1921, est fondé le Parti communiste chinois à Shangaï. La Conférence de Washington confirme le droit des neuf puissances sur la Chine.

À la mort de Sun Yat-Sen, le Guomindang passe entre les mains de Tchang Kaï-chek qui rompt avec les communistes qui les avaient rejoint et s’empare du pouvoir (1928).

En 1932, le Japon fait la conquête de la Mandchourie qui devient "Mandchoukouo", plaçant à sa tête le fantoche Pu-yi (le "Dernier Empereur" chinois qui a inspiré le cinéaste italien Bernardo Bertolucci). Par suite, le Japon poursuit sa progression en Chine. Le 26 juillet 1937, le Japon envahit la Chine, Shangaï, puis Nankin et Canton tombe dans les mains des nippons.

Dans le même temps, Mao Zedong, à la tête du Parti communiste, pourchassé par le Guomindang, effectue sa "longue marche" (1934). Mais, contraints par la prédation japonaise, le Parti communiste et le Guomindang s’unissent dans la lutte contre l’envahisseur. En 1942, Tchang Kaï-chek est soutenu par Roosevelt, tandis que le Parti communiste prône le nationalisme. À la libération, les affrontements entre le Guomindang et les Communistes reprennent qui aboutissent à la défaite du premier en 1949. Tchang Kaï-chek et les siens se replient (ou plutôt s’exilent) à Taïwan. Ma Zedong proclame la République populaire de Chine.

Elle soutiendra dans sa lutte contre les Occidentaux, la Corée du Nord (1949-1953), puis le Viet-Nâm (1945-1975) et le Cambodge. La Chine participera à l’émergence du Tiers-monde lors de la conférence de Bandung (1954). La propriété collective est instaurée lors du "Grand bond en avant" (1958). Des famines rurales causant la mort d’une grande partie de la population s’en suivent. Mao Zedonc est alors écarté du pouvoir. La révolte du Tibet qui a des velléités d’indépendance est écrasée en 1959, le Dalaï-lama est condamné à l’exil. La Chine se dote de l’arme nucléaire en 1964 et de la bombe H en 1967. Mao Zedong reprend les rênes du Parti (PCC) avec la "Révolution culturelle" (1968) qui aboutit à des purges par les gardes rouges, tenants de l’orthodoxie la plus stricte. En 1970, la Chine parvient à lancer dans l’espace un premier satellite, faisant d’elle une puissance spatiale. Tchang Kaï-chek meurt à Taipei en 1975 et Mao Zedong en 1976.

Deng Xiaoping s’affirme alors comme l’homme fort du Parti communiste chinois. Il ambitionne de recouvrer la puissance économique de la Chine et crée les premières "zones économiques spéciales" (ZES) en 1979 pour attirer les entreprises occidentales. Il autorise les sociétés mixtes et met fin au collectiviste d’État, en favorisant la propriété privée agricole. Cette ouverture libérale relative se solde néanmoins par le massacre de Tiananmen (1989).

Son successeur Jiang Zemin (1993) prône "l’économie socialiste de marché" en vue d’attirer les capitaux étrangers (IDE). Le 1er juillet 1997, la Chine reprend le contrôle de Hong-Kong qui avait confié en concession à la Grande-Bretagne, de même pour Macao repris au Portugal en 1999. Lors du 4ème plenum du Comité central du PCC Hu Jintao est investi comme Président de la République populaire de Chine, Secrétaire général du PCC et Chef des armées. Xi Jinping est nommé Vice-président (2008-2013). Après une période de purges internes pour motifs de corruption, il prend le pouvoir, écartant ses rivaux, et inscrit sa pensée dans la Constitution chinoise (2018) qu’il modifie de manière à conserver la direction des affaires sans limitation de temps.

Depuis lors, la Chine affiche aux yeux du monde sa puissance économique, militaire et diplomatique.

C’est donc avec ce temps long, fait d’inventions majeures, d’art de la guerre, de dominations, clos par les humiliations occidentales, qu’il faut comprendre le redressement de la Chine et sa volonté de puissance. Elle prétend autant prendre sa revanche – notamment en pratiquant l’espionnage économique – après le vol de ses savoirs-faires (porcelaine, culture de la soie, poudre à canon, etc.) et sur l’asservissement par l’opium.

Méfions-nous des nations humiliées.

Olivier de Maison Rouge

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[1] Cette citation n’est pas sans rappeler le titre régulièrement cité de l’ouvrage célèbre d’Alain Peyrefitte, Quand la Chine s’éveillera (Fayard, 1973), mais dont la seconde partie est souvent tronquée "… le monde tremblera".

[2] Conrad Philippe, "Les douze dynasties qui ont fait la Chine", in La Nouvelle Revue d’Histoire, n° 19, juillet-août 2005, pp. 52-60.

[3] Expression qui traduit l’idée d’être le centre du monde.

24/09/2023

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