La justice pénale en panne au temps du COVID-19

02/06/2020 - 3 min. de lecture

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Emmanuel Pierrat est avocat, écrivain, conservateur du musée du barreau de Paris et ancien membre du Conseil national des barreaux et du conseil de l'Ordre.

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Lors du confinement, la justice a été le seul service public à avoir été largement critiqué pour avoir décidé de ne plus fonctionner, même à distance. En effet, le service de la justice s’est mis à l’arrêt presque complet, entre le 17 mars et le 11 mai, alors que nous, gens de robe, utilisons, depuis des années, des outils sécurisés de communication numérique avec les juridictions tels que le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA).

Le 25 mars 2020, le Gouvernement a adopté l’ordonnance portant adaptation des règles de procédure pénale. Les dispositions dérogatoires sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence. Celles-ci devraient donc s’appliquer jusqu’au 10 août 2020.

Ces règles dérogatoires ont considérablement affaibli les droits de la défense et la justice pénale. À ce titre, on peut mentionner notamment les prévenus envoyés en détention faute d’avoir pu être défendus et les détenus relâchés faute de prisons dignes et saines.

 

Les mesures de garde à vue

En ce qui concerne la garde à vue, ladite ordonnance prévoit que sa prolongation est  susceptible d’intervenir sans présentation du gardé à vue devant le magistrat compétent.

En temps normal, la prolongation de la garde à vue peut être autorisée sans présentation à un magistrat mais cette option doit rester exceptionnelle et strictement conditionnée aux « nécessités des investigations en cours ou à effectuer ». En outre, concernant la garde à vue des mineurs âgés de seize à dix-huit ans, le Code de procédure pénale prévoit - à juste titre - qu’« aucune mesure de garde à vue ne peut être prolongée sans présentation préalable du mineur au procureur de la République ou au juge d’instruction ».

Enfin, la modalité de prolongation dérogatoire issue de l’ordonnance, est d’autant moins justifiée que le Code de procédure pénale prévoit qu’une autorisation de prolonger la garde à vue peut être réalisée par des moyens de communication audiovisuelle, permettant le respect des droits de la défense à distance.

 

Les mesures de détention provisoire

Pour ce qui est des dispositions applicables à la détention provisoire, celles-ci ne sont guère plus favorables aux droits de la défense.

Par l’ordonnance du 25 mars 2020, les délais maximums de détention provisoire ont été augmentés de plein droit, allant de deux à six mois supplémentaires selon la peine encourue. La prolongation prévue s’applique aux détentions qui arrivent à leur terme mais également – de manière plus surprenante – à celles en cours.

Cette disposition dérogatoire a soulevé de nombreuses contestations auprès des magistrats mais également une difficulté d’interprétation que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dû trancher. La question se posait de savoir si les « délais maximums de détention provisoire » désignaient la durée de la détention prolongée - nécessitant l’intervention du juge - ou s’ils se limitaient à la durée sans prolongation.

Dans deux arrêts en date du 26 mai 2020, la Cour de cassation a ainsi jugé que cette disposition dérogatoire devait s’interpréter comme prolongeant, sans intervention judiciaire, les durées de détention prévues venant à expiration. En d’autres termes, cette mesure ne vise pas la détention provisoire ayant déjà fait l’objet d’une prolongation.

Par ailleurs, les demandeurs soutenaient que la disposition de l’ordonnance du 25 mars 2020 était contraire à la Constitution qui prévoit que l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Dans son arrêt du 26 mai 2020, la Cour de cassation a considéré que cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevait une difficulté sérieuse, justifiant la saisine du Conseil Constitutionnel.

Il convient de souligner que ce dispositif dérogatoire a été ardument défendu par la Ministre de la Justice Nicole Belloubet alors qu’il apparaît en contradiction avec la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 visant à mettre en place des alternatives à l’incarcération pour les peines inférieures ou égales à six mois.

 

Les difficiles conditions d’incarcération 

La prolongation des délais de la détention provisoire est d’autant plus problématique lorsque l’on sait que les maisons d’arrêt souffrent d’une surpopulation carcérale. Dès lors, la mise en place des fameux « gestes barrières » et l’encellulement individuel nécessaire s’avèrent fortement compromis.

Au manque de moyens matériels et humains pour assurer la santé des détenus s’ajoute l’impossible maintien de tout lien avec l’extérieur (suspension des parloirs, formation, école, travail, activités…). À ce titre, on peut se référer aux communiqués de l'Observatoire International des Prisons qui dénonce l’incurie.

Ainsi, il apparait que les mesures prises dans le cadre de cette crise sanitaire ont mis en exergue de nombreuses faiblesses de notre justice pénale. Celle-ci n’était déjà pas très réactive, elle est désormais agonisante.

 

Emmanuel Pierrat

02/06/2020

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