Le renseignement et les femmes

08/01/2023 - 7 min. de lecture

Le renseignement et les femmes - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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Le renseignement et les femmes

 

Caricature

James Bond et d’autres héros de romans et films d’espionnage ont véhiculé une image caricaturale des femmes dans le renseignement. Elles y sont le plus souvent représentées comme des agents d’influence ou de déstabilisation des hommes de l’ombre eux-mêmes ou de personnalités politiques, si possible dirigeantes. L’archétype en est certainement Mata Hari, qui n’était pourtant pas elle-même une espionne professionnelle. Cette image de femme au caractère trempé et au charme diabolique a été la matière de nombre de romans de gare, comme ceux de Gérard de Villiers, dont le succès a été propre à une époque. Qui en effet, dans ma génération, n’a pas lu un SAS ? Je confesse avoir acheté l’un des 150 millions de livres qu’il a vendus entre 1965 et 2013. Au cours de ma carrière, j’ai constaté que ces images transmises par la culture populaire étaient assez largement présentes dans les esprits. Bien que caricaturales et ayant fort heureusement été déconstruites, elles ont néanmoins connu une certaine réalité dans le monde d’hier, qui a été le mien.

 

Pragmatisme et efficacité

Les services de renseignement reposent avant tout sur le pragmatisme et l’efficacité. Ils ne s’attachent pas aux considérations idéologiques ou aux valeurs qui relèvent du politique. Si la déstabilisation d’une cible ou la réussite d’une mission doit être assurée, les Services recourront aux meilleurs moyens pour y parvenir. Dans le jargon du métier, les méthodes de déstabilisation étaient parfois désignées par l’expression du « pot de miel », qui n’était d’ailleurs pas propre à la séduction d’une cible (par un agent de sexe opposé ou de même sexe) mais pouvait jouer, selon les failles identifiées, sur l’argent, le pouvoir, la flatterie. Les anglosaxons ont appelé ce procédé MICE (pour money, ideology, compromise et ego), ou Vice en français (pour vénal, idéologie, compromission (ou contrainte) et ego). On pourrait évoquer nombre d’officiers généraux et hauts personnages politiques dont la carrière s’est brutalement arrêtée pour des raisons liées à des relations sexuelles avec une femme dont les services savaient ou supposaient l’appartenance à un service de renseignement étranger. Certains attachés de défense dans les Ambassades pourraient en témoigner. Naturellement, les missions qui ont été les miennes m’ont exposé. Dans les années 90, après mon passage à l’Élysée et alors que je servais à l’Etat Major Interarmées de planification opérationnelle, j’ai été envoyé à Abu Dhabi, pendant six mois, pour rédiger un protocole de partenariat stratégique de défense entre la France et les Émirats. Il s’agissait de travailler à un chapitre important consacré aux capacités militaires à acquérir. Après une journée harassante, j’aimais à déambuler le soir, à l’hôtel, qui offre toujours à l’étranger en mission une galerie de personnages improbables. Or, j’y ai plusieurs fois croisé des femmes seules qui essayaient sous tout prétexte d’entamer une discussion. Elles se présentaient comme des femmes d’affaires américaines, anglaises, russes, chinoises, italiennes, allemandes ou françaises, nouvellement arrivées dans la région et se disaient à la recherche d’un divertissement occasionnel. Mon charme incertain n’était bien entendu pas la cause de ces sollicitations, qui reposaient sur une volonté moins romantique de subtiliser des informations sur les raisons de notre présence. Le stratagème qui me paraissait dépourvu de subtilité a piégé certains homologues étrangers ou hommes d’affaires, trop heureux d’être objet de convoitise pour y voir malice.

 

Adaptation

Les techniques de renseignement doivent également être adaptées à l’histoire, la culture, les croyances ou les modes de vie collectifs des populations. Une société patriarcale, matriarcale ou inclusive ne sera pas couverte de la même manière par les services de renseignement. Ainsi, si une société assigne traditionnellement des rôles et des caractéristiques différents aux femmes et aux hommes, les Services s’en serviront dans leur approche du terrain et leur déploiement. Je me souviens, lors des opérations de Bosnie, que nous avions créé une unité spécialisée, l’Unité de Recherche de l’Information (URI). Cette unité avait pour mission principale d’interroger les réfugiés. Ceux-ci avaient bien souvent connu des horreurs et pouvaient communiquer des informations sur les lieux de ces actions, le nom des tortionnaires et leurs modes d’action. L’URI était forte de 75 personnes. Elle était composée pour un tiers de femmes, dont beaucoup avaient dû surmonter de lourdes épreuves. Elles accompagnaient les réfugiées femmes qui s’ouvraient plus facilement auprès d’autres femmes et qui leurs rapportaient ce qu’elles avaient enduré et les sévices sexuels qu’elles avaient subis. Les femmes de cette unité par leur maturité accomplissaient leur rôle de façon remarquable, ce qui ne leur interdisait pas d’être bouleversées par ce qu’elles entendaient. Toujours dans ce souci d’efficacité, il n’était pas rare que dans les Etats-Majors, les officiers féminins jouent un rôle majeur auprès des populations, qui souvent se réduisaient aux femmes et aux enfants, les hommes étant en guerre. Les liens qu’elles ont su nouer avec ces femmes en souffrance, mais rassurées par leur présence, a permis de recueillir des informations absolument capitales pour nos services.

 

Héroïsme

Mais le rôle des femmes dans le renseignement ne se résume pas à ces schémas de femmes à l’écoute. Des femmes ont marqué l’histoire du renseignement par leur héroïsme. Louise de Bettignies par sa fenêtre à Lille, pendant l’occupation Prussienne, renseignait les forces françaises en communiquant des informations sur les uniformes des soldats qu’elle observait. Elle agissait par patriotisme et n’appartenait à aucun service. Elle a été découverte et fusillée par les Prussiens. Joséphine Baker, récemment panthéonisée, a également œuvré pour les services de renseignement ! Au cours de ma carrière, j’ai connu des femmes de l’ombre de très haut niveau qui réalisaient des missions clandestines de la plus haute importance, tout en faisant preuve d’une humilité et d’un dévouement professionnel admirables. J’ai en particulier souvenir d’une mission au Kosovo. Avant une offensive, nous avions déployé des stations d’écoute de circonstance sur les hauteurs surplombant le pays. Il s’agissait d’intercepter les communications sur les réseaux serbes et de recueillir le maximum d’informations sur leurs actions et les préparatifs pour s’opposer à notre offensive. Or, certains postes étaient armés par des sous-officiers féminins « linguistes d’écoute », qui étaient souvent double nationales, avec le « serbo-croate » en langue maternelle. Malgré le froid à cette altitude de près de 1500 mètres et des conditions spartiates de travail, elles analysaient en direct les écoutes, notamment celles des généraux serbes. Par leur sensibilité, la perception de la vie des personnes écoutées, leur pugnacité à découvrir l’ambiance générale à la fois dans le commandement serbe et dans cette armée en général, elles apportaient des informations majeures que nos opérateurs hommes livraient avec moins de précisions et de détails. Quand elles évoquaient leurs cibles, elles donnaient l’impression de parler d’un membre de leur famille tant elles s’étaient approprié leur mission. Les femmes professionnelles du renseignement par leurs qualités ont joué un rôle essentiel dans la recherche et l’analyse de l’information. Si je devais me risquer à une généralité, leur grande force, était de s’entendre à toujours faire de l’ennemi le plus acharné le meilleur auxiliaire.

 

Différences ?

Il est une question que l’on me pose régulièrement, c’est celle de la différence entre les agents femmes ou hommes et s’il est des qualités propres au sexe féminin dans de telles fonctions. Au cours des différentes opérations sur lesquelles j’ai été appelé, j’ai pu vérifier des différences d’approche. J’ai notamment remarqué que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes à ne pas s’arrêter au premier aveu. Plus fines observatrices, elles se laissaient moins prendre aux apparences et tâchaient de découvrir la vérité plus profonde que leur cible pouvait vouloir dissimuler. Elles comprenaient plus vite qu’un interlocuteur se trahit souvent doublement dans une discussion, par ce qu’il dit et par ce qu’il tait, et avançaient avec plus de sûreté vers le secret lorsqu’elles sentaient que leur cible voulait parler mais résistait encore à le faire. J’ai aussi pu constater qu’elles faisaient davantage attention aux détails. Dans un échange, une très légère variation de ton, un simple geste presque imperceptible, une hésitation à peine exprimée, peuvent être des révélateurs. Ce dont il est question au cours d’une investigation, c’est la connaissance infinitésimale, la recherche de fragments à partir desquels la grande mosaïque apparaîtra et permettra de révéler les intentions véritables, les objectifs de la cible. J’ai appris au cours de mes 40 années dans les armées que l’art du questionnement et de l’écoute requiert une clairvoyance élevée. J’ai constaté que les femmes du renseignement possédaient au plus haut degré cette qualité d’écoute. Est-ce pour autant une qualité qui leur est propre ? Je ne m’aventurerai pas à le dire, mais peut-être que le fait que certaines qualités et attitudes nécessaires à cette écoute étaient, il y a quelques années encore, davantage valorisées chez les femmes que chez les hommes expliquerait qu’elles aient développé des aptitudes particulières à cet égard.

 

Conclusion 

Ce qui est certain, c’est que, femmes ou hommes, il est des individus qui ont des qualités presque innées pour l’écoute et l’accueil de la parole de l’autre, qu’aucune école et qu’aucun enseignement ne peut véritablement transmettre : ce sont ces qualités qui font un agent de renseignement précieux.

08/01/2023

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