Le statut social de l'Homme en noir

10/10/2022 - 4 min. de lecture

Le statut social de l'Homme en noir - Cercle K2

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Agathe Vandenbroucke est Chargée du mission du Cercle K2. Elle est diplômée du Master 2 Droit et pratique des relations de travail (DPRT) de l'Université Panthéon-Assas (Paris II) et a rédigé un mémoire sur le "contrat de travail du sportif professionnel".

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C’est peu dire que l’actualité sportive a été riche en polémiques depuis quelques semaines : entre les affaires Hamraoui/Diallo, Pogba, les propos maladroits de l’entraîneur du PSG, le mouvement en faveur du boycott de la Coupe du monde au Qatar, il a malheureusement été peu question de sport.

Heureusement, la retraite de l’un des plus grands joueurs de tennis de l’histoire, ou peut-être du plus grand, Roger Federer, a rappelé combien le sport peut être vecteur d’émotions inoubliables et fédératrices. Soudain, par la magie d’un moment, la grâce d’un instant, où deux des plus grands adversaires que le tennis ait connus, se sont tenus la main, en larmes, se célébrant – soudain, le temps s’est suspendu : l’image est devenue universelle, intemporelle.

Sans avoir part aux exploits sportifs qui sont de la main des seuls champions, il en est pour autant un acteur indispensable : c’est lui, l’arbitre, qui assure la tenue des rencontres qui font le sel des compétitions sportives. Activité mal connue et souvent déconsidérée, elle rencontre cependant un certain succès. On dénombre, aujourd’hui, en France, près de 240 000 arbitres, tous sports confondus, soit un niveau très important au regard de la difficulté réelle du métier.

L’absence de reconnaissance du public, les polémiques sans nombre qui les poursuivent à la suite de telle ou telle décision, les incivilités, voire parfois la violence auxquelles ils sont constamment en butte, font en effet de cette activité un véritable sacerdoce, d’autant que les arbitres ne jouissent pas d’un statut réellement protecteur.

Leur statut a été défini par une loi du 23 octobre 2006 qui a mis fin à un vide juridique où les arbitres étaient confrontés à une grave insécurité : tantôt indépendant, tantôt salarié, leur statut social variait en fonction de l’interprétation aléatoire des juges saisis de leur situation et de la diversité de leurs pratiques. Il existe, en effet, mille façons différentes d’être arbitre : juge, arbitre ou commissaire, bénévole ou professionnel, etc. L’arbitre est celui qui prend la direction d’une rencontre et veille au respect des règles du jeu alors que le juge, lui, évalue une prestation sportive. Les arbitres se répartissent par ailleurs en deux grandes catégories : professionnelle ou bénévole, dernière situation qui concerne la majorité de ceux qui exercent en France.

Les bénévoles ne sont remboursés que des frais qu’ils ont engagés pour remplir leur mission et perçoivent, parfois, une indemnisation en fonction du niveau du match et des barèmes prévus par la Fédération.

Seuls les arbitres professionnels, qui ne représentent qu’un petit nombre dans un nombre limité de sports, perçoivent un salaire mensuel fixe complété par des primes par match. Très éloigné des derniers salaires rendus publics de Mbappé (128 millions d’euros pour la saison à venir) ou Messi (120 millions d’euros), le salaire mensuel moyen d’un arbitre fédéral au football s’élève à 6.497 euros bruts.

La diversité de ces pratiques explique les différences de traitement qui ont pu exister quant à la qualification du lien entre l’arbitre et la fédération sportive.

La loi du 23 octobre 2006 a permis d’unifier le régime applicable aux arbitres, sans mettre cependant en place un véritable statut protecteur. Le législateur a en effet expressément exclu l’existence d’un lien de subordination entre l’arbitre et la Fédération, élément caractéristique du contrat de travail (C. sport, art. L. 222-3). 

C’est dire que les arbitres ne peuvent aucunement être salariés de la Fédération, quelle que soit la nature de leurs rapports avec celle-ci. Or, à l’analyse, cette situation interroge, tant le lien d’autorité entre la Fédération et l’arbitre est réel. Les arbitres restent tout d’abord soumis à la Fédération comme agents participant à une mission de service public. La Fédération fixe par ailleurs les dates et les horaires des rencontres, édicte et impose les règles de comportement à appliquer, désigne l’arbitre du match, décide de sa tenue, du montant de son indemnité et peut le noter et influencer sa carrière, tous les éléments qui, par application de la méthode du faisceau d’indices, pour des spécialistes de droit du travail, pourraient justifier la reconnaissance d’un lien de subordination, c’est-à-dire caractériser l’existence d’un contrat de travail. Le législateur a cependant refusé cette qualification, au motif de la nécessaire indépendance et impartialité des arbitres qui seraient incompatibles avec un lien de subordination (C. sport, art. L. 223-1).

Une telle position nous paraît cependant critiquable, car s’il est nécessaire de préserver l’indépendance de l’arbitre à l’égard du club, celle à l’égard de la Fédération ne semble pas évidente. En outre, la reconnaissance d’un contrat de travail entre l’arbitre et la Fédération sportive aurait des effets profitables à de nombreux égards. Au-delà de la sécurité de l’emploi, la garantie d’un salaire mensuel permettrait de rendre la profession plus attractive et de lutter plus efficacement contre la corruption. Cette reconnaissance serait d’autant plus justifiée que le législateur, s’il a refusé à l’arbitre la qualité de salarié sur le plan du droit du travail, la lui a offerte sur le plan du droit de la sécurité sociale. Les arbitres sont en effet rattachés au régime général de la sécurité sociale en qualité d’assimilés salariés, ce qui lui permet de percevoir les mêmes prestations sociales que les salariés, notamment en matière d’accidents du travail.

Le statut des arbitres touche à des considérations juridiques mais également politiques et économiques. Il ne s’agit pas ici de critiquer le fonctionnement des rapports entre les arbitres et les fédérations mais de souligner que leur régime juridique manque, à certains égards, de cohérence et de souhaiter que les acteurs du sport et les acteurs du droit se saisissent davantage de ce sujet.

Agathe Vandenbroucke

10/10/2022

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