Les conséquences des guerres de l'opium du XIX° siècle et quel avenir pour la Chine
16/12/2021 - 4 min. de lecture
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Gérard Bouan est Ancien Colonel & Auteur.
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Pourquoi fait-on toujours référence aux Guerres de l’opium du XIXème siècle en Chine pour expliquer l’agressivité actuelle des dirigeants chinois ?
Face à la suprématie militaire et diplomatique des Anglais et des Français en ce XIXème siècle, les Hans, implantés durablement dans cet "Empire du Milieu", étaient devenus conservateurs, coupés du monde extérieur et arrogants, confinant à la xénophobie. Ces Chinois ne se sont pas rendus compte du décalage stratégique grandissant entre Orient et Occident, d’autant que la dynastie des Qing était en déliquescence suite à une série de mauvaises récoltes dues aux intempéries et aux jacqueries paysannes des "Taiping", mélange de mercenaires et de paysans-soldats. Un Empereur, Xiang Feng, faible, opiomane et cloîtré dans sa Cité interdite et une cour corrompue permettront aux Anglo-Français d'aisément imposer leur dictat.
Ces trop faciles victoires des occidentaux face à des hordes tumultueuses et sans grande combativité des Chinois ont mis à mal leur orgueil quand il a fallu se rendre à l’évidence qu’ils devaient se soumettre aux oukases de ces nouveaux envahisseurs. Avec les pernicieux traités ouvrant son marché aux produits occidentaux, dont celui de l’opium, ils se sont sentis mortifiés. Incapables de résister militairement aux Occidentaux, les Chinois ont tenté d’user de ruses pour retarder les signatures de traités qu’ils ont nommés d’"inégaux".
Ces Guerres de l’opium ont été ressenties, côté chinois, comme une humiliation incommensurable, par l’amputation d’une partie de leur territoire avec la cession de l’île, puis de territoires à Hong Kong, par l’obligation de commercer avec les étrangers et, enfin, par le pillage, puis l’incendie de l’inestimable Palais d’Été.
On peut dire que :
- ces Guerres de l’opium sont en fait une rivalité entre deux mondes qui se prétendent tous deux "civilisés" mais qui est, pour l’un, une volonté d’obtenir de rapides profits par la vente d’opium tandis que, pour l’autre, de s’enfermer dans sa xénophobie, se considérant l’Empire du milieu ;
- les Chinois ont eux-mêmes créé ce déséquilibre en se coupant volontairement du monde extérieur : un Empereur qui s’enferme dans la Cité interdite, des conseillers lâches et uniquement mus par le désir de lui plaire et une population souvent analphabète et toujours nationaliste ;
- après les successions constantes de défaites en des périodes si courtes, les Chinois, mis brutalement devant la réalité que des "Barbares" leur étaient supérieurs, étaient devenus tout d’un coup honteux de se considérer comme leurs feudataires ;
- ces guerres perdues face aux Occidentaux ont permis l’émergence d’un sentiment nationaliste fort au sein des élites qui, à la longue, s’est transmis à l’ensemble du peuple chinois.
Ces revers apportent une explication à leur volonté actuelle d’avoir leur revanche avec l’extraordinaire expansion que nous voyons de nos jours avec la montée en puissance du concept –带一路 (yīdài yīlù) traduit par "une ceinture, une route".
Ce concept a été présenté à l'automne 2013 par le gouvernement chinois dans le but de consolider sa place sur le devant de la scène internationale. Il s'inscrit dans un besoin de sécuriser ses approvisionnements. Il est le pendant terrestre du "Collier de perles".
La stratégie du "Collier de perles" est une expression désignant l'installation par la marine de guerre chinoise de points d’appui (les perles) le long de ses voies d’approvisionnement maritime vers le Moyen-Orient, l’Afrique et maintenant l’Europe. Elle consiste en la construction, l'achat ou la location pour de longues durées d'installations portuaires et aériennes pour protéger ses intérêts commerciaux et son approvisionnement en matières premières. Ce terme, apparu en novembre 2004 dans un rapport du département d’État américain "Energy Futures in Asia", montre la préoccupation sérieuse des Américains face à cette menace à leur encontre. Il est à noter que cette expression n'est jamais utilisée dans les publications gouvernementales chinoises.
On peut imaginer que le temps, anesthésié par les passions nationalistes, avec les violences de la répression contre les minorités et surtout face à sa jeunesse qui ne demande qu’à s’émanciper, la société chinoise se réveillera dans dix ou quinze ans, fatiguée par ce régime vieillissant, aidé par une crise économique et sociale grandissantes, à l’impéritie d’un gouvernement face aux épidémies et aux désastres écologiques à venir. Ces mécontentements font que la contestation monte lentement, mais sûrement.
Le régime du Président Xi Jinping n’est fort à l’intérieur que grâce à la terreur d’État et à l’extérieur que par l’invraisemblable faiblesse des démocraties occidentales à son égard.
Si la Chine est légitime à faire valoir des revendications sur certains espaces maritimes et économiques, elle ne peut le faire que dans le cadre des institutions internationales. Son appartenance à l’ONU et à de nombreuses organisations internationales l’oblige à se tenir aux règles d’équité qu’elle a acceptées. Elle doit honorer ses engagements auprès de ces instances internationales et non pas faire pression. Ces instances peuvent user ou brandir des sanctions économiques, car le gouvernement de Xi Jinping ne peut survivre que grâce à la paix sociale intérieure, donc grâce à ses exportations.
Je me permets de vous citer un extrait du courrier de Monsieur Jean Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en date du 30 juillet 2021 à l’auteur à la sortie de son livre : "la période des Guerres de l’opium est essentielle pour comprendre la dynamique qui porte aujourd’hui la Chine, dont la puissance et le rayonnement irriguent désormais l’agenda international, et à fortiori celui de l’action extérieure de la France comme de l’Union européenne".
16/12/2021