Les démocraties sont-elles désarmées face au crime organisé ?

04/04/2024 - 3 min. de lecture

Les démocraties sont-elles désarmées face au crime organisé ? - Cercle K2

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Michel Quillé, ancien Directeur-Exécutif Adjoint d’Europol.

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C'est volontairement que j'ai choisi comme titre de cette tribune, un titre que j'avais déjà utilisé en 1999 pour une tribune publiée dans la revue du Syndicat des Commissaires de Police.

25 ans après, cette interrogation est-elle toujours pertinente ?

Ce que je formulais en 1999 comme une hypothèse et un risque, s’est transformé pour moi en certitude.

En 2024 en France, le phénomène du trafic de drogue a installé le crime organisé comme la dominante majeure du panorama criminel et comme facteur premier de l’insécurité perçue par les citoyens. Les témoignages récents des magistrats marseillais devant la commission d'enquête parlementaire et le déplacement à Marseille du Président de la République et de deux de ses ministres régaliens renforcent cette conviction.

Avec ce constat, on peut avancer que la France se trouve face à la drogue dans la même situation où se trouvait l'Italie au début des années 1980 face à la Mafia : beaucoup d'efforts, des résultats mais pas d'avancées significatives vers une solution pérenne.

On doit constater et reconnaître une réelle volonté politique des autorités françaises avec la mise en œuvre de moyens humains et financiers conséquents accompagnés d’un investissement total des magistrats, policiers, gendarmes et douaniers.

Reste la question des moyens juridiques, qui peut se résumer à une question plus simple et plus directe : notre état de droit est-il adapté à la situation ?

Avec la mesure qu'impose le fait de n'être plus en première ligne dans la lutte contre le crime organisé, mais en y ayant consacré la majeure partie de ma vie professionnelle notamment en coopération étroite avec les justice et police italiennes, ma réponse est que la législation actuelle n’est plus adaptée à cette généralisation du crime organisé.

Pour en revenir à l’exemple italien, lorsqu’elles ont constaté que l’état de leur droit ne leur permettait pas de réduire les activités et la présence des mafias, les autorités italiennes l’ont adapté :

  • Création du délit d’association mafieuse avec l’article 416 bis du Code Pénal ;
  • Création du statut de repenti ;
  • Mise en place de juridictions particulières et d’un système pénitentiaire spécial ;
  • Réaffectation des biens confisqués.

Certes, on pourra objecter que la France n’est pas l’Italie et que la législation pénale contre le crime organisé a été sérieusement renforcée en France avec notamment la mise en place de juridictions d’instruction nationales et régionales et d’un régime de saisie et confiscation des avoirs criminels en cours d’amélioration. Le statut de repenti figurait déjà même dans la loi Perben II de 2004,  avec le correctif que ses décrets d’application n’ont été pris qu’en 2014, ce qui en rendait  jusque-là l’utilisation impossible.

On a  par ailleurs pris conscience et adapté les moyens pour remédier à deux obstacles important aux enquêtes et aux poursuites :

  • L’installation à l’étranger des têtes de réseau,
  • La masse financière générée par les trafics de drogues.

Mais tant que les trafiquants de stupéfiants incarcérés pourront commanditer depuis leur cellule l’assassinat de leurs rivaux et corrompre ou intimider les témoins éventuels à leur procès, tant que les policiers de terrain devront s’installer plusieurs semaines dans les quartiers pour empêcher la réapparition des points de deal (qui redémarreront dès que le dernier fourgon de police aura tourné le coin de la rue), il ne pourra y avoir de victoire déterminante contre le crime organisé.

Cette question de l’adaptation de l’état de droit est, en France,  une constante lorsqu’on mesure l’aggravation d’un quelconque phénomène criminel.

Comme la protection des libertés individuelles est en jeu, un débat approfondi se justifierait….s’il en était encore temps. Sans pessimisme excessif on peut penser que le temps du débat est dépassé et que l’urgence ne commande des solutions rapides.

Ceci n’est jamais facile en France, où lorsqu’on avance la possibilité de législation particulière, c’est immédiate interprété en juridictions d’exception à rejeter immédiatement par ceux qui privilégient les principes et le statuquo à de possibles solutions.

A l’heure où on cherche à renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, une réduction majeure du crime organisé comme conséquence d’une politique volontariste et assumée pourrait être un pas important dans cette direction.

Michel Quillé

04/04/2024

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