Les objets d’art français du XVIIIe siècle : enrayer le déclin

22/01/2022 - 5 min. de lecture

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Eric Detoisien est Président de l'association Sièges Français.

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Les objets d’art français du XVIIIe siècle : enrayer le déclin

Ou pourquoi avoir créé l'Association Sièges Français [1]

Aux yeux du monde entier, il n’est pas discutable que le XVIIIe siècle fut le plus français de tous les siècles. Les chefs-d'œuvre de l'art du mobilier français, catalogués monuments historiques, négociés à des millions d’euros, considérés comme des références même par l’art contemporain, prouvent qu’on ne doit pas se satisfaire de les assimiler aux simples productions d’un art mineur. D’ailleurs, existe-t-il une hiérarchie dans l’art ? Or, c’est au XVIIIe siècle français qu’il appartient d’avoir porté les arts décoratifs à leur plus haute expression. Le mobilier, et les sièges en particulier, illustrent à merveille cette perfection. Depuis cet âge d’or, ces objets ont traversé les époques, préservés par des générations de passionnés et de collectionneurs pour leur valeur historique, patrimoniale, artistique, esthétique ou seulement financière. Si le succès des arts décoratifs du XVIIIe siècle a pu varier au cours du temps, le XXe siècle a définitivement reconnu leur valeur.

Mais si un nombre considérable de sièges français du XVIIIe, des plus simples aux plus luxueux, a été préservé pendant plus de deux siècles indépendamment de leur valeur marchande, au début du XXIe, de façon incompréhensible, l’élan s’est brisé, et l’intérêt a commencé à décliner. Pourtant, ce mobilier témoigne, à travers le temps, non seulement d’un savoir-faire exceptionnel, mais encore d’une culture où s’imbriquent la petite et la grande histoire. À l’époque de sa conception, le métier des artisans était régi par des lois corporatistes sans doute imparfaites, mais dont le fonctionnement "organique" impliquait la collaboration des menuisiers avec des sculpteurs, des peintres, des doreurs mais aussi des tapissiers, lesquels travaillaient eux-mêmes avec des cloutiers, des peaussiers et les différents métiers de la soie. Un modèle pour le développement durable moderne quand on pense aux objets d’art du quotidien, à ces objets usuels qui n’ont pas tous vocation à terminer dans les vitrines d’un musée.

Depuis quelques années, nous nous sommes laissé captiver par l’éphémère. L’homme, de plus en plus réduit à son rôle de consommateur, s’abandonne au vertige d’acheter pour jeter et à l’enchaînement compulsif d’une culture du clic parfaitement stérile. Il semble qu’il soit en voie de perdre tout intérêt pour le patrimoine historique et artistique que les générations antérieures lui ont légué. Devant la chute dans le présentisme et l’indifférence culturelle, des penseurs comme le sociologue Alain Touraine ou le philosophe Michel Onfray n’ont pas hésité à parler franchement de "fin des sociétés" et de "décadence" civilisationnelle. À cette vie fractionnée, paradoxalement narcissique et dépersonnalisée, faite d’actualité volatile, de zapping et d’obsolescence programmée, l’art décoratif du XVIIIe siècle oppose la longue durée, la continuité d’une mémoire, l’excellence d’un savoir-faire qui reflète le plus français de tous les siècles, sa société, sa culture. Ce patrimoine, jugé encombrant, est-il condamné par ce que Michel Butor appelait le "XXIe siècle obscurantiste" ? Non, car l’obscurantisme ne dure jamais et il se trouve toujours des gens pour sauver les meubles en attendant le retour des lumières.

Or, sauver les meubles est ici à prendre au sens propre autant que figuré. Il ne faut pas laisser le mobilier du XVIIIe disparaître de la vie, des souvenirs et de la vue du public. À tous les niveaux, il est encore possible d’agir concrètement pour stopper la mise au rebut, voire même inverser la tendance actuelle. Mais, pour y parvenir, il est indispensable de se former aux conditions de fabrication du mobilier, à son évolution stylistique, à la vie des menuisiers dans leur environnement social et économique. La connaissance des métiers, de leurs techniques et de leurs outils est primordiale pour la restauration et l’authentification des sièges. Ces productions artistiques doivent bien sûr être préservées. Cela signifie que ces sièges doivent être localisés, identifiés et enfin catalogués. Il faut donc obligatoirement suivre le marché de l’art, puisque c’est entre les antiquaires et les ventes publiques que circulent la plupart des objets. Ensuite, il s’agit de photographier chaque pièce de valeur sous tous les angles, de la décrire avec précision, puis de la référencer. L’objectif, à terme : promouvoir ces sièges dans le monde entier, mettre à disposition de tous le résultat des recherches et les photographies. Une fois qu’elles seront disponibles à un public susceptible de s’y intéresser, celui-ci y trouvera l’occasion de faire connaissance avec les menuisiers d’un temps révolu et de s’émerveiller devant un mobilier ignoré. La sensibilisation est la meilleure garantie de la conservation et la condition de possibilité à la réintroduction dans notre quotidien d’un patrimoine menacé.

Ces constats et la nécessité de réagir face au déclin ont conduit à la création de Sièges Français, une association dont les principaux objectifs sont l’étude, la préservation et la promotion des sièges français du XVIIIe siècle. Le monde d’aujourd’hui met à disposition des outils puissants qu’il est possible d’utiliser pour soutenir cette action. Au XXIe siècle, les archives sont ouvertes à tous, nombre d’entre elles ont été numérisées et sont ainsi consultables à toute heure du jour et de la nuit, de quasiment partout grâce à Internet et au haut débit. Photographier en haute définition et sans limite les objets d’art pour des coûts très faibles est à la portée de tous les téléphones. Les bases de données ont la capacité d’emmagasiner des quantités astronomiques de données, les photographies d’objets et leur description ont donc une destination de choix pour toute sorte de traitements ultérieurs ou une simple consultation. Un site web dédié rend possible la promotion en continu des nouvelles découvertes auprès du monde entier. Le potentiel des réseaux sociaux pourra être exploité pour diffuser les photographies des plus remarquables de ces objets et atteindre un public toujours plus vaste, suscitant, nous l’espérons, un intérêt croissant, peut-être même des vocations ? Enfin, les visioconférences et toutes les sortes de messageries instantanées qui annulent les distances entre les hommes donneront aux chercheurs l’occasion d’échanger leurs informations.

Grâce aux nouvelles technologies, la collaboration, la passion, la connaissance et le partage peuvent rendre aux objets d’art français du XVIIIe siècle la place qu’ils méritent et qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’occuper. Ces technologies, par leur irruption massive dans la population, leur propagation éclair en une génération et la fascination qui en découle, ont fait oublier qu’elles ne sont qu’un moyen et non une fin en soi. Il faut les rendre à leur fonction d’outils, les remettre au service de l’homme. Or, servir l’homme, c’est aussi servir l’histoire parce que l’homme est un être historique. Rien de plus exaltant, finalement, que de confier à ces formidables machines le sauvetage d’un patrimoine menacé.

Eric Detoisien

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[1] https://siegesfrancais.fr/

22/01/2022

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