Plan de résilience « économique » : quelles adaptations aux enjeux de La Région Réunion !
03/10/2022 - 11 min. de lecture
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Jean-Michel Birault est Chargé de mission sécurité économique et Jean-Fabrice Vandomel Chargé de mission développement économique.
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Contexte général
La question de la vie chère dans les territoires ultramarins est une préoccupation majeure du gouvernement. La crise épidémique et la reprise économique mondiale ont toutefois renforcé de manière significative le risque d’une augmentation des prix du transport et de certaines matières premières, avec des effets inflationnistes sans précédents. Ces problématiques, bien que récurrentes, prennent une dimension nouvelle depuis quelques mois, conséquence directe de la crise sanitaire de la Covid-19 et qui s’amplifient depuis le début du conflit opposant l’Ukraine à la Russie.
Sur le plan géopolitique et stratégique, La Réunion, comme Mayotte, sont deux territoires français aux confluents de deux continents émergents, l’Afrique et l’Asie. La sécurisation de la desserte maritime, aérienne et numérique ainsi que les approvisionnements en énergie, eau et alimentation représentent un véritable défi pour ces territoires dans un contexte mondial à l’issue incertaine.
En termes de flux, l’Océan Indien est un espace pivot pour les échanges internationaux et compte 25 % du trafic maritime international. L’Union européenne a fait de la sécurisation de ses voies d’approvisionnement un enjeu majeur. En outre, 70 % des hydrocarbures du Moyen-Orient affluent désormais d’Asie via les routes maritimes reliant le détroit d’Ormuz à celui de Malacca. Ils représentent les flux maritimes les plus denses au monde.
L’Océan Indien pourrait donc constituer un espace géostratégique potentiellement "explosif". Cet état de fait porte sur la masse des flux maritimes, la confrontation des influences chinoise, indienne et russe, et les tensions géostratégiques auxquelles font face les pays qui l’entourent.
Contexte territorial
La Réunion est un territoire insulaire, géographiquement éloigné du continent européen et fortement dépendant des liaisons maritimes (zone non interconnectée - ZNI). L’économie réunionnaise se caractérise à la fois par sa vulnérabilité et sa résilience, très sensible aux facteurs externes du fait de son insularité, de son exiguïté et de son éloignement des grands pôles mondiaux. La Réunion se distingue par son dynamisme faisant d’elle un territoire de solutions au cœur de l’espace géostratégique que constitue l’Océan Indien. Parmi ses facteurs de vulnérabilité figure sa forte dépendance aux approvisionnements extérieurs (ZNI), en particulier en produits alimentaires et de santé et en énergie (hydrocarbures, gaz de pétrole liquéfié GPL).
Également, la mise en place d’une stratégie de circuit court permettrait d’alléger les coûts par une optimisation de la chaîne de distribution qui comporte beaucoup trop de maillons et d’intermédiaires, alourdissant au final le prix d’achat pour le consommateur.
Le bilan des douanes pour l’année 2021 indique des importations de marchandises en hausse (+16 % par rapport à 2020) et des exportations de marchandises également en hausse (+24,4 % par rapport à 2020). Cette tendance très marquée a été soutenue notamment par la reprise de la consommation post-crise Covid-19 et confinement. Elle s’explique également par un changement de comportement des importateurs et distributeurs qui ont anticipé les tensions internationales en augmentant leur capacité de stockage localement afin d’éviter des ruptures d’approvisionnement.
Globalement, les prix ont augmenté de 3,3 % à La Réunion en 2021. La Réunion a enregistré un taux d'inflation de 3,3 % en 2021, selon le dernier indice des prix à la consommation des ménages de l'Insee. Un chiffre supérieur à la moyenne nationale (2,8 %). Les prix des produits pétroliers ont notamment fait un bond de 31 % en douze mois. Ainsi, fortement mobilisées dans le cadre des mesures d’urgence économiques et sociales pendant la crise sanitaire, les prestations sociales sont très dynamiques et soutiennent le revenu des ménages.
L’octroi de mer est une aubaine pour les ressources fiscales des collectivités locales. En 2021, 365 millions d’euros sont allés aux communes et 118 millions à la région. L’octroi de mer a représenté un taux moyen de taxation des marchandises de l’ordre de 6,5 % (source Douane). Il représente environ 28 % des recettes fiscales des communes et 22 % de celles de la région.
La très grande majorité des échanges de biens entre La Réunion et ses fournisseurs et clients extérieurs se réalise par voie maritime (95 %), le reliquat s’effectuant par fret aérien (5 %). Or, depuis la crise sanitaire de 2020, le trafic maritime mondial connaît des perturbations majeures impactant fortement la desserte régionale avec des conséquences importantes sur la souveraineté alimentaire, la sécurité des approvisionnements stratégiques, l’export de ses produits (sucre, poissons et autres produits agroalimentaires, déchets, etc.) et sur le pouvoir d’achat des réunionnais, mais aussi les populations des îles du Sud-ouest de l’Océan Indien.
Cette situation est la résultante de l’organisation de la desserte maritime du bassin réunionnais dont les coûts (+30 % depuis la pandémie Covid-19) et la désorganisation liée à la crise mondiale impactent les flux commerciaux entrants et sortants. En réponse à cette problématique identifiée de longue date, notamment par la Commission de l’Océan Indien (COI), des projets de logistique maritime et portuaire ont récemment été présentés à la collectivité régionale et certains pays voisins de La Réunion ont été concernés par la création de compagnies maritimes "régionales" :
- la Compagnie de cabotage mozambicaine ;
- le gouvernement mauricien aurait manifesté un grand intérêt pour établir une ligne maritime régionale afin de positionner l’île Maurice comme porte d’entrée de l’Afrique avec, par le même temps, le lancement en juillet 2022 d’un appel à manifestation d’intérêt pour créer des lignes Asie / Afrique ;
- enfin, les Comores auraient, pour leur part, obtenu un financement conséquent (85 M$) pour améliorer leurs infrastructures portuaires et acquérir quatre bateaux destinés au transport inter-îles.
Conflit Ukraine - Russie
Dans le cadre des tensions économiques entre la Russie et les pays de l’OTAN, il est fort probable que la région Réunion ne sera pas épargnée. C’est déjà le cas d’un opérateur agro-alimentaire pour lequel l’approvisionnement en intrants (engrais, matériels, aliments pour bétails, etc.) devient très difficile.
Au premier rang des préoccupations des entrepreneurs ultramarins se trouve la hausse des coûts des matières premières et leurs disponibilités depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, avec pour conséquences des effets inflationnistes qui remplacent la crise sanitaire dont les effets s’estompent peu à peu, tant en termes d’activité que de recours aux aides publiques (PGE, chômage partiel). Les secteurs les plus touchés sont l’agriculture, le BTP et l’industrie agroalimentaire (la Russie et l’Ukraine représentant 30 % des exportations mondiales de céréales).
Cela met clairement en exergue deux points essentiels pour maintenir la vie de la population locale dans des conditions les moins dégradées : le coût des intrants, notamment agricoles, et la capacité d’approvisionnement, qui implique également une accélération de la modernisation des infrastructures maritimes. Les mesures d’accompagnement identifiées à ce stade pourraient concerner, à court et moyen termes, les domaines organisationnels et réglementaires, mais également des investissements industrialo-portuaires.
I – Les coûts ne seront plus supportables sur certains produits vitaux
Sur le court terme, le besoin en primes à l’import (compensation sous forme de subvention annuelle en soutien aux importateurs) serait nécessaire pour faire face aux augmentations des prix. Cela nécessiterait une organisation de contrôle et de régulation drastique des prix pour limiter les effets d’aubaine. Il peut être envisagé, sur la base du travail réalisé dans le cadre du Bouclier Qualité Prix, d’identifier les produits de première nécessité concernés, avec une échelle de coefficients de majoration adaptée. Le ministre délégué aux Outre-mer a souhaité, sur ce sujet, élargir la liste à d’autres produits (matériaux de construction, pièces de rechange pour les véhicules, etc.). En parallèle, un accompagnement de l’État est souhaitable pour accompagner la structuration de certaines filières, en particulier les acteurs de la chaîne logistique, afin de permettre d’améliorer la qualité de service, les coûts et l’attractivité du Grand Port Maritime, nécessaire à la sécurisation de la connexion maritime.
Ce début de réponse nécessitera une réelle organisation des acteurs concernés et une stratégie d’aménagement du territoire partagée entre l’État, les collectivités locales et les acteurs économiques pour accompagner le maintien et la sécurisation des approvisionnements de manière pérenne pour la population.
II – La rareté de la matière mettra en concurrence des lignes aériennes et maritimes plus rentables que celles entre l’Europe et La Réunion
Le lien avec les grandes compagnies maritimes et aériennes de fret devra s’articuler autour d’une lecture des besoins à l’échelle européenne. Pour ce qui concerne la région Réunion, il serait intéressant de développer la liaison directe à partir de l’Asie (qui représente actuellement 15 % des volumes importés). Cela nécessiterait d’offrir de la rentabilité à ces lignes et impliquerait pour les opérateurs locaux de s’organiser en ce sens. Il faudrait également développer les capacités de stockage et améliorer l’attractivité du Grand Port Maritime de La Réunion afin de diminuer les coûts de passage pour les compagnies. Cela nécessiterait des projets portuaires d’aménagement d’espaces de stockages et d’entrepôts pour solutionner le problème de l’encombrement des quais par des conteneurs vides, situation liée à la supériorité des importations sur les exportations et ayant un fort impact en termes de coûts pour les compagnies maritimes. Dans ce domaine, des accompagnements financiers aux investissements directs, au même titre que le soutien industriel dans le cadre du Plan France Relance et France 2030, seront indispensables. Mais cela ne pourra se faire que sur du moyen terme imposé par les temps de négociations et d’investissements.
En parallèle, la collaboration régionale en zone Océan Indien, tant en approvisionnement direct qu’en mutualisation des besoins, deviendra un élément incontournable de la résilience territoriale en cohérence avec la transition écologique (diminution de l’impact carbone). Aussi le travail initié par la Commission de l’Océan Indien (COI) mériterait d’être accéléré pour engager sans plus attendre des actions opérationnelles de partenariat et définir une feuille de route partagée par les États membres de la Commission.
III – L'approvisionnement hors UE nécessite des adaptations normatives
Les ouvertures possibles sur les marchés hors UE mériteraient un travail consolidé et approfondi des acteurs économiques locaux (GMS, grande distribution alimentaire, importateurs, distributeurs, logistiques et transports maritimes). Ainsi, des procédures simplifiées de dérogation au cadre européen pourraient être mises en place au fil de l’eau des demandes. Le cadre normatif dérogatoire serait adapté par des opérateurs locaux avec des délais de validité à identifier.
Les différents échanges entre l’État et les acteurs économiques ont mis en évidence les points suivants :
- les difficultés des différents acteurs à sortir du modèle actuel avec une forte dépendance à 85 % aux échanges économiques avec l’Europe ;
- l’absence d’infrastructure et de stratégie maritime régionale avec une coordination inter-îles ;
- la nécessité de structuration de certains pays de la zone Sud de l’Océan Indien afin de répondre à une qualité de service ;
- la qualité des produits et matières disponibles localement qui ne répondraient pas toujours au cadre normatif et réglementaire européen.
Conclusion
La mise en place de procédures simplifiées de dérogation au cadre européen pourrait être une solution afin de sortir de ce cadre normatif contraignant en l’adaptant aux besoins des opérateurs locaux. Au-delà des mesures financières et d’adaptation normative, une autre pourrait concerner la continuité du plan de transformation agricole. Les projets ne manquent pas dans ce domaine mais nécessitent un véritable accompagnement financier sur les investissements, sans lequel les porteurs de projets ne pourront pas avancer.
Par ailleurs, le conflit russo-ukrainien ainsi que les sanctions et contre-mesures adoptées perturbent fortement l’équilibre et la viabilité économiques des exploitations agricoles. Face à ces difficultés, le gouvernement a mis en place un plan de résilience, qui comprend notamment un dispositif de prise en charge des cotisations sociales agricoles ("PEC résilience") déployé localement par la CGSS de la Réunion et doté de 150 millions d’euros au niveau national. Sont concernés les exploitants agricoles réunionnais dont les activités relèvent de l’un des secteurs économiques suivants : la production agricole primaire, l’exploitation forestière, la prestation de travaux agricoles ou forestiers, l’aquaculture (marine et continentale), la pêche professionnelle à pied ou en eau douce.
Il y va donc, au travers de ces quelques axes de propositions, de tenter de limiter les effets de la crise économique induite par le conflit militaire Russie – Ukraine et de sécuriser nos voies maritimes ainsi que les dessertes. Pour nos régions insulaires, cela conditionne le maintien d’une paix sociale et un niveau de vie acceptable pour la population réunionnaise. L’Union européenne aurait peut-être tout intérêt à s’accorder sur une politique régionale commune afin de préserver ses intérêts.
Enfin, il serait important d’identifier les secteurs et entreprises stratégiques à La Réunion et à Mayotte dans cette période post crise Covid-19, les efforts financiers ayant permis de surmonter la crise et d’amorcer la relance.
La fragilisation des entreprises réunionnaises durant la période de pandémie Covid-19 pose une question essentielle sur nos réelles capacités à faire face à nos besoins primaires s’agissant de notre indépendance alimentaire, énergétique et, plus globalement, sur la sécurisation de nos approvisionnements en produits finis ou matières premières.
En réponse, il convient d’intégrer dans nos stratégies de développement économique les enjeux de sécurité économique et de souveraineté du territoire et, de fait, renforcer notre capacité à maintenir un climat social et protéger nos intérêts vitaux.
Cela pourrait nous conduire à préserver nos positions par rapport aux forces régionales en présence, la vulnérabilité des secteurs stratégiques étant un enjeu majeur de souveraineté nationale et locale.
Les contextes de la crise sanitaire, puis maintenant de la guerre en Ukraine ont fortement contribué à imposer les thèmes de la souveraineté économique dans les débats publics. Cela passe par notre capacité à identifier, protéger et promouvoir les actifs stratégiques pour l’économie nationale et locale.
Les menaces croissent fortement, en particulier s’agissant des entreprises ou des technologies stratégiques. Elles représentent des menaces capitalistiques, des risques sur la protection d’informations stratégiques et de patrimoine informationnel par des risques cyber. L’ensemble de ces menaces doivent être analysées pour anticiper les tendances de fond de la compétition économique.
La récente invitation de l'ANSSI à une mobilisation des différents acteurs de la région et du département en vue de la création d'un centre de ressources en cybersécurité à La Réunion a du sens, l’économie numérique et le secteur de la cybersécurité se développant depuis quelques années sur le territoire. L'objectif serait de faire dans La Réunion un hub régional majeur du numérique entre l'Europe et l'Afrique. Il faut noter que ce dynamisme initié par le Président de la République Emmanuel Macron, lors de la présentation de la stratégie Indopacifique "Choose La Réunion", a permis à La Réunion d'obtenir le Label French Tech et de rayonner au plan international. Ainsi, cette transformation numérique du territoire serait une réelle opportunité pour palier à l'enclavement physique et à l'insularité du territoire et constituerait alors un levier de développement économique et d’accélération de la transition numérique et écologique. Le projet de création d’une agence cybersécurité à La Réunion pourrait par ailleurs être confié à la région Réunion via l’Agence Régionale de Développement d’Investissement et d’Innovation "NEXA".
Les enjeux sont multiples, ils sont pour certains connus, et se préparer à ces éventualités est de toute évidence la réponse qui permettrait d’anticiper et de réduire ainsi les risques et les impacts.
Jean-Michel Birault et Jean-Fabrice Vandomel
03/10/2022