Pouvoir et Folie

30/01/2023 - 8 min. de lecture

Pouvoir et Folie - Cercle K2

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Jean-Pierre Doly est Psychosociologue, Professeur à l'ESCP Europe et au STAPS de Nanterre, Conseil en Management/RH dans l'entreprise et dans le sport et ancien DRH/DG (Renault - Danone).

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Nous savons depuis longtemps que le pouvoir peut rendre fou... ou pas !

Que ce soit dans le monde politique, du business, des médias, du sport, les exemples sont nombreux de personnes, par ailleurs "intelligentes", compétentes, ayant réalisé de très belles choses, et qui ont – comme l’on dit vulgairement – "pété un câble" et sont devenues folles !

Il n’est pas utile de livrer des noms, chacun en connait ou en a connus dans les sphères précitées et l’actualité du monde du sport nous fournit, hélas, deux exemples dans des fédérations majeures de notre pays.

Pourquoi ces personnes a priori respectables arrivent à faire un usage contestable, voire condamnable de leur pouvoir ?

Parce que tout simplement le pouvoir permet (ou pas) d’exprimer en toute impunité les éléments les plus irrationnels, voire pathologiques de ces personnalités.

Le pouvoir c'est "la capacité dévolue à une autorité ou à une personne, d'utiliser les moyens propres à exercer la compétence qui lui est attribuée soit par la Loi, soit par un mandat dit aussi "procuration"… Le pouvoir désigne soit la capacité naturelle et la possibilité matérielle d'accomplir une action, soit l'exercice d'une autorité et, par extension, l'institution qui exerce cette autorité". 

Sans aller aussi loin que Michel Serres : "il n’y a au pouvoir que des fous dangereux", nous pouvons considérer avec Maurice Berger[1] que "ce qui pose problème chez les hommes de pouvoir, c’est précisément le contraste entre cette "intelligence", cette compétence et des comportements de toute évidence dictés par des sentiments personnels peu compatibles avec les fonctions occupées".

Heureusement, tous les hommes de pouvoir ne sont ou ne deviennent pas fous [2], mais le pouvoir révèle les traits pathologiques qui ont mené à sa prise.

Qui - en situation d’un peu de pouvoir - n’a jamais été surpris par les attentions nouvelles, les passe-droits et autres avantages qu’il faut savoir détecter et gérer sans se prendre pour un autre ou – sans narcissisme exagéré - considérer que l’on ne fait plus partie du commun des mortels ?

Au départ, il peut s’agir d’une personne dotée d’une certaine envergure intellectuelle, brillante, compétente, pertinente, qui est élue ou nommée à un poste de responsabilité et qui le mérite ; elle sait exposer clairement des idées complexes ; elle a du charisme, une capacité de synthèse pour trouver des solutions ; elle peut avoir à son actif des réussites, des avancées, des innovations.

Mais nous savons que l’intelligence ne se résume pas au calcul d’un QI loin d’être suffisant pour être un dirigeant respecté et performant. Depuis plusieurs années, nous connaissons les apports d’autres formes d’intelligence : collective, stratégique, pédagogique, relationnelle, émotionnelle, situationnelle, sportive, etc. [3].

L’homme qui en arrive à avoir une mauvaise utilisation de son pouvoir est convaincu de s’être fait tout seul. Il ne doit rien à personne si ce n’est à ses capacités et ses qualités. Il rêve de n’avoir à obéir et ne rendre compte à personne, d’être le maître du temps.

Concernant certains hommes politiques, ils créent des lois qui sont censées s’appliquer à eux-mêmes, mais le besoin de séduire, la crainte de décevoir - le plus souvent avec sympathie, chaleur, bon sens -  leur laisse croire que les lois ne sont pas pour eux.

Ce qui est plus grave c’est que malgré les précautions du système démocratique, rien de peut empêcher le processus de prise et d’exercice d’un pouvoir toxique par de telles personnes.  

Par sa séduction, son attrait sur les autres, l’admiration qu’il suscite pouvant aller jusqu’à une sorte de fascination, l’homme de pouvoir peut devenir dangereux pour lui-même et son entourage.

Seule la démocratie garantit la liberté de penser, mais pas celle de tout faire ni tout dire, surtout en situation de pouvoir. Elle est fondée sur la négociation pour éviter les injustices et protéger les personnes.

Il est d’ailleurs très intéressant d’analyser les liens entre l’organisation de certaines institutions et la psychologie des hommes de pouvoir dans ces institutions.

 

L’abus de pouvoir 

L’abus de pouvoir, c’est exercer une emprise, une puissance, une domination par la force physique ou morale qu’octroie ce pouvoir !

L’abus de pouvoir touche aux sentiments, à l’intime, à des convictions et des raisonnements simplistes avec ce besoin impérieux d’être aimé, de séduire, de conquérir, de captiver, de subjuguer.

 

Le risque de maladie psychique des hommes de pouvoir

Le monde de la politique, de l’entreprise, du sport est fait de nécessaires compromissions, combats, luttes dans lesquels, pour un homme de pouvoir, la recherche et le maintien du pouvoir est un tel besoin que tout le reste passe au second plan, y compris  la morale ("les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent").

Il est important de faire très attention à une utilisation excessive et galvaudée de termes psys en dehors du champ médical (bipolarité, perversion, narcissisme, paranoïa, schizophrénie, psychose, névrose), mais il n’en demeure pas moins que les maladies mentales ou troubles psychologiques (dépression, stress, burn out, etc.) se mesurent par des mots et non par des scanners ou autres IRM.   

Sur un plan psychologique, ce que l’on repère chez certains hommes de pouvoir correspond à une sorte de fragilité narcissique et un besoin d’emprise excessif sur les autres.

Mais être narcissique n’est pas être egocentrique ni nombriliste. Pour un homme de pouvoir, Il est indispensable d’avoir un minimum d’estime de soi, voire d’amour de soi. Il doit avoir un minimum d’emprise sur son environnement, pouvant aller jusqu’à la contrainte, la domination, la mainmise, l’asservissement, la dépendance.

Le narcissique dénonce les mensonges mais nous savons que ceux qui exigent le plus de vérité sont les plus menteurs. Ils ont une apparente largesse d’esprit alors qu’en fait, ils ne supportent pas la remise en cause. Ils préfèrent falsifier la réalité et la vérité plutôt que de se voir être critiqués.

Les hommes de pouvoir narcissiques sont hyper actifs ; ils ne supportent pas la solitude - alors que le pouvoir isole -. Ils ont un besoin compulsif de conquête permanente, ont besoin de l’admiration des autres mais sont dans l’incapacité d’aimer d’autres qu’eux-mêmes dans la durée.

Ils font en sorte que l’on ait besoin d’eux, qu’on leur prête attention, qu’ils soient au centre des regards. Ils ont la crainte de voir les événements leur échapper et maintiennent une proximité et une vigilance pour maintenir leur pouvoir.

Ils ont surtout besoin des autres, d’une part, pour conquérir et conserver leur pouvoir. C’est la raison pour laquelle ils s’entourent d’une cour de valets, de "béni oui oui", de "yesmen et women" qui leur sont redevables.

Ils ne sont pas à une contradiction près. Ils ont une incapacité à reconnaître leurs erreurs et donc à les nier ou les minimiser, sans remords ni excuses et même sans s’en rendre compte et ce ne sont pas leurs courtisans qui leur feront remarquer. En fait, ils ont besoin d’être entourés de collaborateurs proches, semblables, en admiration et surtout soumis et fidèles qui les protègent.

Ils peuvent passer d’une forme d’humanisme bienveillant, ouvert, refusant le conflit, à une attitude d’attaque, un comportement de "tueurs" face à des supposés ou réels ennemis mais aussi vis-à-vis de leurs propres collaborateurs dont ils estiment qu’ils leur font de l’ombre par leur popularité, notamment médiatique, ou qu’ils l’ont trahi !

Ils peuvent aussi passer d’une forme d’intelligence brillante à un comportement infantile surprenant.

Ils ont un besoin permanent de reporter leur agressivité sur les autres et de grandes difficultés à la gérer. L’homme de pouvoir est prêt au combat d’idées ou de principes à coup d’arguments idéologiques mais pas au combat réel.

Ils ont un objectif majeur : se faire réélire coûte que coûte et sont prêts à toute compromission pour cela en multipliant les appuis, en jouant sur le secret et sur le fait que plus on a de pouvoir, plus on vous propose du pouvoir.  

Dans un monde de plus en plus "communiquant", notamment via l’impact de la télévision et des réseaux sociaux, l’homme de pouvoir n’est pas conscient des conséquences de ses déclarations ou prises de position et va utiliser la minimisation s’il est attaqué. Celui qui osera révéler et maintenir une contradiction deviendra un persécuteur et donc un ennemi.

Personne - dans son entourage - n’ose faire remarquer à un homme de pouvoir sa versatilité, son inconstance, ses caprices, son absence de fiabilité, ses abus (souvent liés à l’argent ou au sexe), car on le sait susceptible et paranoïaque, et on a peur de sa réaction. Leurs personnalité et attitudes empêchent la gestion et résolution de conflits inhérents et inévitables dans tout groupe humain.  

Il y a de la pudeur et du secret liés à l’emprise d’une personne en situation de pouvoir sur une autre qu'il est difficile à révéler car cette personne sait "acheter" le silence par des avantages ou des nominations.

Ils ont une ambition importante, voire démesurée. Ils ont une aisance sociale superficielle dans tous les milieux jusqu’au jour où, n’ayant pas mis en place un contre-pouvoir, ils perdent le contact avec la réalité et agissent en totale impunité avec démagogie, abus, exactions (essentiellement financières et/ou sexuelles).

C’est une des raisons pour lesquelles, dans de nombreuses institutions, les dirigeants même performants ont une date limite à leurs mandats et qu’il existe une réflexion sur les systèmes de dirigeance et de gouvernance qui pourraient faire l’objet d’un prochain article.  

Le machisme, voire la misogynie, de certains hommes de pouvoir laisse peu de place aux femmes qui n’ont pas nécessairement les mêmes caractéristiques d’emprise que les hommes.

 

Des pistes d’amélioration ?

Il y a heureusement tous les jours – et c’est le plus grand nombre – des dirigeants et hommes de pouvoir qui prennent des décisions intelligentes et cohérentes, des juristes ou politiques qui élaborent des lois, normes et règles.

La mise en place de contre-pouvoir est évidemment indispensable, surtout si elle est indépendante et libre. Les médias ont un rôle de terrain essentiel.

En situation de pouvoir et donc de management, il serait bon d’appliquer a minima la règle des 3H [4] - Humanisme, Humilité, Humour - qui permet une ambiance de travail basée sur la collaboration et la coopération avec des dirigeants à l’écoute et ouverts, et des collaborateurs vigilants et attentifs, pouvant éviter le "dégagisme" qui fleurit notamment en politique.  

Jean-Pierre Doly

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[1] Maurice Berger, La folie cachée des hommes de pouvoir, Albin Michel, 1993.

[2] Olivier Todd, La marelle de Giscard, R. Laffont 1977 ; J'ai vécu en ces temps, 2011, Catherine Nay, Le Noir et le Rouge, Grasset 1984 ; Le Dauphin et le Régent (1994) et Un pouvoir nommé désir (2007) ; Gérard Miller, Le divan des politiques, Seuil, 1989 ; Françoise Giroud, La comédie du pouvoir, Fayard, 1977 ; Frantz Olivier Gisbert, François Mitterrand ou La tentation de l’histoire, Seuil, 1977 ; Jacques Chirac, Seuil, 1987 ; Le Président, Seuil, 1990 ; Alain Etchegoyen, La démocratie malade du mensonge, F. Bourin, 1993.

[3] et [4] Jean-Pierre Doly, Entreprise et Sport : Managers de Talents, Solar, 2021.

30/01/2023

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