Premier voyage : le Sommet européen de Hanovre

05/07/2020 - 10 min. de lecture

Premier voyage : le Sommet européen de Hanovre - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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Premier voyage : le Sommet européen de Hanovre

 

Le départ

Les 27 et 28 juin 1988 allaient marquer ma première mise à l’épreuve en qualité d’aide de camp du PR : je devais effectuer mon premier voyage officiel à l’étranger, à l’occasion du Sommet européen de Hanovre.

Le départ de Paris était fixé à 11 heures. Dès 9 heures, je relisais une nouvelle fois, depuis mon bureau, le programme d'activités préparé depuis plusieurs semaines et que je connaissais par cœur. Je faisais le point météo et téléphonais au GLAM (Groupe de Liaisons Aériennes Ministérielles) et à Hanovre pour recueillir les dernières nouvelles sur le déroulement du voyage. Je préparais ensuite la serviette que m’avait confiée mon prédécesseur, laquelle ne me quitterait pas pendant les deux prochains jours. Elle contenait : les lunettes de vue de rechange et de soleil du PR, une bouteille d’eau et un verre, du papier et des enveloppes, des cartouches d’encre et un stylo de rechange, un peu d’argent, une boîte de pastilles « Euphon » pour les éventuelles extinctions de voix. Bref, tout ce qui pouvait être nécessaire au PR et que l’on emporte (ou que l’on emportait) avec soi pour un voyage de travail.

Je revêtis ensuite mon uniforme et ma veste sur laquelle pendaient mes aiguillettes. Elles sont la marque de la fonction d’aide de camp. À l’origine, les aides de camp portaient un crayon attaché à une cordelette fixée à leur uniforme afin d’être parés pour noter à tout moment les ordres donnés. Les aiguillettes, portées à droite, contrairement à la fourragère, symbolisent ces crayons qui ont été si utiles à nos grands anciens.

À 10 heures 30, je pénétrais dans le bureau du secrétariat particulier. J’y retrouvais les secrétaires qui me sourirent avec la connivence de celles qui savent que c’est mon premier déplacement officiel. Prenant un dossier relatif au sommet et destiné au Président, je le plaçais dans ma serviette et attendais.

Le temps passait, l’heure du départ sonna et toujours pas de Président. Il arriva enfin de ses appartements privés, me dit bonjour, se rappela qu’il s’agissait de mon premier voyage. Nous pouvions partir !

Je lui conseillai de prendre son imperméable, la météo nous promettant peu de gaité. Abandonnant le PR au Conseiller Spécial qui l’avait rejoint pour quelques échanges avant le départ, je le retrouvai près de la R25 blindée alors que les conseillers participant au déplacement l’avaient salué dans le vestibule d’honneur.

Une fois le PR à bord, le cortège présidentiel escorté de quelques motards s’ébranla à vive allure vers l'École Militaire où l’hélicoptère Super Puma blanc du GLAM attendait. Quelle impression ! Les sirènes, les motards, le fanion aux armes du PR (le chêne et l’olivier), les passants qui se retournaient au passage du cortège et nous saluaient ! Je croyais vivre un rêve d’enfant !

Nous embarquâmes dans l’hélicoptère présidentiel, chacun prenant la place que le protocole lui assignait. Nous survolâmes Paris, Meudon et atterrîmes à Villacoublay, pour embarquer à bord du Mystère 50, et décoller en direction de Hanovre !

 

C’est VERDUN !

Un cortège de voitures nous attendait sur l’aéroport.  Une Mercédès blindée était mise à la disposition du PR par les autorités allemandes. Dès la sortie de l’avion, je me dirigeais vers cette voiture, de façon naturelle, comme si je l’avais toujours fait. Je me préparais à m’installer à la place avant, que je croyais m’être destinée, quand un officier de sécurité allemand m’interdit l’accès au véhicule. Il me fit comprendre que cette place lui revenait de droit ! Alors que je lui tenais tête, le PR, qui s’était installé à sa place dans le véhicule, fit un signe au chef du protocole. Celui-ci accourut et m’expliqua, un peu sèchement, qu’à l’étranger, c’était l’officier de sécurité du pays hôte qui montait avec le Président. Confus, je quittai le véhicule et rejoignis une autre voiture du cortège, en jurant, un peu tard, que l’on ne m’y reprendrait plus.

À l’arrivée au Landhaus de Herrenhausen où les chefs d’État et de gouvernement devaient déjeuner, je rencontrai pour la première fois le Chancelier Kohl.

Après le déjeuner, nous partîmes vers le centre de conférences installé à la foire d’exposition de Hanovre, où nous attendait toute une nuée de journalistes. C’était la première sortie officielle du PR à l’étranger, après sa réélection de 1988. Il était très attendu. Devant ces photographes et télévisions, les conseillers de l’Élysée, qui accompagnaient le PR pour ce déplacement, pour certains aussi pour la première fois, se bousculaient pour « figurer sur la photo ». Il me fallut jouer des coudes pour ne pas être éloigné du Président.

À l’intérieur de la salle de conférence, le PR s’installa à la place signalée par un drapeau français. Je lui remis son dossier. Je m’installai dans un bureau réservé, placé à proximité immédiate de la salle de conférence, où nous avions installé nos télécommunications sécurisées.

En fin d'après-midi, nous pûmes rejoindre l’Hôtel Intercontinental où était installée la délégation française. Au moment de prendre place dans la voiture, et alors que je l’accompagnais jusqu’à son véhicule, le PR m’invita à monter à l’arrière, à ses côtés. À l’avant du véhicule, se trouvait mon officier de sécurité allemand qui, bien sûr, comprenait le français. Après quelques échanges sur la ville de Hanovre et ma nouvelle fonction auprès de lui, le PR fit alors allusion au petit incident qui avait eu lieu à l’arrivée à l'aéroport. Il me rappelait qu’à l’étranger, l’aide de camp devait laisser sa place à l’avant, puis me dit, d’un air malicieux, en couvrant sa voie pour que son propos paraisse échapper à l’oreille de notre officier de sécurité, mais suffisamment fort tout de même pour qu’il entende : « Et vous savez, avec les Allemands, ce n’est pas la peine d’insister... c’est Verdun ! » Et le PR partit d’un bel éclat de rire !

 

Une promenade impromptue avant diner

Arrivé à l’hôtel, le PR fût de nouveau assailli par de nombreuses personnes, notamment par des enfants qui réussirent à lui faire signer des autographes : l’exploit n’était pas anodin car contraire à ses habitudes.

Dans l’ascenseur, le PR m’interrogea sur la distance qui séparait l’hôtel du restaurant où le dîner de travail était organisé :

« Deux ou trois kilomètres Monsieur le Président », répondit (avec beaucoup d’imprécision, il faut bien le reconnaître) son nouvel aide de camp. « Très bien, nous avons un peu de temps, je crois. Nous irons à pied ! Départ dans un quart d’heure ! »

Rien n’est pire, pour un aide de camp, qu’un divertissement non planifié. Je convoquai immédiatement l’officier du GSPR (Groupe de Sécurité de la Présidence de la République) pour qu’il organise avec les Allemands le déplacement à pied. Au moment de quitter l’hôtel, il se mit à pleuvoir à verse ! L’hôtel vint à notre secours en fournissant quelques parapluies.

Sur le chemin, les passants reconnurent le PR et le saluèrent. Certains vinrent lui serrer la main. L’ambiance était très bon enfant jusqu’à ce que, tout à coup, un homme à l’allure inquiétante s’approcha un peu trop précipitamment du Président. De façon très professionnelle, l’individu se retrouva immobilisé en souplesse par deux gendarmes du GSPR. Le PR, constatant qu’il n’y avait pas de danger et que cet homme voulait simplement le saluer, fit signe de le laisser approcher et lui serra la main. Ce passant allemand exprima sa joie et sa fierté d’avoir été ainsi honoré.

La marche reprit. Le PR se plaignit du trop de monde qui l’entourait et se tournant vers moi, me dit :

« De toute façon, vous n’avez pas prévenu les terroristes ?

- Monsieur le Président, j’en aurais eu l’intention que je n’en aurais pas eu le temps !

- Bonne réponse », m’indiqua le MAE, qui accompagnait le PR dans sa promenade.

Le PR sourit.

Nous arrivâmes enfin au restaurant, après cette marche qui avait duré plus d’une heure. Naturellement, nous étions les derniers arrivés. Le PR étant le chef d’État le plus ancien s’octroyait quelques libertés. Je l’accompagnais à sa place pour le dîner de travail.

Au cours du dîner, je fus informé que le PR avait accepté de visiter le lendemain matin le Château de Celle à quelques kilomètres de Hanovre, en compagnie du Ministre Président du land de Basse Saxe, Monsieur Albrecht. Le repas terminé le PR rejoignit l’hôtel, cette fois en voiture dans laquelle la Conseillère pour les affaires européennes réussit, avec beaucoup d’habileté, à se faire inviter.

À l’hôtel, le médecin personnel attendait son noble patient. Le PR me souhaita une « Bonne nuit Colonel » après avoir entendu le programme du lendemain et fixé l’heure du réveil.

La nuit du Colonel allait être courte : il s’agissait maintenant de régler une foultitude de détails pour la journée suivante.

 

Petit déjeuner avec le Chancelier Kohl

Selon la tradition des sommets européens, le petit déjeuner du deuxième jour se prenait avec le Chancelier allemand. Vers 8 heures, environ quelques minutes avant l’heure prévue, le PR ne s’était toujours pas manifesté. Chargé du réveil, le Maître d’hôtel attaché au Président, s’était fait rabrouer, le PR lui interdisant d’ouvrir les rideaux.

Je frappai alors à la porte de la chambre présidentielle. Aucune réponse. Je poussai la porte et constatai que la chambre était vide. J’entendis cependant du bruit venant de la salle de bain : « Monsieur le Président ! Monsieur le Président ! » Une voix me répondit alors : « JA ! JA ! » et une tête coiffée d’une charlotte apparut dans l’entrebâillement de la porte. C’était le PR qui prenait sa douche ! Je m’efforçai de garder mon sérieux et rappelai au Président son rendez-vous dans quelques minutes avec le Chancelier. Sans émotion particulière, il me remercia et me promit de se dépêcher. Dix minutes plus tard il sortit de sa chambre. Il me fit remarquer que le Chancelier n’était pas encore arrivé et qu’on l’avait pressé inutilement. En réalité, à ma demande, la voiture du Chancelier faisait quelques tours supplémentaires du pâté de maisons pour ne pas arriver trop tôt. Je pus alors montrer le cadeau destiné au Chancelier (un jeu d’échecs en porcelaine) et diriger le PR vers l’entrée de la suite pour accueillir son invité.

À la fin du petit-déjeuner et après avoir pris congé du Chancelier en lui annonçant son départ pour le château de Celle et son remplacement à la conférence par le MAE, le PR accueillit Monsieur Albrecht qui l’accompagnerait pour la visite.

La visite du château se déroula de façon imprévue. À peine arrivé sur place, le PR demanda à s’isoler quelques instants. Je perçus l’inquiétude du médecin personnel alors qu’il faisait les cent pas devant la pièce où le Président s’était réfugié. Il frappait de temps en temps à la porte jusqu’à recevoir une réponse rassurante. J’étais interloqué par cet « événement » auquel j’assistais pour la première fois et qui, malheureusement, se renouvèlera.

La visite put finalement reprendre et se déroula sans nouvel incident.

 

La composition du nouveau gouvernement

Sur le chemin du retour vers Hanovre, je fus informé de l’arrivée d’un message transmis par le Secrétaire Général de l’Elysée qui devait être donné directement en mains propres au PR. Il s’agissait du projet de composition du gouvernement Rocard.

Alors que le PR avait repris sa place dans la salle de conférence, je lui apportais le message. Il lut la liste des noms des ministrables proposée par le nouveau Premier Ministre. Sortant son stylo à encre bleue, il raya quatre noms et me rendit le papier en me précisant de le retourner à l’Élysée. En outre, il souhaitait communiquer par téléphone avec le Premier Ministre lors de la prochaine interruption de séance.

Je constatais ainsi que le pouvoir était bien à l’Élysée.

Le contact téléphonique, aimable, entre le PR et le nouveau PM eut lieu comme prévu. Les quatre récusés ont été remplacés par quatre personnes « proposées » par le PR.

Nous quittâmes Hanovre vers midi, après la traditionnelle conférence de presse. Compte tenu des nouveaux horaires, le déjeuner officiel avait été annulé. L’équipage du Mystère 50 présidentiel était prévenu. Il y avait, de toute façon, en permanence à bord un en-cas de charcuterie. Cela ne déplut pas au PR qui, gourmand, trouvait là l’occasion involontaire d’une entorse à son régime.

Le retour s’accomplit sans problème.

J’avais vécu ma première mission avec ses imprévus et fait connaissance du monde international que j’allais retrouver à plusieurs reprises dans les années à venir. J’étais exténué mais quelle aventure !

 

Général Jean-Pierre Meyer

05/07/2020

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