Qui sauvera le Montenegro ?

06/11/2020 - 5 min. de lecture

Qui sauvera le Montenegro ? - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Serge Delwasse est PDG de CetraC.io.

---

À l’occasion de trois récents voyages – eh, oui, certains voyagent encore - j’ai acquis quelques convictions que je souhaite partager. Le Rugby est un jeu qui se joue à 15 et, à la fin, ce sont les anglais qui gagnent. "Risk" est un jeu qui se joue à plusieurs et, à la fin, c’est Vladimir Poutine qui gagne.

 

Le premier voyage : Vladimir Poutine, synthèse du Tsar, de Lenine et de Staline, joue au "Risk"

Un de mes amis m’avait éclairé il y a 15 ans m’expliquant "Poutine, c’est De Gaulle". Il voulait, par là, mettre en avant la volonté du Président russe de reconstruire, à l’aide de la manne pétrolière, une économie moderne afin de revenir dans le concert des grands. Mais ça, c’était avant un voyage d'une dizaine de jours en Sibérie orientale, entre Khabarovsk et Vladivostok, en voiture – toujours voyager en voiture, cela permet de voir ce qui n’est jamais montré, avec un détour très instructif par Komsomolsk-sur-Amour. À l’occasion de ce voyage, j’ai pu constater :

  • Le Tsar s’appuie sur l’Église orthodoxe pour assurer son pouvoir – la Russie est probablement un des seuls pays au monde où l’on construit encore des églises.
  • La Russie "profonde" n’a été ni désocialisée (il y a des rues Lénine dans chaque village) ni même désoviétisée (on trouve même un buste de Staline à Komsomolsk !).
  • Poutine est aimé par la population.

Nous sommes donc face à un Président à vie – car je pense que personne ne peut nier aujourd’hui qu’il restera au pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaite – qui a tout d’un monarque (le Tsar) implacable (Staline), internationaliste et socialiste (Lénine). Après s’être occupé de l’opposition interne, qu’il s’agisse des Tchétchènes ou des quelques opposants qui se trouvent malencontreusement empoisonnés, il s’est attaqué aux marches de l’Empire : en Géorgie, via l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, en Ukraine, via la Crimée… Petit à petit, Poutine reconstitue l’Empire russe.

 

Le deuxième voyage : Loukachenko restera

Nous le lisons, semaine après semaine : des manifestations importantes ont lieu à Minsk, afin d’obtenir le départ de Loukachenko. Je suis donc allé voir sur place.

Il faut savoir que la Biélorussie est le seul des pays satellites de l’ancienne URSS qui n’a jamais été désoviétisé. La population, pauvre, semble vivre bien et tristement. Minsk en 2020 a ainsi quelque chose de Minsk en 1980, avec les voitures en plus… Certes, plusieurs dizaines de milliers de manifestants, chaque dimanche, demandent le départ de Loukachenko. Mais à part ces manifestants, les habitants semblent bien passifs, surtout que les manifestants sont rassemblés à Minsk. Et quelques dizaines de milliers d’opposants, même si l’on monte à 100 000, sur 10 millions d’habitants, ça ne fait qu’un pour cent. On ne fait pas une révolution avec 1% de la population.

Surtout que Poutine ne lâchera pas Loukachenko. Il ne le fera pas parce qu’ils se ressemblent, mais surtout il ne le fera pas parce que, dans l’esprit du tsar, la Biélorussie c’est… la Russie ! Prenez une carte :

  • à l’ouest Brest-Litovsk, où la paix séparée, premier geste politique fort des soviets, a été signée en 1917. Lenine
  • Au milieu, Minsk, ville Héros de l’Union Soviétique. Staline
  • A l’est, la Bérézina, grand fait de gloire de l’armée russe au 19ème siècle. Je ne ferai pas l’injure rappeler au lecteur ce qui s’y est passé.

La Biélorussie c’est la Russie, et Loukachenko restera gouverneur de la province.

 

Le troisième voyage : il se passe quelque chose à Podgorica

Connaissez-vous Podgorica ? Peut-être pas. Avec 200 000 habitants, c’est la capitale du Monténégro. Connaissez-vous le Monténégro ? Non plus ? Pays de 620 000 habitants, il a été indépendant entre 1910 et 1918, avant de se reséparer de la Serbie en 2006. Le Royaume du Monténégro a d’ailleurs probablement servi de modèle à la Syldavie de Tintin, petit pays des Balkans vivant sous la menace de son voisin bordure.

Avant de décrire la situation à Podgorica, il faut simplement que je fasse un peu d’histoire : Historiquement la Serbie est notre allié, voire notre amie. Le monument à la France, érigé en 1930 à Belgrade, en est témoin. C’est dans ce contexte que, en 1918, la France, qui était pourtant également alliée du Monténégro, a entérinée l’annexion de ce dernier par la Serbie. En 2000, la France a abandonné la Serbie de Milosevic, allant jusqu’à bombarder Belgrade en 1999. Il ne m’appartient pas de juger ici de la pertinence de ce choix. Force est simplement de constater que les serbes n’ont pas compris ce revirement historique, et que, en conséquence, ils se sont rapprochés de la Russie.

Mais que se passe-t-il à Podgorica ? Pas grand-chose. Quelques dizaines de milliers de Monténégrins manifestent. 50 000 peut être. Peut être un peu moins. Mais on est proche des 10% de la population. Contre quoi manifestent-ils ? contre l’arrivée au pouvoir, après des élections démocratiques, de Zdravko Krivokapic. Pourquoi ? Parce que le programme dudit Krivokapic, dont, au passage, on dit qu’il a été poussé par un dénommé Davidovic, homme d’affaires ayant certes réussi, mais controversé, et, surtout, ancien ministre des finances de… Karadzic. Krivokapic, dont le programme comprend, dans le désordre : Sortir de l’Otan, changer le drapeau national pour reprendre les couleurs rouge bleu et blanc – comme la Serbie, mais aussi un peu comme la Russie. Tiens, tiens… - revenir sur la reconnaissance par le Monténégro du Kosovo – épine dans le pied de la Serbie, Changer l’hymne. Bref, se rapprocher de la Serbie.

Le lecteur attentif me rétorquera que, certes, il y a des détails troublants, mais que les élections ont eu lieu démocratiquement. C’est vrai. Il y a toutefois un certain nombre d’indices d’influence extérieure dans cette élection ; Au premier rang desquelles  le rôle de l’Eglise orthodoxe serbe. A ce point de la démonstration, il me faut rappeler quelques bases :

  • La Serbie est orthodoxe, le Monténégro est laïc.
  • L’Eglise orthodoxe joue un rôle important à Belgrade.
  • Elle est également le premier propriétaire terrien du Monténégro. Elle n’y paie pas de taxes, et c’est justement sur ce point que le précédent gouvernement est tombé…
  • Elle s’est mobilisée pour faire voter les 30% de monténégrins qui se disent Serbes. D’ailleurs, de manière surprenante, le gouvernement de Belgrade a donné 8 m€ à l’Eglise juste après que la date des élections fût définie. Il se dit que cet argent aurait servi à la campagne du parti pro-Serbe.

On comprend bien l’intérêt direct que peut avoir la Serbie : outre la fierté de récupérer le Monténégro, qui effacerait la vexation de la perte quasi-inéluctable du Kosovo, elle reprendrait un accès à la mer… Toujours regarder les cartes…

Oui, mais Poutine dans tout ça ? La Russie a-t-elle joué un rôle dans la tentative d’assassinat du premier ministre Djukanovic en 2016 ? Je ne sais. A contrario, je sais que, de Gibraltar à Mersin (Turquie), l’ensemble des pays riverains du nord de la Méditerranée sont membres de l’OTAN. Pour la Russie, bénéficier indirectement via sa proximité avec la Serbie, d’un port en Adriatique, serait intéressant.

Il est temps que l’Europe réagisse. Soutenir le Monténégro serait un signal fort.

Serge Delwasse

06/11/2020

Dernières publications