Usage de stupéfiants, dépénalisation ou forfaitisation ?
23/10/2020 - 4 min. de lecture
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Jean-François Thony est Procureur général près la cour d’appel de Rennes et Ancien directeur de l'École Nationale de la Magistrature.
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Depuis quelques mois, à l’initiative du législateur, les policiers et les gendarmes peuvent verbaliser par voie de procès-verbal électronique les personnes prises en flagrant délit d’usage de stupéfiants. L’avantage de cette procédure est sa simplicité (plus besoin de placer la personne en garde à vue et de faire les nombreuses formalités qui s’y attachent, qui sont devenues kafkaïennes), son automaticité (le PV est traité par le centre national de traitement de Rennes, le même qui traite les excès de vitesse relevés par les radars) et la certitude de la peine, une amende de 200€ qui peut être majorée à 450€ en cas de non-paiement dans les délais. La plupart des procédures sous l’ancien système faisaient en effet au mieux l’objet d’un simple « rappel à la loi », les parquets n’ayant pas le temps de traiter ce contentieux de masse. Après une phase d’expérimentation, la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle a été généralisée fin août 2020. Près de 7000 procès-verbaux ont ainsi été dressés pendant le seul mois de septembre 2020.
Cette nouvelle procédure entièrement dématérialisée a suscité la colère des tenants de la dépénalisation des drogues, pour qui la répression de l’usage de drogues est un combat d’arrière-garde, qui a fait la preuve de son inefficacité puisque le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter. Pour eux, seule la légalisation de l’usage est de nature à régler le problème, puisqu’il évitera de remplir les prisons d’usagers de drogue pour lesquels seule une prise en charge sanitaire serait efficace. De plus, la légalisation de l’usage mettra fin au trafic puisque les consommateurs pourront se fournir dans des commerces ayant pignon sur rue, comme dans certains pays.
Cette lubie tenace d’un monde où tous les problèmes seront résolus miraculeusement par la légalisation de l’usage a pourtant été battue en brèche par l’expérience des pays qui l’ont tentée. Quel objectif veut-on atteindre en dépénalisant l’usage de drogues ? réduire le nombre de consommateurs ? Personne n’ose plus le soutenir, la disponibilité légale des stupéfiants allant bien évidemment faire exploser la consommation. Il n’existe pas une seule étude sérieuse selon laquelle, dans les pays qui l’on pratiquée, la légalisation de l’usage récréatif a fait baisser le nombre de consommateurs.
Pense-t-on mettre fin au trafic en rendant le commerce des drogues légal ? Là encore, il suffit de regarder l’exemple des pays qui l’ont expérimenté pour se convaincre du contraire. Aux Pays-Bas, où l’on a dépénalisé l’usage du seul cannabis, considéré comme moins dangereux, et autorisé sa vente et sa consommation dans les fameux coffee shops, le pays est devenu l’une des plaques tournantes les plus importantes du trafic de drogues en Europe. Mais pas simplement du cannabis. Le pays est devenu un marché ouvert pour le trafic de cocaïne, mais aussi de psychotropes tels le MDMA et l’ecstasy qui font des ravages parmi les jeunes, au grand bonheur des organisations criminelles, qui peuvent évoluer en toute impunité sous le couvert des coffee shops légaux.
La rengaine martelée par de nombreux intellectuels selon laquelle légaliser l’usage des drogues serait le meilleur moyen de mettre fin au trafic relève au mieux de l’utopie, au pire de la manipulation. Savez-vous en effet quel est, pour les organisations criminelles, l’une des activités criminelles les plus rentables ? Le trafic de cigarettes, produit dont l’usage est pourtant parfaitement légal dans tous les pays du monde.
Pour mieux lutter contre le trafic de drogues, il faut à la fois s’attaquer à l’offre, en barrant les routes de la drogue, mais aussi en s’attaquant à la demande : c’est elle qui fait monter les prix et fait s’enrichir les organisations criminelles. Malheureusement, il existe en matière d’usage de stupéfiants le sentiment partagé d’une quasi impunité, qui fait que les jeunes sont amenés par les plus âgés à en faire l’expérience, sachant qu’ils ne risquent dans la pratique aucune sanction. De facto, dans l’opinion des plus jeunes, et donc les plus vulnérables à tomber dans les griffes des trafiquants, son usage est considéré comme n’étant pas –ou plus- réprimé.
Il faut changer cette perception si l’on veut éviter la banalisation de l’usage des stupéfiants et une explosion de la toxicomanie, ainsi que des problèmes de santé publique qui y sont attachés. Pour y parvenir, le risque d’une sanction doit être suffisamment important pour qu’il génère une prise de conscience du caractère illégal de l’usage et pour que les jeunes préfèrent éviter de tomber dans le piège. « Ce n’est point par la rigueur des supplices que l’on prévient le plus sûrement les crimes, mais par la certitude de la punition » disait il y a plus de deux siècles le célèbre criminologue Cesare Beccaria.
C’est tout l’objectif de la nouvelle politique de sanction de l’usage par PV électronique. En sanctionnant plus massivement, même avec des peines modérées, l’on peut freiner la propension des jeunes à mettre le doigt dans l’engrenage grâce à la perception d’un risque plus élevé de sanction. C’est ce que l’on peut appeler « l’effet radar » lié à la systématisation de la répression des excès de vitesse avec la multiplication des radars automatiques. Le caractère automatique de la sanction a permis de faire considérablement baisser la vitesse moyenne sur les routes. Tout laisse penser qu’il en sera de même en ce qui concerne l’usage, notamment en ce qui concerne les « primo-accédants », ceux qui n’y ont jamais touché et que leurs camarades veulent amener à la drogue. La crainte d’une sanction automatique, et donc la perception plus présente du caractère illégal de l’usage, aura un effet dissuasif et contribuera significativement à faire baisser l’usage chez les plus jeunes, et notamment les mineurs. Seul bémol, la loi n’a pas prévu d’appliquer ces amendes automatiques aux mineurs, au nom de la primauté de l’éducatif sur le répressif, principe fondateur de la justice pénale des mineurs. Une erreur à réparer rapidement si l’on ne veut pas que les plus jeunes aient le sentiment que l’usage de drogues est permis aux moins de 18 ans.
23/10/2020