Vous avez dit démocratie ?

20/04/2023 - 6 min. de lecture

Vous avez dit démocratie ? - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

René Picon-Dupré est ancien DRH, Consultant RH et management.

---

"Souvent la foule trahit le peuple", Victor Hugo

En ces temps troublés où la Constitution est ignorée ou négligée, il est loisible de s’interroger sur ce qu’est la démocratie.

En effet, à l’occasion de l’utilisation du 3° alinéa de l’article 49 de la Constitution de 1958 – dit "49-3", certains crient au déni de démocratie et en appellent au peuple pour qu’il se prononce directement sur le projet ainsi adopté par référendum ou référendum d’initiative partagée. Certains laissent même entendre qu’un référendum constituerait une mesure de la capacité du Président de la République à rester au pouvoir.

Les syndicats, quant à eux, considèrent que la démocratie sociale est au point mort puisque le Gouvernement passerait en force sans les écouter.

Et les manifestations se multiplient, laissant à la "rue" et à la "foule" l’expression d’un mécontentement dont le fondement est souvent multiple et qui peut conduire certains à profiter de la situation pour développer une violence gratuite et peu démocratique.

Finalement, la démocratie, c’est quoi ?

 

La démocratie politique

Au sens étymologique du terme, c’est le Gouvernement du peuple.

En réalité, les cas de démocratie directe sont limités

Dans la Grèce Antique, la démocratie athénienne, au VIème siècle av. J. -C., est un exemple de démocratie directe. Tout citoyen athénien avait la possibilité et potentiellement la chance d'entrer au conseil, voire d'être au moins un jour dans sa vie le président de la Cité.

De nos jours, la Suisse pratique la "votation". En Suisse, pays démocratique par excellence, les citoyens sont appelés à se prononcer sur le plan fédéral et convoqués pour voter sur des initiatives populaires, des référendums facultatifs ou des référendums obligatoires. Et les sujets sont, pour nous, parfois surprenants. Je me souviens de m’être trouvé dans ce pays lors d’un référendum d’initiative populaire contre la construction de minarets sur les mosquées. 

Pour autant, ce qui est possible dans un petit pays policé paraît difficilement transposable à tous les pays et notamment au nôtre, quoi qu’en disent certains.

Que dit notre Constitution de 1958 ?

La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

Au Parlement, tout mandat impératif est nul.

Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Pour faire simple, on peut retirer de tout cela que :

  • le peuple est souverain ;
  • cette souveraineté ne peut être confisquée des uns ou des individus ni par un groupe quel qu’il soit ;
  • il exerce cette souveraineté par l’intermédiaire de ses représentants élus, parlementaires ou au niveau local représentants locaux ;
  • il peut, dans certains cas bien définis, être consulté par référendum ;
  • il ne peut donner un mandat impératif à un parlementaire.

Le Président de la République est, quant à lui, élu au suffrage universel direct. Il ne peut être récusé par le Parlement ni par le peuple.

Le Gouvernement, lui, peut être l’objet d’une motion de censure votée par l’Assemblée Nationale et doit alors remettre sa démission.

Le Président peut éventuellement dissoudre l’Assemblée Nationale pour provoquer de nouvelles élections des députés.

Nous sommes donc dans un système de démocratie indirecte dont les représentants sont élus par la peuple, pour une durée déterminée. Sauf recours au référendum, ce sont ces représentants qui exercent la souveraineté, en appliquant les dispositions prévues par la Constitution[1], y compris si elles paraissent parfois contraignantes.

Si le peuple souhaite sanctionner ceux qu’il a librement désignés, ce sera lors des élections suivantes.

Et il n’appartient pas à la rue de décider.

"Elle" peut, via les manifestations, montrer ses humeurs mais le droit est là pour garantir un mode de fonctionnement normal des institutions. Toute autre vision ne relève plus de la démocratie mais de la révolution.

 

La démocratie sociale

Elle fonctionne sur des bases assez similaires[2].

Les syndicats sont la base de cette démocratie sociale et fournissent, à l’instar des partis politiques, la plupart des candidats aux élections professionnelles.

Ces élections permettent la désignation de ceux qui siègent dans les instances représentatives du personnel et également de mesurer la représentativité de ceux qui signent les accords, et, par conséquent, la valeur de ces accords (accord majoritaire ou non).

Il existe aussi la possibilité de recourir au référendum en entreprise de façon très encadrée :

  • soit pour des sujets bien délimités (ex : accord de participation) pour faire ratifier à la majorité des deux tiers du personnel un projet de contrat proposé par l'employeur ;
  • soit dans les cas où un accord est signé par des organisations syndicales ayant obtenu 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections mais ne franchissant pas les 50 %, l'employeur peut également demander l'organisation de la consultation si celle-ci ne rencontre pas l'opposition de l'ensemble des syndicats signataires.

Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser cette démocratie sociale fonctionne plutôt bien[3] : en 2020, 9 accords au niveau interprofessionnel, 950 accords de branche et 95 000 textes au niveau des entreprises dont 76 650 accords, même si on constate une légère baisse depuis 2019 due à la crise sanitaire.

 

Mais quid quand le politique et le social se rejoignent ?

Lorsqu’un sujet, à l’instar de la réforme des retraites, concerne les politiques (Gouvernement et Parlement) et les syndicats en qualité de représentants des salariés, les deux démocraties se rejoignent, mais ce n’est pas si simple.

Le premier point, essentiel, sur lequel se rejoignent démocratie sociale et démocratie politique : ceux à qui incombent le pouvoir et la responsabilité de négocier et de décider doivent être légitimes, et le ressort de cette légitimité, c'est la représentativité. Ce point ne devrait pas poser problème mais si certains partis ou certains citoyens remettent en cause cette légitimité, on trouve un premier biais. Si actuellement la légitimité des syndicats ne semblent pas remise en cause sauf par des extrémistes qui profitent des manifestations pour déborder les objectifs que défendent les partenaires sociaux. Il en va différemment de certains partis ou même certains hommes politiques qui contestent la légitimité de ceux que l’élection a normalement désigné et tentent d’empêcher le jeu normal des institutions.

Pour autant, la légitimité sociale n'est pas la légitimité politique. S'il est bon que les partenaires sociaux soient associés à l'élaboration des normes relatives au monde du travail et que le temps de la négociation soit respecté, c'est au pouvoir politique qu'incombe la décision ultime. Lui seul en porte la responsabilité.[4]

En France, le couple démocratie politique-démocratie sociale se cherche encore. Les relations entre la loi et le contrat restent crispées. 

Et pourtant, l’article L1 du Code du travail stipule que "tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation".

Il y a donc un ordre des facteurs : les partenaires sociaux d’abord, le Parlement ensuite. La loi reste l'arbitrage suprême dans un pays démocratique mais les députés n'ont pas légitimité à tout décider dans tous les domaines.

Au législateur les grandes normes sociales, après débat public avec la société civile (syndicats, patronat, parfois associations, ONG). Aux partenaires sociaux la responsabilité d'organiser la mise en œuvre de ce cadre commun et d'en définir les détails et "l'opérationnalité". Ce partage des responsabilités, simple, efficace, qui a fait ses preuves ailleurs en Europe, serait facteur d'efficacité, aiderait à la cohésion sociale et éviterait des conflits inutiles et pénalisants pour la France.

René Picon-Dupré

---
 
[1] Rappelons que la Constitution est approuvée par le peuple ou ses représentants : initialement, après la procédure de rédaction, référendum du 28 septembre 1958, et, pour ses modifications, soit référendum, soit, si elle à l’initiative du Président de la République, approbation par les 3/5 du Parlement réuni en Congrès.

[2] "Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises", Alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

[3] Document du ministère du Travail paru en 2021 "La négociation collective en 2020".

[4] François Chérèque, Secrétaire général de la CFDT.

20/04/2023

Dernières publications