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Philippe Bilger est Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole.
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On n'est jamais une gloire, un héros, un grand homme, partout et tout le temps. Non pas que j'ai eu envie, par un esprit de contradiction qui aurait été niais, de porter atteinte à l'encens historique et humain généralement et légitimement déversé sur Charles de Gaulle mais je n'ai pu m'empêcher de penser à trois attitudes qu'il a eues et qui me sont apparues comme de l'indifférence, voire du mépris. Comme une brèche dans la statue.
C'est presque rien mais c'est beaucoup pour moi qui ai toujours attaché une importance démesurée à des comportements discrets, privés, sans la solennité de l'officiel mais qui sont cependant très révélateurs d'une personnalité profonde.
Le 3 février 1945, à 22 heures, Maître Jacques Isorni est reçu par Charles de Gaulle pour le persuader d'octroyer la grâce de Robert Brasillach qui vient d'être condamné à mort dans des conditions indignes.
Jacques Isorni plaide avec toute la conviction émue dont il est capable. De Gaulle "l'écoute avec une telle impassibilité que l'avocat a du mal à aller au bout de son propos". Selon Isorni, "il tirait de grosses bouffées de cigare dans ma direction. Nous étions séparés par un mètre environ et jamais mon regard ne parvint à trouver le sien...".
Maître Albert Naud, une autre belle figure du barreau, décrit le même de Gaulle lorsqu'il est venu lui demander la grâce d'Henri Béraud et de Pierre Laval. De Gaulle le reçut le cigare aux lèvres... "Pas un pli de son visage ne bougeait. Ses yeux étaient fixés sur un point du mur derrière moi et n'avaient pas un battement de paupières. J'espérais une question, un rien, un rien qui animât cet homme. De guerre lasse et désirant être bref, je cessai mon monologue".
François Mauriac rencontrant de Gaulle l'avant-veille de l'exécution programmée de Robert Brasillach, pour solliciter lui aussi la grâce de ce dernier, a eu la même impression : "J'ai eu l'impression désagréable d'être enfermé pendant une demi-heure avec un cormoran...".
De Gaulle était catholique et je ne doute pas une seconde de l'époux solide et aimant qu'il a su être et du père admirable et touchant qu'il a été, avec les preuves qu'il a prodiguées spécialement pour sa fille Anne disparue à l'âge de 20 ans.
Je ne peux cependant m'interdire de penser, et de regretter, qu'en politique, dans l'Histoire, pour sa conception orgueilleuse de la France, de Gaulle aimait la mort des autres et que les exemples que j'ai donnés, tirés de "Isorni Les procès historiques" de Gilles Antonowicz (Les Belles Lettres), montrent pour le moins une âme peu compatissante, presque sadique, un zeste vulgaire, dans sa volonté de ne pas laisser, même dans les entretiens de dernière extrémité, la moindre place à l'espoir.
Pour ma part, j'avoue ma préférence pour les économes, les chiches du sang des autres.
Pour ce grand qu'était de Gaulle, c'était petit. Pour ce héros, c'était laid. Pour cet homme d'Etat, c'était trop peu d'homme !
06/11/2021