De la méthode interprétative de textes écrits par les juges tant de Common Law que de Civil Law

28/01/2015 - 4 min. de lecture

De la méthode interprétative de textes écrits par les juges tant de Common Law que de Civil Law - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Le 19 juillet 2013, la Cour suprême du Ghana a rendu un arrêt intéressant qui démontre l’équation selon laquelle tout juge devant appliquer un texte écrit est condamné à suivre une méthode d’interprétation identique.

L’instance avait été introduite devant la Cour suprême du Ghana par une personne physique (Monsieur K.) contre l’Attorney-General du Ghana et trois personnes morales :

  1. Ghana Ports and Harbours Authority, une société d’Etat du Ghana ;
  2. Meridian Port Holdings Limited, une société immatriculée en Grande Bretagne ;
  3. et la Meridian Port Services Limited.

 

Le demandeur, qui avait initié son action sur le fondement de l’article 181 de la Constitution ghanéenne de 1992, voulait voir dire par la juridiction suprême : 

  1. qu’une interprétation correcte de l’expression “gouvernement” figurant à l’article 181 de la constitution ghanéenne permet de conclure que la société Ghana Ports and Harbours Authority possède toutes les caractéristiques d’une entité étatique englobée dans la notion de “gouvernement “ au sens de l’article 181 ci-dessus ;
  2. qu’il résulte d’une interprétation correcte de l’article 181 de la Constitution ghanéenne que les exigences requises par ce texte s’appliquent à toute entité ou société d’Etat possédant les mêmes caractéristiques que la Ghana Ports and Harbours Authority et qui contracte un engagement international (une transaction économique internationale) ;
  3. que le pacte d’actionnaires (Shareholder agreement) signé le 17 août 2004 entre les trois sociétés défenderesses (Ghana Ports and Harbours Authority, Meridian Port Holdings Limited et la Meridian Port Services Limited) est une transaction économique internationale qui aurait dû être approuvée par le Parlement du Ghana conformément à l’article 181 de la Constitution ghanéenne ; et que ladite transaction est nulle et non avenue, pour n’avoir pas été soumise à l’approbation du parlement comme l’exige la Constitution ; 
  4. que le contrat de concession (Concession agreement) signé le 17 août 2004 entre les trois sociétés défenderesses (Ghana Ports and Harbours Authority, Meridian Port Holdings Limited et la Meridian Port Services Limited) est aussi une transaction économique internationale qui aurait dû être approuvée par le Parlement du Ghana conformément à l’article 181 de la Constitution ghanéenne ; et que le contrat de concession est nul et non avenu, pour n’avoir pas été soumis à l’approbation du parlement comme l’exige la Constitution. 

 

En d’autres termes, il était demandé à la Cour suprême de dire si la Ghana Ports and Harbours Authority devait être considérée comme une émanation ou un démembrement du “gouvernement” au sens de l’article 181 de la Constitution du pays, et si le pacte d’actionnaires et le contrat de concession constituaient des “engagements de droit international” nécessitant l’autorisation préalable du Parlement pour être valides, conformément à la Constitution.

Pour donner sa réponse, la Cour procède à l’examen de tous les alinéas de l’article 181 de la Constitution ghanéenne de 1992. Elle recherche le sens littéral de certains alinéas, en indiquant par exemple au sujet de la notion de “gouvernement” : 

“In our view, ‘Government’ in the context of article 181 (5) should mean, ordinarily, the central government and not the operationally autonomous agencies of government (…). That is why “Government”, in the context of article 181 (5), should be interpreted purposively to exclude corporations such as the 2nd defendant. This interpretation is the only reasonable one, if one reads the Constitution as an organic whole”.

Avant de procéder à cette recherche du sens littéral de la notion de “gouvernement”, la Cour a recherché l’intention du législateur de la Constitution ghanéenne en ces termes :

As pointed out by the defendants, to subject statutory corporations with commercial functions to the Parliamentary approval process prescribed in article 181(5) would probably increase the weight of Parliament’s responsibilities in this regard to an unsustainable level. Accordingly, it is reasonable to infer that the framers of the 1992 Constitution did not intend such a result”.

Le pourvoi a été ainsi rejeté par la juridiction suprême qui rappelle que le présent arrêt constitue la cinquième décision portant sur l’interprétation de l’article 181 de la Constitution du Ghana et termine en indiquant que les autres moyens du pourvoi sont devenus sans objet.

Comme indiqué en introduction, cet arrêt montre qu’un juge de common law suit la même méthode que le juge civiliste lorsqu’il doit interpréter un texte écrit ; il recherche le sens littéral des mots employés et précise leur sens en se fondant sur la volonté du législateur et le but qu’il a cherché à atteindre en édictant le texte litigieux.

Ce constat rejoint celui que l’on peut faire à travers la jurisprudence de common law dont plusieurs décisions (américaine[1], anglaise[2] néozélandaise[3] par exemple) confortent la règle énoncée ci-dessus.

Cette décision révèle aussi l’intérêt pour les juges de connaître les jurisprudences étrangères. Elle fait référence, en plusieurs motifs, à des décisions de la Cour suprême des Etats-Unis[4].

Cette pratique, à nos yeux, conforte la solution retenue et donne une plus grande confiance au justiciable dans la justice de son propre pays en lui montrant que celle-ci est conforme à ce qui se fait ailleurs[5]

 

---

[1] Par exemple, Travellers casualty and Surety Company of America, Petitionner v. Pacific Gas and Electric Company, n° 05-1429, Supreme Court of the United States, March 20th 2007 : http://www.law.cornell.edu/supct/html/05-1429.ZS.html

[2] Elisabeth Moyne Ramsay v. The Commissioner For Her Majesty’s Revenue and Custums, 27th March 2013, [2013] UKUT 0226 (TCC) : http://www.bailii.org/uk/cases/UKUT/TCC/2013/226.pdf, sur la définition de la notion de “business” en matière fiscale.

[3] Ioane Teitiota v. The Chief Executive of The Ministry of Business Innovation And Employment, 16th October 2013, CIV-2013-404-3528 [2013] NZHC 3125, sur la définition de la notion de “réfugié”.

http://www.courtsofnz.govt.nz/cases/teitiota-v-chief-executive-of-the-ministry-of-business-innovation-and-employment/at_download/fileDecision 

[4] BRIDAS S.A.P.I.C., Bridas Energy International, Ltd., Intercontinental Oil and Gas Ventures, Ltd., and Bridas Corp. v. Governement of Turkmenistan, Concern Balkannebitgazsenagat and State Concern Turkmenneft, N° 04-20842, April 21st 2006, 447 F.3d 411 : https://law.resource.org/pub/us/case/reporter/F3/447/447.F3d.411.04-20842.html

[5] Sur la méthode des jurisprudences comparées, voir MERCADAL Barthélemy, KODO Mahutodji Jimmy Vital et al. « Code Pratique Francis Lefebvre OHADA : Traité, Actes uniformes et Règlements annotés », éditions Francis Lefebvre, octobre 2013, 1597 pages.

 

28/01/2015

Últimas Publicações