Gulliver empêtré : pourquoi les Américains ont-ils perdu la guerre en Afghanistan ?

21/10/2021 - 4 min. de lecture

Gulliver empêtré : pourquoi les Américains ont-ils perdu la guerre en Afghanistan ? - Cercle K2

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Yves Perez est ancien Doyen de la Faculté de droit, économie et gestion de l'Université Catholique de l'Ouest à Angers, Professeur émérite & Enseignant au sein des Écoles militaires de Saint-Cyr Coêtquidan.

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Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont déclenché la "guerre contre le terrorisme". Ils ont attaqué l’Afghanistan, puis l’Irak du Président Saddam Hussein. Les problèmes auxquels ils se sont heurtés en Afghanistan et qu’ils n’ont guère su maîtriser au bout de vingt années de guerre sont : 1) qu’ils n’ont jamais eu de buts de guerre très clairs ; 2) qu’il y a toujours eu un désajustement entre leurs objectifs fluctuants et les moyens financiers et militaires mis sur le terrain ; 3) qu’en Afghanistan, la guerre s’est soldée, comme au Vietnam, par un désastre.

 

Les Américains n’ont jamais eu des buts de guerre très clairs en Afghanistan.

Lorsque les Américains entrèrent en Afghanistan fin 2001, ils voulaient faire la guerre au terrorisme, détruire Al Quaïda et tuer Ben Laden. Au cours de cette première phase, ils envoyèrent surtout leurs forces spéciales soutenues par les raids de leur aviation. Il y avait, à cette époque, à peu près 18000 hommes sur le terrain. Mais, très vite, leurs buts de guerre se brouillèrent. Ils s’en prirent aux talibans du mollah Omar, accusés d’aider et de cacher, sur leur sol, les partisans de Ben Laden. Ils prirent facilement Kaboul mais, très vite, se heurtèrent à une résistance beaucoup plus forte que prévue. En s’en prenant aux talibans, ils se retrouvèrent face à une opposition plus large que celle qu’ils avaient eu à combattre en entrant en Afghanistan. Par ailleurs, ils découvrirent la porosité des frontières afghanes, en particulier celles avec le Pakistan. Pour ajouter à leurs difficultés, Ben Laden se réfugia dans la zone tribale qui se situe du côté pakistanais.

Une fois installés à Kaboul, et sans l’avoir vraiment prévu, les Américains et les Britanniques s’engagèrent dans une autre voie que celle pour laquelle ils avaient mis les pieds en Afghanistan.

Ils déclarèrent que leur but était de faire de ce pays une démocratie à l’occidentale en s’appuyant sur la force des baïonnettes. Ils demandèrent à leurs alliés de l’OTAN d’envoyer des troupes pour appuyer leur nouvelle croisade et construire un État démocratique. Plusieurs pays de l’Otan, à commencer par la France, répondirent à l’appel des États-Unis. 

 

Il y  a eu un désajustement permanent entre les objectifs fluctuants et les moyens financiers et militaires mis en œuvre sur le terrain par les États-Unis. 

Les effectifs militaires américains s’accrurent (autour de 100 000 hommes), épaulés par les Britanniques et les troupes envoyées par les alliés de l’OTAN. La guerre s’intensifia. En 2002, ils jouèrent la carte de l’alliance avec les seigneurs de guerre, mais cela ne marcha pas. Dès 2004, ils les désarmèrent, échouant à imposer le pouvoir du Président Karzaï. Celui-ci demeura, aux yeux des Afghans, l’homme des Américains, autrement dit un homme haï, méprisé. Il régnait sur un État aussi corrompu qu’impuissant. Les Américains firent porter leur effort militaire sur le contrôle des villes. Leur aide financière se concentra surtout sur Kaboul et les quelques grandes villes de province. De leur côté, les talibans en profitèrent pour étendre leur emprise sur les campagnes. La légitimité démocratique se brisa sur la légitimité tribale ancestrale, apparaissant par ailleurs d’autant plus faible et contestée qu’elle était minée par la corruption et soumise à l’étranger. Elle était également en butte à l’hostilité d’une large partie de la population afghane, choquée par la remise en cause des traditions religieuses du pays. 

La séduction du mode de vie occidentales et de ses valeurs ne s’exerça que sur une petite minorité de la population, essentiellement urbaine et éduquée, et qui bénéficia des postes ouverts dans l’administration, la magistrature, l’enseignement et les médias. Les quelques 2000 milliards de dollars déversés par l’Amérique sur l’Afghanistan ne servirent pas à grand chose et illustrèrent l’échec de la stratégie du "State building".

 

La tentative d’afghanisation de la guerre s’est soldée par un désastre politique et militaire.

À partir de 2010, les Américains se rendirent compte qu’ils ne gagneraient pas cette guerre. L’exécution de Ben Laden par les forces spéciales américaines dans sa cachette pakistanaise ne fut qu’un succès d’estime. Il n’influença en aucune façon le cours de la guerre. Les Américains commencèrent à renforcer l’armée afghane afin de préparer l’afghanisation progressive de la guerre. Mais ils se rendirent très vite compte qu’il ne serait guère facile pour eux de quitter ce pays sans ramener les talibans au pouvoir. L’afghanisation du conflit dura dix ans et se termina par une catastrophe. Jamais les Américains et leurs alliés de l’OTAN ne parvinrent à faire de l’armée afghane une véritable armée. Ils se heurtèrent à l’absence de crédibilité des gouvernements afghans successifs. À chaque fois qu’elle eut à combattre, l’armée afghane le fit en s’appuyant sur les forces américaines et sur l’US Air Force. Elle n’était pas taillée pour combattre seule. Sur le terrain, elle n’obtint que des résultats médiocres. Le Président Obama décida le retrait progressif des troupes américaines. Le Président Trump le mit en œuvre sans état d’âme. Il engagea des négociations à Doha avec les talibans mais en excluant d’office le gouvernement afghan. Il revint au Président Biden de conclure cette affaire si mal engagée. Tout le monde avait compris que les jeux étaient faits et qu’après le départ des derniers soldats américains, le pouvoir reviendrait aux talibans. 

Cela n’était pas fait pour galvaniser le moral des troupes au sein de l’armée afghane. Pressé d’en terminer au plus vite, le Président Biden fit une erreur qui allait s’avérer lourde de conséquences. Il décida de fermer en premier les bases aériennes. Les forces américaines se replièrent sur Kaboul. L’armée afghane fut laissée à elle-même. Démoralisée, elle s’effondra avant même que le dernier soldat américain n’ait quitté le pays. Les talibans conquirent en un temps record les principales villes de province et entrèrent dans Kaboul avant que les derniers ressortissants occidentaux n’aient pu quitter l’aéroport de la capitale. Après leur échec en Irak, les Américains et leurs alliés de l’OTAN venaient de perdre également la guerre d’Afghanistan.

Yves Perez

21/10/2021

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