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Daniel, que t’inspire le mot performance ?
Mon quotidien lorsque j’étais sportif de haut niveau. C’est une exigence qui t’accompagne du premier au dernier jour de ta carrière.
Mais la performance dans un sport collectif, comme le handball, c’est surtout une exigence de performance collective. Il n’y a pas de grand intérêt à être performant individuellement si ton équipe perd ses matchs.
N’est-ce pas un peu démagogue de la part des joueurs de toujours rappeler que le collectif l’emporte sur l’individuel ? Cela ressemble un peu à des éléments de langage à chaque prise de parole après un match, non ?
Je ne le crois pas. Il est évident que lorsque je marquais 7 ou 8 buts dans un match j’étais satisfait de ma performance individuelle. Mais, au final, seule la victoire de l’équipe était importante. Une carrière réussie passe avant tout par les titres gagnés par ton équipe. La performance individuelle est la cerise sur le gateau. Je pense par exemple au penalty raté par Bixente Lizarazu en quart de finale de la Coupe du monde 98 contre l’Italie. Est-ce un mauvais souvenir pour lui aujourd’hui ? Je ne le pense pas car la France a gagné ce match et la Coupe du monde. Tout comme je suis convaincu que Luka Modric, qui a obtenu le Ballon d’or en 2018, accepterait sans réfléchir d’échanger cette récompense individuelle contre une victoire de son équipe à la Coupe du monde.
Pourtant, de plus en plus de joueurs semblent privilégier leurs statistiques individuelles. Le nombre de buts marqués ou le nombre de passes décisives vont entrer en ligne de compte pour le transfert dans un autre club parfois plus prestigieux.
Oui, c’est vrai. Je ne nie pas que ce phénomène existe dans le sport professionnel notamment en raison des enjeux qu’il suscite et des revenus qu’il génère. On cherche aussi à « fabriquer » des stars et il y a donc une course à la performance individuelle et donc aux stats. Mais je pense que c’est marginal ou temporaire. Le documentaire « The Last Dance » montre bien à quel point Michael Jordan était obsédé par le titre NBA alors même qu’il était considéré comme le meilleur joueur de basket du monde en 1991 avant son 1er titre NBA. Les titres sont l'unique obsession de l'immense majorité des sportifs de haut niveau.
Tu as été élu meilleur joueur du monde de handball en 2012. Penses-tu que tu étais le meilleur cette année là ?
Cette distinction, je la dois en premier lieu aux performances de l’équipe de Kiel et de l’équipe de France puisqu’au cours de cette année nous avons gagné le Championnat d’Allemagne, la Coupe d’Allemagne, la Super coupe d’Allemagne, la Coupe intercontinentale des clubs, la Ligue des champions et les Jeux Olympiques. C’est essentiellement grâce à ces victoires collectives que j’ai eu l’honneur de cette distinction et j’en suis très fier. La question de savoir si j’ai été le meilleur individuellement cette année-là ne m’intéresse pas vraiment.
As-tu un exemple de sacrifice individuel que tu as accompli pour améliorer la performance de l’équipe ?
Ce n’est pas vraiment un sacrifice, en tout cas je ne l’ai jamais ressenti comme tel, mais j’ai toujours accepté mon temps de jeu. À la fin des années 2000, je figurais parmi les meilleurs joueurs du monde et il m’arrivait régulièrement lors des compétitions internationales de ne jouer que 10 ou 15 minutes lors des matchs de premier tour. J’aurais pu revendiquer, réclamer. Un temps de jeu supplémentaire m’aurait peut-être permis d’augmenter mes statistiques individuelles mais il est également possible qu’en jouant davatange je me sois blessé ou que je perde de l'influx nerveux pour la suite de la compétition.
L’accaparation du temps de jeu aurait également été un frein à la montée en puissance d’autres joueurs notamment des plus jeunes qui doivent emmagasiner de l’expérience pour progresser. C’est justement l’une des raisons de la force de l’équipe de France. Gagner autant de titres entre 2001 et 2017 s’explique aussi par cette gestion des entrées et des sorties. J’en ai moi-même bénéficié au début de ma carrière.
Quel est l’élément majeur qui permet à un joueur de progresser ?
Difficile de répondre à cette question. Capitaliser sur l'expérience permet de progresser rapidement. C’est pour cela qu’il est important d’intégrer très tôt de jeunes joueurs même s’ils ne bénéficient que d’un temps de jeu limité. J’en ai bénéficié et cela a changé totalement la suite de ma carrière.
Je ne remercierai jamais assez Daniel Constantini de m’avoir sélectionné pour le Championnat du monde 2001 en France à l’âge de 21 ans. L’expérience acquise lors de cette compétition a été déterminante pour la suite. Je suis peut-être le seul à m’en souvenir mais, en finale, nous avons joué contre la Suède, une équipe composée de joueurs de légende. Le match était très serré sur la fin et je me suis retrouvé sur le terrain lors des 10 dernières minutes. Imaginez la confiance du coach ! À 1 minute de la fin du match, nous sommes menés d’un but. Je tente ma chance et marque le but de l’égalisation alors que, quelques minutes auparavant, j’avais raté une occasion. Et nous avons gagné la finale en prolongation.
Je peux vous dire que cette prise de risque à cet âge et à ce niveau international m’a donné une confiance importante pour la suite de ma carrière. Je n’ai pas réalisé mon meilleur tournoi mais j’ai compris qu’il ne fallait pas hésiter à prendre sa chance, à oser. Ce sont des expériences uniques. L’expérience n’empêche pas les échecs mais, dans les moments clés des grandes finales, elle fait souvent la différence.
Sur quel événement penses-tu justement que cette expérience a été profitable ?
Je vais citer un but aux JO de Rio en demi-finale que je marque contre l’Allemagne à la dernière seconde. J’avais raté auparavant de nombreuses occasions de faire le break. Pourtant, lorsque nous attaquons pour la dernière fois, l’équipe me fait confiance pour le dernier tir. Nico (Karabatic) suggère une combinaison que nous n’avons pas réalisée depuis plusieurs années. L’action se déroule et je prends un tir assez difficile en déséquilibre côté droit mais je marque et nous sommes qualifiés pour la finale des JO. Je suis convaincu que ce but est le résultat de l’expérience acquise, de la confiance qu’elle suscite chez mes coéquipiers et peut-être du supplément d’âme qu’elle a imprimé en chacun de nous et qui se révèle crucial au moment de la réalisation. Le mauvais stress et le doute évacués, nous avons presque une vision au ralenti de notre action. Quand je tire, je sais très précisément où je dois mettre le ballon. C’est 20 ans de pratique au plus haut niveau et peut-être aussi un peu de chance...
Peux-tu nous donner un secret de la performance ?
Au risque de vous décevoir, il n’y a pas de secret ou de recette miracle. Il n’y a que du travail et de l’humilité.
J’avais lu, il y a quelques années, une phrase de Jordan qui m’avait marqué, non pas comme un conseil pratique, mais comme un éclairage sur mon comportement et celui de mes coéquipiers les plus performants. Il disait, en résumé, qu’un sportif de haut niveau devait toujours s’interroger sur le fait de savoir s’il était coachable, s’il avait suffisamment d’humilité pour suivre les yeux fermés la voie tracée par son entraîneur. Cela demande d’avoir une confiance aveugle en ce dernier et d’être capable de tout donner sans forcément comprendre a priori pourquoi on exécute tel exercice ou que l’on opère un changement dans sa gestuel ou que l’on modifie sa technique. En quelque sorte, faire confiance à un autre, à quelqu’un d’extérieur à soi. Dans l’hypothèse où ce n’est pas le cas, il faut soit changer rapidement d'équipe ou de coach, soit faire un travail sur soi. La préparation mentale est donc très importante.
Quelle était ta principale qualité ?
Ma capacité à créer des décalages. On m’a souvent considéré comme nonchalant sur le terrain et lors des entraînements. Je pense qu’il existait dans mon jeu des changements de rythmes brutaux. La vitesse devait donc succéder à une lenteur et inversement. L’explosivité nécessaire pour créer un décalage dans une défense par exemple demande une grande dose d’énergie et d’influx nerveux. Je ne pouvais donc pas être constamment en mouvement rapide. Il me fallait du repos. Je pense d’ailleurs que notre défaite en finale des JO de Rio s’explique en partie par la décharge d’énergie individuelle et collective que nous avons dû maintenir dans les tours précédents. En ce qui me concerne, j’étais cramé lors de la finale et je sentais que mon corps ne répondait plus avec la même intensité.
Tu termines ta carrière internationale par un quatrième titre de champion du monde en 2017 à l’âge de 37 ans et tu prends ta retraite en club à 38 ans sur une victoire en championnat de France. Comment as-tu pris cette décision ? Est-elle liée au fait que tu sentais ne plus pouvoir être aussi performant ?
À partir d’un certain âge, on sent en effet que le temps de récupération est plus long. L’explosivité diminue et on se blesse plus facilement, ce fut mon cas au cours de ma dernière saison. À 38 ans, j’avais déjà eu une longue et belle carrière. Je voulais arrêter au bon moment et ne pas faire l’année de trop.
Il faut savoir dire stop même quand on pense pouvoir faire une ou deux saisons dans de bonnes conditions. Je pense avoir toujours été lucide sur mon niveau de performance. L’esprit peut beaucoup mais il faut également savoir écouter son corps.
Jouer à 80 ou 90 % n'est pas satisfaisant pour un sportif de haut niveau. J’ai trouvé la décision de Tony (Parker) très courageuse d’arrêter sa carrière après son année au Charlotte. Il aurait pu probablement continuer une ou deux saisons pour améliorer ses stats individuels mais il a senti que le moment était venu de dire stop et de passer à autre chose. Quel intérêt de faire une saison de plus anecdotique sans possibilité de gagner de titres quand on a eu une carrière comme la sienne ? C’est exemplaire.
15/08/2018