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Yves Perez est ancien Doyen de la Faculté de droit, économie et gestion de l'Université Catholique de l'Ouest à Angers, Professeur émérite & enseignant aux écoles militaires de Saint-Cyr Coêtquidan.
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Depuis 2012, les signes d’un retour du stratégique ne cessent de se multiplier. Ils placent la France en première ligne dans une conjoncture à la fois inédite et dangereuse. Du terrorisme intérieur à l’engagement français au Sahel et au Moyen-Orient, sans parler des nouvelles ambitions turques en Méditerranée, les menaces se précisent chaque jour un peu plus. Certes, ce n’est pas encore la guerre, mais ce n’est déjà plus tout à fait la paix. Autre sujet de préoccupation, la solidarité européenne paraît bien timorée face à l’émergence de ce nouvel environnement géostratégique aussi instable qu’incertain.
Les signes d’un retour du stratégique ne cessent de se multiplier.
Tout cela commença à Toulouse avec les attentats perpétrés par Mohamed Merah contre un jeune soldat français, de confession musulmane, rentrant d’Afghanistan et contre une école où plusieurs enfants juifs furent assassinés. Puis, il y eut les attentats à Paris contre l’hyper-casher et le Bataclan. Depuis, l’ombre du terrorisme, qu’il s’agisse d’un terrorisme intérieur ou téléguidé de l’extérieur, plane sur la France. La menace est partout et nulle part. La décapitation du professeur Paty, assassiné à la sortie de son collège pour avoir montré à ses élèves les caricatures de Charlie Hebdo sur le prophète Mahomet, est venue amplifier cette crainte jusqu’ici diffuse, de la violence terroriste. Un malheur n’arrivant jamais seul, nous avons pu constater à cette occasion, les étranges positions prises par les thuriféraires du "politiquement correct" dans les colonnes du New York Times, pourfendant la prétendue "islamophobie" des autorités françaises et la non moins surprenante couverture du Time consacrée à une jeune passionaria des banlieues contre le racisme et les préjugés anti musulmans supposés des Français. Bref, on se croirait revenu au temps où le président Mao déclarait que la mort d’un contre-révolutionnaire n’était rien tandis que celle d’un révolutionnaire pesait plus lourd que les Alpes.
Alertes en Méditerranée
La Méditerranée redeviendrait-elle une mer dangereuse ? Cet été, la frégate Courbet a failli en faire les frais. Ayant intercepté un bateau suspect, soupçonné de transporter des armes et de violer l’embargo imposé à la Libye, elle fut "illuminée", c’est-à-dire qu’elle reçut un ultime avertissement avant ouverture du feu de la part de deux frégates turques. L’incident ne fit qu’illustrer l’agressivité nouvelle dont fait preuve la marine turque dans la partie orientale de la Méditerranée et qui l’a conduite à violer, à plusieurs reprises, les eaux grecques et chypriotes. En effet, la Turquie lorgne sur les gisements de pétrole que recèlent les eaux grecques et chypriotes. Ses navires de guerre ont, cet été encore, escorté ostensiblement des bateaux turcs de prospection dans les eaux grecques en violation des traités internationaux. En riposte, la marine nationale a participé à des manœuvres dans cette zone contestée, avec les marines grecque et chypriote. Seule l’Italie a manifesté sa solidarité en envoyant une frégate participer à ces manœuvres. Très présente en Libye où elle soutient le gouvernement de Tripoli, la Turquie s’est montrée très agressive à l’égard de la Grèce. Elle menace ce pays non seulement par ses incessantes incursions aériennes et navales, mais aussi en le soumettant au chantage migratoire. Juste avant que n’éclate la crise de la Covid-19, l’armée et la police grecques étaient mobilisées pour garder la frontière terrestre qu’elle partage avec la Turquie et repousser les migrants qui voulaient entrer illégalement dans le pays avec la bénédiction de la Turquie. Prudent, le gouvernement grec avait massé le 4ème corps d’armée, corps d’élite de l’armée hellénique, à une centaine de kilomètres à peine de la frontière turque. La France a pris fait et cause pour la Grèce en lui livrant des avions Rafale au grand dam du Président Erdogan.
La rivalité franco-turque en Méditerranée s’annonce durable et pourrait connaître de nouveaux épisodes au cours des années à venir. Disons-le plus clairement : l’hypothèse d’un conflit armé avec la Turquie n’est plus à écarter. Elle s’inscrit désormais dans l’éventail des possibles.
Des alliés européens timorés et parfois franchement ambigus
Grèce, Chypre et Italie mises à part, les pays de l’Union européenne se sont montrés très timorés face à la Turquie. Plusieurs d’entre eux craignent le chantage migratoire du Président Erdogan. La réponse de Bruxelles face à cette menace réside dans la diplomatie du carnet de chèques. La position de l’Allemagne n’est pas seulement timorée, elle est franchement ambigüe. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que l’Allemagne héberge sur son sol une importante communauté turque, communauté très perméable aux discours du président Erdogan. Aussi fait-elle tout pour ménager Ankara et éviter les colères du "Sultan". La seconde est qu’Ankara est un bon client de l’Allemagne, y compris d’ailleurs en ce qui concerne les ventes d’armes. L’armée turque est équipée de chars Léopard, de frégates et de sous-marins allemands. Troisièmement, rien ne dit que Berlin ait renoncé à faire rentrer la Turquie dans l’Union européenne. Par conséquent, l’Allemagne temporise et semble même parfois irritée par le côté "flotte petit drapeau" de la France, attitude qu’elle juge en sous-main puérile et irresponsable. La France s’est donc trouvée très isolée durant cette phase de tension en Méditerranée. Si par malheur les choses venaient à s’envenimer entre Paris et Ankara, les soutiens que nous pourrions trouver du côté de nos partenaires européens seraient bien tièdes. À l’unisson de l’Allemagne, l’Union européenne veut continuer à commercer et éviter les conflits en sortant chaque fois qu’il sera nécessaire son carnet de chèques, quitte à lâcher du lest sur ses principes.
23/01/2021