Le profil psychologique et la prédiction du comportement
17/01/2021 - 5 min. de lecture
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Gilles Michel Ouimet est Docteur en psychologie clinique à Polytechnique Montréal et à l'Université de Montréal ainsi qu'analyste profileur. Christine Gagnon et Julie Salvador sont également analystes profileurs.
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La construction du profil psychologique d’une personne répond à plusieurs types d’objectifs : le psychodiagnostic psychiatrique, l’orientation professionnelle, la sélection de candidats en entreprise ou dans des services de sécurité publique ou même l’élaboration du portrait-robot d’un suspect éventuel. Les professionnels concernés s’accommodent généralement de tests psychométriques ou du fruit de l’expérience d’enquête.
Cette approche ne tient cependant compte que de la psychologie du comportement, c’est-à-dire le contenu explicite de ce qui est dit et fait. Pourtant, en plus de communiquer et de répondre aux stimulations et aux événements selon un schéma inconscient prédéterminé (perceptions, émotions, attitudes, habitudes, comportements), le corps d’une personne parle à sa manière et la voix colore cette expression.
Il convient ainsi d’enrichir cette méthodologie du profil par l’ajout de deux autres axes d’observation : le langage corporel et les paramètres associés à la voix appelés indicateurs paraverbaux. Désormais, ces trois angles d’attaque se coordonnent dans une triangulation permettant a) de mieux saisir un individu, ou même un groupe d’individus, et d’en tirer une analyse combinée, b) de déterminer le degré d’exactitude ou d’inexactitude face la réalité présentée et aux faits rapportés par ces individus, ou face aux contradictions inhérentes à leurs émotions et leurs pensées, et c) de prédire avec une plus grande précision leur comportement manifeste dans des circonstances données.
Par ailleurs, dans l’élaboration du discours, comme la mise en mots passe toujours par la modulation du corps avant, pendant et après l’expression verbale, l’analyse de la gestuelle cherche à évaluer la congruence entre la pensée et le mot et à vérifier à quel point le corps choisira de traduire ou de brouiller la pensée. Il est ainsi possible de dire que, plus la tête est libre de parler, plus le corps est libre de bouger. Inversement, plus la tête contrôle le discours, plus le corps est rigide et moins il est actif. La stratégie du questionnement servira à dégager les raisons psychologiques (dans le champ des émotions, des perceptions et des raisonnements) d’un possible décalage gestuel face au contenu de pensée.
Les applications de ce type d’analyse peuvent se révéler très utiles dans les situations suivantes : sélection de candidats, interrogatoires liés à l’administration de la justice, négociations (politiques ou commerciales, situations de crise, prises d’otage, menaces terroristes, interventions militaires), performance de témoins au tribunal ou de gestionnaires lors de prises de décisions, comportement d’un criminel recherché ou détenu, ou de terroristes en fuite, leurs cibles, habitudes, et modus operandi. Les personnes observées et analysées peuvent aussi être des personnalités politiques, des professionnels divers, des militaires, des officiers de police, des juges, des avocats, etc.
Lorsque l’équipe d’analystes profileurs reçoit un mandat, elle déploie donc son observation sur le triangle psychisme-corps-voix. Ces composantes s’expriment chacune à sa façon, parfois congruentes, parfois contradictoires. L’analyse de ces convergences et divergences conduit à saisir dans sa globalité la nature intrinsèque d’un individu ou d’un groupe d’individus, ce qui échappe à leur conscience, et à dévoiler a) le contenu latent et véritable de leurs communications et b) leurs déterminismes comportementaux.
Au noyau d’analystes se greffent des praticiens spécialisés dans les domaines du droit, de la criminologie, de l’investigation et de la médecine, en particulier la psychiatrie. Il s’appuie également sur le concours d’étudiants et de stagiaires de niveau universitaire gradués et post-gradués.
Le mandat peut exiger d’observer, en présence réelle, une personne ou un groupe de personnes lors d’un entretien, d’un interrogatoire, d’une réunion, d’un débat, d’une performance devant les médias ou au tribunal. Le mandat peut aussi porter sur un enregistrement vocal ou vidéographique.
L’analyse peut établir une comparaison entre le comportement actuel observable sous les trois angles psychisme/corps/voix et des constantes du comportement passé d’une personne ou d’un groupe dans des situations données. Il est par conséquent concevable de définir des hypothèses fiables de probabilités de réactions comportementales de ces personnes dans des situations à venir. Ces prédictions s’avèrent ainsi un outil essentiel afin d’estimer les résultats d’une tâche, d’une opération ou d’une négociation à laquelle pourraient participer ces personnes.
Les questions auxquelles doivent le plus souvent répondre les analystes sont généralement les suivantes :
a) Le ou les sujets disent-il ou non la vérité ? Mentent-il ? Sont-ils crédibles ?
b) Comment se comporteront le ou les sujets dans une situation donnée définie par le client ?
c) Comment se comporteront le ou les sujets en situation litigieuse, de stress ou d’adversité ?
Pour y arriver, que ce soit dans un processus d’enquête judiciaire ou de sécurité, dans l’appréciation de faits constitutifs d’un dossier de litige, dans des problématiques individuelles ou corporatives, ou encore dans des situations critiques, il s’avère essentiel d’établir avec minutie le déroulement d’événements significatifs passés. Les analystes travaillent ainsi à construire une représentation détaillée des circonstances en fonction des catégories suivantes : les dates, les faits, les lieux, les objets, les personnes, les communications et les interactions. Un exemple est l’analyse a posteriori d’une intervention policière complexe suite à une prise d’otages.
Cette reconstitution s’articule autour de l’élaboration d’un tableau chronologique factuel et interactionnel. L’analyse séquentielle qui en résulte vise à mieux identifier les relations de cause à effet, les contradictions et les recoupements dans les informations transmises afin de faciliter l’évaluation d’une situation et de proposer de minimiser les conséquences négatives de décisions qui autrement n’auraient pu tenir compte d’éléments essentiels dans le processus des faits et auraient entraîné des préjudices.
Enfin, dans la foulée des travaux de Kets de Vries sur la psychologie des organisations, il est possible de considérer que les groupes organisationnels, quoique centrés sur des fonctions et des objectifs à atteindre, développent leur dynamique et leur personnalité propre. Ces groupes, soumis à l’observation des analystes, peuvent receler des traits qui leur sont caractéristiques, ainsi que des psychodynamiques latentes et manifestes. Un exemple de ceci résidait dans la présence d’une sous-culture, inavouée, qui neutralisait toute forme de résolution des désaccords dans la dispensation des soins d’un hôpital psychiatrique où était intervenu l’un des auteurs.
À partir de ces observations, selon le mandat qui leur est confié, les analystes peuvent aider à comprendre la mise en place et l’intrication de conflits interpersonnels qui conduisent à des impasses et proposer des interventions organisationnelles et des solutions opérationnelles.
Un dernier exemple illustre ces principes : un individu se présente comme la victime d’un acte criminel et fait une déposition à la police. Le suspect est placé en état d’arrestation. En vue du procès, son avocat demande aux analystes d’étudier l’interrogatoire de la victime présumée. Après analyse, il ressort au plan psychologique des traits caractéristiques de dysfonctionnement de la personnalité qui mettent en doute sa crédibilité. La rigidité corporelle dissimule un contrôle soutenu du discours. L’expression vocale est, elle, marquée par une emphase de la dimension émotionnelle en contradiction avec la dynamique corporelle et par des occurrences verbales et paraverbales figées pouvant traduire, là aussi, une volonté de contrôler l’information. Les observations sur les trois axes psychisme/corps/voix vont donc dans la même direction et se complètent. Ces informations capitales sont transmises à l’avocat qui en tient compte dans la conduite de ses interrogatoires durant le procès, demeurant à l’affût des contradictions à l’intérieur du discours même du témoin (en tenant compte de son expression corporelle et vocale). Ce sont ces contradictions qu’il souligne lors de sa plaidoirie. Conséquemment, dans son jugement, le juge fera intervenir un doute raisonnable conduisant à l’acquittement de l’accusé.
Gilles Michel Ouimet, Christine Gagnon & Julie Salvador
17/01/2021