Le secret

17/09/2025 - 7 min. de lecture

Le secret - Cercle K2

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Charles-Marie Gébis est ancien Colonel.

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Il m’a été demandé une définition du « Secret » pour un État ou une entreprise.

Le monde est envahi, submergé, par de l’information provenant de toutes sortes de sources, vraies, fausses, anodines, sans intérêt, importantes, sans rapport avec le sujet, vérifiées ou non, manipulées…. Son origine est de deux ordres : humaines, toujours sujettes à caution, techniques, dites « brutes ».

Cette pléthore de sources d’information fait qu’il devient de plus en plus difficile d’en effectuer un tri rigoureux

En fait, un individu qui émet un point de vue, le fait souvent par égocentrisme, par jouissance personnelle, pour pérorer ou pour nuire à autrui, malheureusement rarement pour faire avancer les choses. Tout cela dans le seul but d’indiquer, ou de rappeler, qu’il existe, qu’il s’estime le seul vrai expert et donc qu’il possède un excellent point de vue. Donc il s’arroge le droit d’émettre un avis « avisé » qui n’accepte aucune discussion ou contradiction.

Tout cela embrouille, encombre, toujours plus le cerveau et ne facilite pas le travail de classification de la part de l’analyste chargé d’en rédiger une synthèse. Ce dernier doit d’abord effectuer un tri rigoureux puis analyser les éléments restants pour en tirer la meilleure synthèse possible. Son travail est influencé par tout ce qu’il a collecté, volontairement ou non.

Les réseaux sociaux avec leurs soi-disant « influenceurs », qui se passent des frontières, sont une calamité. Ils polluent l’analyse. Trop de personnes veulent montrer qu’elles sont intelligentes, indispensables, informées ou impliquées dans un processus donné. Elles se sentent puissantes et surtout capables de nuire à autrui. Le soi-disant anonymat leur donne une impression d’immunité, ou à l’inverse, au grand jour, pour augmenter le nombre de leurs « followers » et ainsi se croire puissantes ou importantes. Elles savent qu’un mensonge bien fait n’est jamais tout-à- fait faux, jamais tout-à-fait vrai, et il n’y a jamais de fumée sans feu…

On peut dire que, ce qu’un État cherche à savoir d’un autre État ou d’une entreprise face à un concurrent débute par une recherche de ce qui est appelé de « l’ouvert » disponible à 95% (pour ne pas dire à 99%), dans les médias, souvent gratuitement. Donc, il n’y a rien de secret. Il est vrai que plus l’information devient « sensible » et plus il devient difficile de la trouver et de l’acquérir. C’est ce que désignent les personnes non averties sous le vocable fourre-tout de « secret ».

Pourquoi parle-t-on de « secret » ? En fait c’est l’analyse qui est faite de l’information qui est la « plus-value » stratégique qu’il faut préserver jalousement.

Cette « plus-value » est le résultat d’un travail sérieux d’évaluation par un laboratoire, par des chercheurs et analystes, de ces données ouvertes et disponibles. Ces personnes prennent l’initiative d’approfondir ce qu’elles pressentent comme être le bon choix dans telle ou telle direction, en espérant que leurs prises de décision aboutiront à un résultat tangible.

Ces chercheurs sont aidés dans leurs choix par les orientations politiques, économiques et techniques décidées par leurs responsables, au plus haut niveau.

C’est ce qui est désigné sous le terme de « politique » d’un État ou d’une entreprise. Ces directives sont généralement consignées dans un « livre blanc », pour un État ou dans une lettre d’intention pour une entreprise.

Chaque Service ou centre de recherche, diplomatique, politique, militaire ou scientifique ne doit pas divulguer ce résultat, sauf à « Ceux qui ont besoin d’en connaître ». C’est cet élément qui donne un coup d’avance au responsable d’une entité sur ses rivaux. Il faut toujours garder en mémoire qu’un État, une entreprise, n’a pas d’amis, mais simplement des alliés de circonstances.

C’est à ce haut responsable, dépositaire du « secret », d’évaluer s’il peut faire confiance à son allié, s’il doit dévoiler le « secret » dans sa totalité ou partiellement et dans quelle durée de temps. Il n’a pas le droit de se tromper, car alors tout le travail de ses chercheurs est immédiatement, irrémédiablement, perdu.

Pour permettre au chercheur de choisir la bonne direction, il doit être en possession d’informations fiables. C’est pour cela qu’il est indispensable de « coter » à la fois l’information et la source de l’information. Ces cotations, avec plus ou moins de précision, vont de : sûr, fiable, douteux à impossibilité à coter ou à vérifier.

Une source qui émet une idée, un fait, ne le fait jamais par hasard. Il y a toujours une intention, honnête ou pas, pour divulguer son information. Il y a toujours une part de « manipulation » de l’information. C’est à l’analyste, avec l’aide des deux cotations, et des autres informations, également cotées, d’évaluer le niveau de véracité, de faisabilité, de ce qu’il pressent comme devant être vrai ou avoir lieu.

Un chercheur, un analyste, n’a que peu de temps pour transmettre le résultat de son travail à son décideur. La validité de ce « secret » est toujours limitée dans le temps. La concurrence effectue les mêmes analyses, d’autant que la « politique » d’un État ou d’une entreprise est assez facilement disponible. C’est une course contre la montre. C’est à celui qui fera le premier la bonne analyse qui l’emporte, soit par des brevets avec applications industrielles, soit par des postures politiques, soit par des analyses dans les médias.

Il n’y a pas de « secret » qui soit éternel. Dès qu’il est divulgué, il devient aussitôt obsolète. On ne confie pas, surtout sous le sceau de la confidence, un « secret » pour qu’il reste secret. C’est dans la nature humaine, un « secret » est fait pour être divulgué. La tentation est trop grande pour montrer que l’on fait partie du cercle restreint des initiés.

Le seul « secret » qui tienne, c’est le « secret » qui n’est jamais divulgué, sauf quand l’interlocuteur qui le reçoit ne sait pas que c’est un « secret ». Pour lui, ce qu’il a reçu est quelque chose d’anodin ou de normal, faisant partie de la vie de tous les jours. Il n’a pas conscience de son importance.

Une méthode pour découvrir le « secret » d’un État concurrent, ou d’une société, est d’infiltrer l’organisme ou le centre de recherche. Pour cela, il faut monter un « dossier d’objectif » afin de déterminer la cellule intéressante et comment la pénétrer. Il n’est pas nécessaire « d’approcher » l’analyste ou le chercheur compétent. Il est sous surveillance constante et bienveillante de la société de sécurité de l’organisme, d’autant qu’il est conscient de la sensibilité de son travail.

Le moyen le plus simple, pour entrer en contact avec cet analyste, est l’échange d’information entre experts « alliés ». Un organisme de même sensibilité propose alors un échange d’information pour contrer un concurrent commun. Ces deux organismes fixent les limites de ces échanges. Lors des rencontres d’analystes, l’expert objectif s’estime alors investi de l’autorisation de sa hiérarchie pour communiquer, tout ou partie, le fruit de son travail. Le subterfuge est d’autant bien créé que ces analystes parlent d’un même sujet, avec le même langage. Ils peuvent comparer le résultat de leur travail et échanger sur la voie à suivre. Plus ces échanges sont fréquents, plus l’analyste objectif devient confiant et sort progressivement des limites de ce qu’il est autorisé à expliquer. Les rencontres extra officiels, dîners, soirées… favorisent ces relations humaines. 

L’autre solution, aussi simple pour connaître les centres d’intérêts de l’entreprise cible, est d’aborder une personne subalterne, effacée de ladite institution. Cette catégorie de personnes a l’avantage d’être nombreuse. Cette inconnue, qui ne se sent pas jugée, rémunérée à sa juste valeur, n’imagine pas être le centre d’intérêt de la concurrence. Rapporter quotidiennement les faits anodins qui se produisent dans sa structure ne lui semble pas répréhensible. Ils sont assimilés à une forme de vengeance face au mépris dont elle fait l’objet. L’appât d’un gain ou un avantage facilite cette prise de contact.

Fouiller le contenu des poubelles est également très productif… 

Le fait de combiner ces divers procédés conforte l’organisme « manipulateur » dans sa connaissance de l’avancée, technologique, commerciale… de l’organisme cible.

Pour contrer ces méthodes d’infiltration, il est obligatoire de sensibiliser SANS exception tout le personnel de l’organisme. Tout le personnel doit participer à cette formation. Les hauts responsables doivent montrer l’exemple. Souvent ces dirigeants s’estiment au-dessus de cette contingence, mais ils oublient qu’ils sont aussi corruptibles que les autres. Il suffit de prendre les bonnes dispositions.

Dans toutes guerres, surtout depuis que l’on a pris conscience que l’espace-temps se réduit, l’ingéniosité et la mobilité prennent plus de force que la puissance brute. Elles obligent à affiner sa pensée, sa technologie et à être audacieux.

Avec l’utilisation de l’IA, de nouvelles stratégies se dessinent. L’organisme qui possède les meilleurs hackeurs, qui jongle avec facilité avec les algorithmes, peut réagir et innover rapidement. Il n’est plus nécessaire d’être la plus riche et la plus imposante agence pour avoir la mainmise sur un sujet. Les petites structures aux technologies avancées peuvent défier ces supers puissances.

Un autre sujet, tout aussi fondamental, doit être pris en compte : l’informatique quantique. La structure qui maîtrisera cette technologie aura la capacité de « casser » n’importe quel code de cryptage en temps réel. Cela rend tous les échanges confidentiels transparents et permet de réagir contre un adversaire avant même qu’il ait pu donner des ordres d’exécutions.

En conclusion, je dirai que nul n’est à l’abri d’une intrusion dans son domaine caché. C’est à celui dont la créativité sera la plus forte, insistante et rusée qui l’emporte. L’intrusion et la destruction d’une entité est un travail de sape de longue haleine. Cela doit être conçu comme une stratégie de microchirurgie, d’asphyxie lente. Cette course silencieuse à l’utilisation des nouvelles technologies déterminera l’issue de la confrontation, bien plus sûrement que n’importe quel affrontement classique direct. Désormais, nul n’est à l’abri d’une attaque de la part d’un adversaire qui ne possède pas de budgets colossaux pour se voir infliger des dommages stratégiques.

Un empire meurt rarement dans un fracas soudain, mais lorsqu’ apparaissent les premières fissures, il n’y a plus rien à faire.

Charles Marie Gébis

17/09/2025

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