Nous sommes à un tournant historique

03/10/2020 - 7 min. de lecture

Nous sommes à un tournant historique - Cercle K2

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Eric Fromant est Conseil en redéploiement stratégique & Expert en économie de fonctionnalité.

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Ce titre peut paraître pompeux, journalistique, galvaudé, provocateur… Il décrit une réalité que les grands media ont choisi de ne pas décrire. Ce tournant historique est géopolitique, macro-économique, social, culturel, technologique.

Récession ou dépression ? Les mots ont leur sens : une récession est, en première approximation, un réajustement technique. Ce n’est pas ce à quoi nous assistons. Une dépression est plus longue parce qu’elle remet en cause le système en place. Le basculement est douloureux, coûteux ; c’est pour cela qu’il prend du temps.

Voilà plus de 10 ans que nous annonçons le changement de cycle macro-économique. Nous estimons que le point de basculement s’est situé au second semestre 2019. Depuis, nous nous inscrivons de plus en plus dans ce nouveau cycle dont il convient de connaître le cahier des charges. Tout cycle naît d’une nécessité de correction des excès du cycle précédent, se développe et crée, en fin de cycle, les conditions d’un nouveau déséquilibre, soit celles d’apparition de son successeur.

Le cycle qui s’est terminé était celui des volumes, de la mondialisation, des externalités négatives négligées, volontairement ignorées, des déséquilibres commerciaux et financiers. Il a généré des niveaux de ponction des ressources, de pollution et de dettes qui ne sont pas durables. Sur ce dernier point, peut-on imaginer que les dettes mondiales, égales à trois fois le PIB mondial, seront remboursées ? Illusion ! De manière plus illustrative, au 31 mars 2020, la dette américaine, publique et privée, atteignait 77.611 milliards de dollars, soit 237 millions par habitant ! Remboursable ? C’est assez voisin en Europe, pire au Japon et en Chine où la dette d’État semble plus faible parce que les régions supportent le poids de la dette. Ces dettes seront d’autant moins honorées par les pays exportateurs que leurs clients achètent moins, les privant des dollars indispensables au remboursement de leurs dettes, et que, pour les plus fragiles, leurs monnaies sont dévaluées en conséquence de la baisse des investissements étrangers directs et de la baisse des exportations.

Ce regard nous permet de comprendre pourquoi l’Allemagne a étonnamment opéré un revirement ultra pro-européen lors du sommet de juillet dernier. Elle sait que les belles heures de la "grande exportation" appartiennent au passé. Elle se replie sur l’Europe, son "marché domestique élargi". Elle sait qu’elle ne touchera rien des 600 milliards que l’Italie lui doit au titre de Target 2, la comptabilité des échanges intra-européens, mais elle ne peut pas prendre le risque que l’économie italienne soit en ruines. Fini le temps du méprisant "Club Med" pour les pays du Sud. D’ailleurs, Benoît Cœuré, récemment nommé à la tête de l’innovation de la BRI, la banque centrale des banques centrales, travaille sur un e-euro, crypto-monnaie, qui serait la monnaie commune qu’aurait dû être l’euro et qui aura des subdivisions euro-mark, euro-franc, euro-lire, etc. On dira que la Zone euro se renforcera, en fait, elle s’adaptera aux réalités. C’est cela qui permettra de remettre chaque monnaie en harmonie avec la réalité de son économie car tant que la politique fiscale ne sera pas harmonisée, une monnaie unique sera aussi une illusion.

Mondialisation terminée ? Pas possible dirons certains car c’est irréversible ! Et pourtant, ce n’est que la cinquième de l’Histoire. Pourquoi celle-là ne ferait-elle pas comme les précédentes, opérant un repli que la sixième remettra en cause dans quelques décennies ? Lorsque Klaus Schwab, Président-fondateur du Forum Économique Mondial, déclare : "la mondialisation a sorti plus d’un milliard de gens de la pauvreté, mais en sa forme actuelle, elle ne correspond plus à nos objectifs", peut-on croire encore à ce modèle si ceux qui l’ont fait n’en veulent plus ?

Lorsque Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies, dit : "il est clair qu’il y a un déficit de confiance grandissant entre les gens et les pouvoirs politiques, autant de menaces qui pèsent sur le contrat social. Le monde se débat aussi avec les impacts négatifs de la mondialisation et des nouvelles technologies, qui ont augmenté les inégalités au sein des sociétés. Avant tout, j’en appelle à tous les dirigeants à écouter les vrais problèmes des vraies gens", même question et même réponse : non !

Le 3 juin 2020, au Forum Économique Mondial, la Directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a donné une conférence intitulée "The Great Reset". Elle a fait référence à la conférence de Bretton Woods qui avait fixé les règles monétaires des décennies suivantes et déclaré que l’épidémie était une opportunité pour changer le monde. Le FMI évalue un éventuel Bancor, terme créé par Keynes, et qui correspond au retour à l’étalon-or revu. Ce système mettrait fin aux déficits commerciaux et financiers que le système actuel permet. Ce sera, pour cette raison, un très gros coup porté à la mondialisation. Pourtant, le Bancor est demandé depuis longtemps par la Chine, qui ne sait plus bien ce que valent les dollars qu’elle a en caisse. Cette "grande réinitialisation" a été annoncée lors de la réunion virtuelle du Forum Économique Mondial, par Klaus Schwab, Antonio Guterres et Kristalina Georgieva, soit le WEF, le FMI et l’ONU, pas moins.

Tous les déséquilibres ont contribué à la crise qui aurait dû être traitée en 2008 et qui est d’autant plus grave aujourd’hui. Soyons clairs : nous pensons que le creux de la crise sera entre 2022 et 2025. C’est justement à la fin de cette période que le FMI et autres institutions qui dirigent le monde prévoient la grande réinitialisation, c’est-à-dire un nouveau système monétaire international, avec un dollar qui ne sera plus que la monnaie nationale américain, et une monnaie internationale contrôlée par le FMI, c’est-à-dire relevant d’un système multipolaire. C’est, curieusement, aux "environs de 2024", que l’industrie aéronautique et les compagnies aériennes imaginent pouvoir renouer avec la croissance.

La dépression qui nous touche va durer plusieurs années car le cycle finissant ne peut laisser place à une forte croissance qu’à deux conditions majeures.

  1. Basculer pleinement dans le nouveau cycle en respectant parfaitement son cahier des charges.
  2. Disposer d’une économie épurée de tout dette.

Il est possible de basculer pleinement et rapidement dans le nouveau cycle. Le cahier des charges est connu et nous en décrivons les éléments régulièrement. En revanche, disposer d’une économie épurée de toute dette va être un processus long et douloureux qui va freiner le basculement.

Les dégâts causés par une économie négligeant consciemment les externalités négatives a entraîné un accroissement des dérèglements liés au réchauffement climatique. Les incendies de forêts, les énormes inondations qui ont eu lieu en Chine cet été par suite de pluies torrentielles et de ruptures de barrages non entretenus, les pandémies animales comme la peste porcine qui a détruit le cheptel chinois, devraient créer une pénurie alimentaire en 2022.

Les bruits de bottes sont de plus en plus forts. S’il advenait un conflit chaud, qu’il s’agisse de cyber-attaques ou d’affrontements militaires, que vaudraient sérieusement "l’ouverture sur le monde", "l’international" ? Ce ne serait que des points de faiblesse risquant fort de conduire les entreprises à la mort !

La résilience, puisque le mot est à la mode, consiste d’abord et avant tout à s’ancrer sur son propre territoire, pour y prendre sa place naturelle, celle où l’on risque le moins les sanctions politico-commerciales, les rétorsions. Et que dire de la dépendance aux produits qui "viennent de loin", qu’il s’agisse de matières premières ou de composants, voire de produits finis ? Pire encore, de médicaments ?

Tournant technologique : en juillet 2020, Tesla a dépassé Toyota en termes de valorisations boursières. Certains y ont vu une aberration dans la mesure où Tesla vend 350.000 voitures par an et Toyota 11 millions ! Funeste erreur de jugement : Tesla a six ans d’avance sur les grands constructeurs mondiaux en termes de technologies indispensables à la voiture moderne, logiciels embarqués, gestion de données, batteries à grande capacité et à longue durée de vie. C’est cela qui est valorisé ; penser en nombre de véhicules revient à penser en chiffre d’affaires alors que c’est la marge et la valeur ajoutée qui comptent. Penser en termes de chiffre d’affaires a un sens tant que l’on reste dans un modèle partagé par tous. Or, nous sommes à une époque où la concurrence est due pour l’essentiel aux différents modèles pratiqués. Dès lors, ce qui était vrai dans un système où tous les paramètres étaient fixes devient faux et doit être remplacé par la valeur des modèles pratiqués.

Autre exemple : Amazon doit ouvrir en septembre ou octobre, près de Los Angeles, un supermarché où le client pourra demander à Alexa, via les enceintes Echo show, où se situe le produit qu’il cherche. Il mettra le produit dans un chariot connecté et pourra sortir sans passer par la caisse, la facture lui étant envoyée instantanément sur son application mobile. Tout cela, comme pour Tesla, est lié à la gestion des données.

Il faut avoir à l’esprit que les modèles modernes fournissent des revenus importants sur ce qui ne se voit pas, le produit vendu devenant un produit-support.

Jerome Powell, Président du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale des États-Unis, a annoncé fin août qu’il ne réagirait pas à une inflation dépassant 2 %, l’absolue limite théorique jusque-là, et que, si cela advenait, les taux seraient maintenus au plus bas, contrairement à l’orthodoxie monétaire.

La tempête se lève avec l’hyperinflation, facteur majeur d’élimination de la dette, les bruits de bottes qui finiront par être assez chauds même sous contrôle, les bouleversements technologiques. La grande réinitialisation, c’est-à-dire le remplacement définitif (pour plusieurs décennies), des paramètres dont nous avons eu l’habitude par ceux qui forment l’infrastructure du nouveau cycle, sera un moment clé dont seuls ceux qui en auront une vision précise sortiront gagnants.

Eric Fromant

03/10/2020

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