[Groupe K2] Panorama des marines nationales

13/05/2024 - 4 min. de lecture

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Amiral Alain de Dainville est Amiral (2S) & Ancien Chef d'État-major de la Marine.

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Panorama des marines nationales

 

Ceux qui se sont interrogés sur les raisons de la puissance d’un État ont tous conclu qu’elle se conquérait en mer, l’espace où l’on contrôle le commerce. Il en est de Périclès pour qui « c’est une chose capitale que la maîtrise de la mer », à sir Walter Raleigh, qui pense que « qui contrôle la mer contrôle le commerce, qui contrôle le commerce contrôle la richesse du monde, donc le monde lui-même ». Il vivait sous le règne de la grande reine Elizabeth 1ére, qui accéda au trône dans un pays appauvri par les conséquences de la guerre de 100 ans et qui laissa un royaume enrichi par une stratégie maritime, à la fois commerciale par la création de la compagnie des Indes, mais aussi navale à base de guerre de course pour s’emparer des richesses que les galions espagnols et portugais ramenaient du nouveau monde, après avoir triomphé de l’Invincible Armada. En France, Richelieu l’avait compris quand il conseille au roi : « la première chose qu’il faut faire est de se rendre puissant sur la mer, qui donne entrée dans tous les États du monde ». Les grandes puissances ont toujours été maritimes à l’exception de l’empire Mongol. Aujourd’hui, les États-Unis en sont indéniablement une, d’autres se donnent les moyens de l’être comme la Chine ou l’Inde. L’agression russe en Ukraine ne peut être dissociée de la volonté de Pierre le Grand d’accéder aux mers chaudes, qui justifie le rôle essentiel de la base de Sébastopol en Crimée. 

La route vers cette puissance demande une stratégie maritime, partie prenante d’une stratégie totale, qui englobe diplomatie, commerce, influence, infrastructures, économie, ressources humaines, culture... Elle serait incomplète sans une réflexion militaire, la stratégie navale et son pendant la stratégie terrestre. Les stratèges se réfèrent à Clausewitz qui voit dans l’action guerrière une réponse à l’impasse politique, mais aussi au Chinois Sun Tzu, adepte d’une stratégie où l’on vainc sans combattre et où l’on épargne le vaincu, car il sera le consommateur des lendemains, et absorbera les productions du vainqueur. Le plus célèbre stratège naval est l’américain Alfred T Mahan mort en 1914 pour qui « l’empire de la mer est indubitablement l’empire du monde » et que cet empire s’acquiert par le commerce ou dans la violence par la guerre. Il professe une vision terrestre où l’on occupe la mer comme on occupe le sol en se procurant des points d’appui. Il compare le commerce maritime à la circulation du sang dans le corps humain, la stratégie navale venant déboucher les artères. Ses successeurs Corbett et Castex adopteront une vision plus fluide de la stratégie navale, plus orientée sur la protection des flux que sur l’occupation, plus nomade que sédentaire. 

Dans le passé lointain, avant les progrès de la marine à voiles, le commerce se faisait par caravanes, que l’on tente de recréer sous une forme moderne en construisant des voies ferrées. Mais, quand elles peuvent être installées, elles ne seront jamais compétitives avec la navigation maritime, tant économiquement qu’environnementalement. L’échange d’informations se fait par câbles sous-marins, que les satellites ne pourront jamais concurrencer faute de pouvoir offrir le même débit. Les échanges matériels et immatériels ont donc besoin d’une stratégie maritime appuyée sur une straté- gie navale, élaborée pour la guerre ou la guérilla, en pleine mer ou à proximité des côtes. Elle donne des missions aux forces navales, marines militaires ou de gardes côtes, pour faire la guerre ou la police. 

Ce siècle est celui du réarmement naval, impulsé par les États asiatiques où les marines et les gardes-côtes se renforcent. Alors que les bases terrestres sont vulnérables aux actions de guérilla et aux armes modernes, les États recherchent la liberté qu’offrent les mers et la sécurité par la mobilité, dans des présences dissuasives ou pour mener des actions offensives. Le volume des marines dépend des ressources que l’on peut y consacrer pour les objectifs que l’on se fixe. Napoléon disait « Vous donnez un million à la marine et vous ne savez pas comment il est dépensé », ce n’est plus le cas aujourd’hui où tout est sous contrôle. 

Il n’y a pas de marine puissante sans porte-avions et sous-marins nucléaires, ce qu’illustre le conflit palestinien avec la présence ostensible de deux porte-avions et d’un sous-marin américains. Les flottes ne peuvent se comparer ni par leur tonnage, ni par leur nombre d’unités. Ce qui fait la force d’une marine est une alchimie entre organisation, nombre et types des bâtiments, qualités, ressources humaines, valeur des équipages, infrastructures et capacités industrielles, sans oublier la cohérence des composantes, de surface, sous-marines, aéro-navales, amphibie et d’action dans les grands fonds. C’est aussi de pouvoir s’appuyer sur une marine marchande forte. 

Existent dix niveaux de marines. Au sommet celle qui remplit toutes les cases et possède une totale capacité de projection de puissance. Une seule satisfait à tous les critères, la marine américaine épaulée par une puissante force de gardes-côtes. Ensuite, viennent les marines à la capacité de projection de puissance limitée, avec au premier rang la Chine encore à la traîne sur un certain nombre de critères mais qui cherche à rattraper son retard, non plus par l’imitation de sa rivale mais par l’innovation. Se classent dans cette catégorie à des niveaux moindres, Inde, Royaume-Uni, France, Russie, Japon et bientôt Corée du Sud. 

Puis, viennent les marines multi régionales, celles qui limitent leurs ambitions à la guerre côtière, à la protection des ZEE, et aux interventions avec des moyens limités, celles de Turquie, Italie, Iran, Pa- kistan et Espagne. Au quatrième rang, arrivent les marines régionales, celles du Portugal, de la Nouvelle Zélande, du Maghreb ou de l'Arabie Saoudite ; au cinquième, celles qui veulent défendre leurs côtes ou celles de leurs alliés, la Corée du Nord ; au sixième, celles qui se cantonnent à leurs eaux territoriales ; au septième, celles qui se contentent de la garde-côte comme à Maurice ; au huitième, celles qui naviguent sur les fleuves ou les rivières comme en Hongrie ; au neuvième, celles de pays qui n’ont que des eaux intérieures comme l’Azerbaïdjan ; enfin, les plus écologiques, celles qui reposent leur protection sur les seuls prédateurs des milieux naturels, tels que les requins dans les îles du Pacifique. 

Une marine est construite pour défendre des intérêts. Si le Liban avait possédé une marine forte, il aurait pesé d'un tout autre poids dans les négociations sur le partage en Méditerranée des zones maritimes qui couvrent d’importantes ressources gazières. Alors, les gouvernants doivent faire l’effort d’y consacrer des crédits sans briser la cohérence des dépenses publiques. Ils auront toutes les chances d’obtenir un bon retour sur investissement. 

Amiral Alain de Dainville

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13/05/2024

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