Propos généraux sur le renseignement

22/01/2022 - 5 min. de lecture

Propos généraux sur le renseignement - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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Propos généraux sur le renseignement

Le renseignement, le plus vieux métier du monde ! 

Lorsque je suis appelé à animer une conférence sur le renseignement, je me plais à reprendre cette comparaison répandue dans le milieu entre les espions et les prostituées. Ils partagent le même goût du secret dans leurs activités, le besoin d’opérer souvent clandestinement et se disputent tous deux le titre de plus vieux métier du monde. La quête de renseignement est en effet aussi vieille que les sociétés humaines car, dès lors qu’il y a eu organisation sociale, il y a eu nécessité de la protéger, donc de connaître et d’appréhender les menaces extérieures. 

Les plus grandes civilisations n’ont pu s’affermir qu’en déployant un système de renseignement puissant et invisible qui leur permettait de s’assurer de la loyauté de leurs sujets et de connaître les intentions de leurs ennemis mais également de leurs alliés. L’un des plus vieux manuels de stratégie militaire connus, attribué à Sun Tzu, érige le renseignement au rang de fonction stratégique majeure qu’un chef de guerre se doit de parfaitement maîtriser. La bataille se joue avant même le combat : il s’agit de connaître les forces de l’adversaire, ses positions, ses mouvements, le moral de ses troupes afin de préparer l’action militaire avec l’avantage de la surprise et de le vaincre avec le moins de pertes possibles. 

 

Un intérêt renforcé du grand public pour le renseignement en raison des divertissements portant sur le sujet

Le renseignement a depuis longtemps imprégné et imprègne encore l’imaginaire collectif mais l’image que les fictions en véhicule est parfois assez éloignée de la réalité. En France en particulier, l’image du renseignement est ambivalente. Si dans la culture anglo-saxonne, teintée de pragmatisme, la figure de l’espion a toujours été perçue favorablement comme un moyen efficace pour atteindre l’objectif recherché, il n’en a pas été de même en France où les valeurs d’héroïsme et d’honneur ont longtemps primé dans notre art de la guerre. À l’efficacité du résultat, la culture française a toujours préféré la beauté du geste : le fameux panache ! Le renseignement était trop associé au monde de l’ombre et du secret pour ne pas éveiller la suspicion sur ses méthodes et ses actions, aux confins parfois de la légalité. Cette image d’un monde parallèle avec ses lois propres et ses personnages douteux, à qui l’on prête coups tordus et barbouzeries, a longtemps dominé dans notre imaginaire collectif, parfois à raison. Des scandales retentissants, de l’affaire Dreyfus au Rainbow Warrior, n’ont pas manqué de jalonner l’histoire du renseignement et de nourrir la méfiance à l’égard de ses activités. D’ailleurs, il m’est apparu lorsque j’étais à l’Élysée que le PR actionnait ses propres réseaux dans lesquels il avait toute confiance pour contrôler le bien fondé des renseignements donnés par les Services et, plus généralement, par l’Administration.

Cette perception négative semble avoir heureusement évolué à la faveur notamment de la menace terroriste qui a remis au premier plan l’importance du renseignement. Les succès populaires de films ou de séries, comme Le bureau des légendes, qui mettent en scène des personnages liés au monde du renseignement ont également participé à ce retour en grâce.

 

Un intérêt renforcé des acteurs économiques pour le renseignement en raison de la guerre économique actuelle

Si le renseignement est surtout l’affaire des Nations, il concerne aussi, et de plus en plus, des animaux plus petits, pour parler comme Jean de La Fontaine. 

La compétition économique expose nos entreprises à des risques particulièrement graves de cyberattaques destinées à capturer leurs secrets industriels, technologiques, stratégiques ou économiques. L’espionnage industriel et économique est devenu une réalité quotidienne pour les entreprises et les oblige à renforcer leur service sécurité et à appréhender ce risque dans leur activité. Le développement de l’intelligence économique et stratégique comme sujet de recherche académique et filière professionnelle montre aussi toute l’importance prise par cette nouvelle menace. 

Les particuliers peuvent également se retrouver aux prises avec les affaires d’espionnages. Son histoire est en effet remplie de ces personnes, appelées dans le jargon "les honorables correspondants", qui n’appartiennent à aucun service de renseignement, mais qui leur rendent des services occasionnels en leur transmettant des informations confidentielles. L’une des plus grandes réussites du renseignement français, l’affaire Farewell, qualifiée par le Président Reagan de la plus grande affaire d’espionnage du 20ème siècle et dont certains historiens considèrent qu’elle n’est pas sans lien avec la chute de l’URSS, s’est ainsi réalisée avec l’intervention d’un ingénieur de chez Thomson installé en Russie avec qui est d’abord entré en contact la célèbre taupe du KGB.

Il est fort possible que chacun d’entre nous, sans le savoir, ait croisé un agent, un espion ou un honorable correspondant dans le cadre de ses activités professionnelles, surtout s’il évolue à Paris qui, historiquement, a été et est encore un centre important du renseignement mondial. S’il a été bien formé - c’est le cas dans nos services mais aussi celui des services américains, anglais, israéliens, chinois pour ne citer qu’eux -, il ne vous le révèlera jamais, du moins tant qu’il sera appelé être en service actif. Combien ai-je pu croiser de personnes exerçant une vie des plus quotidiennes ou des plus classiques (avocat, universitaire, informaticien, ingénieur, chef d’entreprise, musicien, etc.) qui exerçaient des activités liées au renseignement sans pour autant que leur entourage professionnel ou personnel n’en connaisse le moindre fait. Le meilleur moyen de ne pas éveiller la suspicion de son entourage est de trouver des sujets techniques sur lesquels démontrer une grande maîtrise et en parler avec passion, qu’elle soit réelle ou feinte. Il est difficile de concevoir pour les non-initiés au monde du renseignement une personne ayant atteint un haut niveau de maîtrise technique dans une discipline comme l’économie, le droit, l'informatique ou la finance  et par ailleurs engagée dans des actions clandestines. Ce n’est tout simplement pas dans l’imaginaire véhiculé par les séries ou films sur le sujet. C’est d’ailleurs pour cette raison que des séries comme Le bureau des légendes, ou Homeland dans une moindre mesure, sont d’un très grand réalisme. Cette capacité qu’elles ont eu à livrer un récit moins spectaculaire a permis à un certain nombre d’avoir une plus grande vigilance sur les personnes de leur entourage professionnel ou amical. Il paraît toutefois essentiel de conserver cette discrétion et ce sens du secret. Une personne engagée sur ces questions ne pourrait que fragiliser sa position en révélant être, même de manière lapidaire, de la maison. Méfiez-vous au passage des personnes qui vous disent après quelques minutes de discussion, et souvent après quelques verres, sur le ton de la confidence, qu’ils sont dans les services. Ce n’est pas la pratique d’un professionnel sérieux. Cela cache bien souvent d’autres intentions moins avouables et plus prosaïques : ego, argent ou sexe. 

Le renseignement ne doit donc pas se concevoir comme un domaine réservé ou éloigné de nos préoccupations. Il est l’affaire de tous. Il participe à notre sécurité et à nous préparer contre les dangers de ce monde. J’essaierai, lors des prochaines semaines, au travers de quelques souvenirs puisés dans mon expérience, de rendre cette activité vivante.

Général (2s) Jean-Pierre Meyer

22/01/2022

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