Quel modèle de gouvernance pour les entreprises internationales dans le monde d'aujourd'hui ?

17/12/2024 - 7 min. de lecture

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Fabien Siguier est Directeur Richesses Humaines, Ethique et Organisation, SHRM-SCP du Groupe Adisseo.

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Quel modèle de gouvernance pour les entreprises internationales dans le monde d'aujourd'hui ?

 

Gouvernance des sociétés internationales

Une organisation économique mondiale est une entité commerciale qui opère dans plusieurs pays en dehors de son pays d'origine et qui se caractérise par une approche mondiale de sa présence sur le marché et de l'acquisition de ressources. Il peut s'agir de petites, moyennes ou grandes entreprises, et de toute forme de capitalisation, de l’entreprenariat individuel ou familial à l'État, en passant par le marché des actions financières, de la holding, du groupement coopératif ou des alliances.

Une gouvernance d'organisation est définie à l'origine par l'ensemble des systèmes, processus et politiques définissant la façon dont l'entreprise est contrôlée et dirigée. L'objectif d'un système de gouvernance est de soutenir son efficacité économique, sa croissance durable et sa stabilité financière, c’est à dire de "définir une stratégie à court, moyen ou long terme sans faire l’impasse sur les relations entre l’entreprise et la société, voire l’émergence d’une opinion publique"[1].

Pas à pas, au rythme de l’ouverture et de l’intégration économique mondiale, à partir des années 1973-1977, la gouvernance de l'entreprise a inclus la conformité, à commencer par les règles comptables[2], puis l'éthique consacrée à partir de 1997 par la signature de la convention anti-corruption, et aujourd'hui elle est passée aux valeurs et aux comportements, et a finalement défini le modèle de leadership de l'entreprise dans un cadre dynamique de responsabilisation et d’exigence detransparence (RSE/ESG) assurant l’ancrage dans un territoire.

L'examen du modèle de gouvernance d'une entreprise internationale et mondiale soulève la question de l'universalité de nos valeurs et de notre société.

Dans le nouvel environnement B.A.N.I.[3] et les tensions géopolitiques, l'interdépendance du marché des affaires demeure. Les inégalités augmentent dans tous les pays, le changement climatique devient une préoccupation partagée par toutes les parties prenantes, le mélange démographique et la migration deviennent une réalité partout, et l'accès à l'information, en conséquence à la désinformation, en temps réel accélère l'impact sur la société sous la pression d’une opinion publique, nationale ou mondiale.

Diriger les ressources humaines dans une organisation mondiale nous force à réfléchir à notre action et à notre impact sur la société dans un contexte incertain, sachant que, par exemple, la Convention des principes directeurs de l’OCDE de 1997 n’a été signée que par les 38 États de l’OCDE et depuis 13 autres états non-membres de l’OCDE. Pouvons-nous avoir un impact positif sur la société et développer en même temps l'engagement de nos employés grâce à une gouvernance d'entreprise mondiale, diffusant une sorte de valeurs universelles dans tout le pays où nous opérons ?

 

Le modèle de gouvernance verticale - latérale

Nous devons apprendre de l'histoire. Il n'y a pas d'universalité définie par un pays ou une région dumonde, nous ne devrions pas considérer une vision de société plus élevée dans un classement que lesautres tant qu'elle respecte l'être humain. Et en même temps, certaines notions d'universalité ont été définies et acceptées au fil des ans et des différentes civilisations et formalisées dans une déclarationuniverselle des droits de l'homme[4]. Ces deux considérations sont similaires à ce que nous pouvons expérimenter dans notre gouvernance d'entreprise, l'organisation matricielle. C'est un appel à être l'ambassadeur des droits de l'homme fondamentaux des Nations Unies, tout en respectant et en comprenant la richesse des différences culturelles et individuelles, et la législation de chaque pays où nous opérons. La vitesse des changements dans notre environnement est si rapide que notre organisation doit également être agile pour s'adapter en permanence à ces changements de contexte.

Le modèle de gouvernance verticale et latérale doit être sélectif, limitatif. Le modèle de gouvernance doit être d’un côté très fort et sans compromis dans la sélection des critères de gouvernance universelle, et d’un autre côté respecter sans juger les règles de gouvernance locale à mettre en œuvre dans chacun des pays où nous opérons autour de concepts immuables qui sont la souveraineté,l’autorité et la sécurité.

Chaque entreprise a un modèle de gouvernance unique. Le modèle de gouvernance reflète l'histoire de l'entreprise, son activité et ses différentes parties prenantes, sa mission et sa vision de l'entreprise,sa rentabilité, la nationalité son siège social, etc. C'est pourquoi il est difficile de parler d'un modèle de gouvernance universel dans une entreprise. Considérant qu'il n'y a pas de modèle de gouvernance unique, nous devrions au moins envisager de tendre dans chaque modèle de gouvernance d'entreprise vers l'universalité des droits de l'homme des Nations Unies.

La vision de l'entreprise et la définition de la mission sont un bon début pour concevoir un modèle de gouvernance et de leadership. C'est un point de départ, un "but" commun. Dans un deuxième temps, il doit être adapté à la culture et au contexte.

 

Passer de la réglementation gouvernementale à la responsabilisation des entreprises

Si la définition de la gouvernance est bonne, visant des valeurs universelles pour le bien commun, le défi est de passer du "concept universel" à "l'action d'universalisation". Le défi est de faire ce mouvement pour le bien commun des peuples et de la société où nous opérons tout en évitant d'imposer une vision de société aux autres cultures et en respectant les différences. Ce mouvement de valorisation des différences doit éviter le piège du communautarisme, du corporatisme, du tribalisme, des castes. La diversité doit être valorisée pour enrichir l'organisation mondiale, et non pour s'opposer et fragmenter la population au sein de l'organisation, et pour créer un écosystème de confiance àl’échelle mondiale, partagé par les États avec leurs citoyens dans lesquels nous opérons.

L'Organisation internationale du travail (OIT) pousse les entreprises mondiales et internationales à prendre les devants en matière de droits de l'homme au travail. Aujourd'hui, l'évolution des conditions de travail décentes et le respect des droits de l'homme au travail deviennent un devoir des entreprises, celui de protéger en premier la dignité humaine, plutôt qu'une réglementation gouvernementale. Les entreprises internationales sont les seules à pouvoir agir à l'échelle internationale et à diffuser le développement d'une rémunération équitable et de conditions detravail décentes, en identifiant et en refusant l'esclavage, le travail des enfants, différentes formes deharcèlement et de discrimination. La plupart des grandes entreprises internationales ont déjà reconnu leur responsabilité dans ce domaine. Le plus grand défi reste la responsabilisation tout au long de lachaîne de valeur, en veillant à ce que le code d'éthique de l'entreprise soit strictement respecté en interne à tous les niveaux de sa chaîne de sous-traitance et de ses partenaires, et reconnu par les autorités en externe.

Le premier droit des travailleurs à garantir tout au long de la chaîne de valeur est certainement la liberté syndicale des travailleurs. Les entreprises doivent le sécuriser quelle que soit la législation dans les différents pays et partout où elles opèrent. La garantie de la liberté d'association et d'animation des travailleurs est une grande opportunité pour l'amélioration de la vie des personnes et le développement durable de l'entreprise, comme de la croissance du pays. Ils sont également la condition préalable à la durabilité d'un modèle démocratique dans chaque pays.

 

Pas un seul modèle de gouvernance universel, mais un principe universel

Après cette exploration, je peux dire que je ne crois pas en un modèle de gouvernance universel pour les entreprises internationales pour faire face au contexte actuel, ni à la prévalence ni à la supériorité d'une vision par une partie du monde sur le reste du monde. J'appellerais les responsables ressources humaines à envisager d'intégrer les principes universels des droits de l'homme des Nations Unies dans la gouvernance mondiale spécifique de leur entreprise et de leurs partenaires dans la chaîne de valeur, et à écouter les employés et les cultures locales pour adapter leur gouvernance dans chaque pays où ils opèrent selon le principe des réalités. La richesse et l'efficacité du modèle de gouvernance d'entreprise viendront de cette capacité à mener une double gouvernance transversale et latérale, et à l'adapter en permanence à la révolution du contexte.

 

La philosophie africaine Ubuntu nous disait "Je suis parce que nous sommes". Dans nos sociétés internationales, cela pourrait se traduire par "Nous sommes (une entreprise mondiale) parce que vous êtes (avec toute votre différence et votre richesse)".

Fabien Siguier

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Référence

  • Souleymane Bachir Diagne, Reconstruire le sens : textes et enjeux de prospectives africaines, Dakar, Éditions Codesria, 2001
  • François Julien, De l'universel : De l'uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures, Editions Point, 2011
  • Alain Badiou, Saint Paul : La fondation de l'universalisme, Edition PUF, 2015

Sites Web de référence

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[1] Howard Bowen, 1953 

[2] IASC ou IASB, et IFAC, puis normes IFRS

[3] BANI signifie monde fragile, anxieux, non linéaire, incompréhensible. Le concept a été défini en 2018 à l'école de Palo Alto par le Pr. Jamais Cascio, et succède à la définition mondiale VUCA datée des années 1980 par l'école de guerre américaine.

[4] Cette Déclaration universelle adoptée en 1948 par les 58 États membres de l’ONU est un document fondateurqui conduit par un long processus de débat visant à renforcer l’action des Nations Unies (rassemblant 195 Étatsmembres sur les 199 existants dans le monde) en matière de protection de droits de l’homme à la Déclaration etle Programme d'action de Vienne : ces textes adoptés lors de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme(14-25 juin 1993), ont formulé des recommandations concrètes pour renforcer et harmoniser la capacité desurveillance des droits de l'homme de l'ONU. Le document demandait la création d'un poste de Haut-Commissaire aux droits de l'homme par l'Assemblée générale, qui a ensuite créé ce poste le 20 décembre 1993(résolution A/RES/48/141).

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