Résilience opérationnelle

30/04/2020 - 5 min. de lecture

Résilience opérationnelle - Cercle K2

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Le général Yves de Kermabon est général de corps d'armée (2S) et Directeur des Relations Internationales de MARS Analogies. Le général (2S) Marc Delaunay est Président de MARS Analogies et cofondateur d’AME-France (association des militaires entrepreneurs).

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Les armées viennent de lancer « l’Opération Résilience » : un slogan ambitieux pour un appui militaire limité, faute des moyens retirés par l’Etat lui-même, dans la gestion institutionnelle de la crise du COVID-19.

Dans son dernier article[1], le général (2s) Christian Thiébault précise la nature et le champ d’action du concept de résilience ; un totem pour l’instant plus médiatique qu’une réalité opérationnelle tant au niveau de l’Etat que dans un écosystème mobilisé pour franchir un cap redouté, à l’image des navigateurs du XVème siècle dans leur conquête du monde, au-delà des terres connues.

La résilience est devenue un sujet d’étude et de doctrine au sein de nos armées. Tout au long de l’histoire, sous d’autres noms, elle a guidé le rebond voire la renaissance de nos forces, défaites en 1870, surprises en 1914 ou plus modestement éprouvées par des embuscades mal anticipées telle celle d’Uzbin (Afghanistan) en 2008. Comme toute entreprise confrontée à la cruauté du marché et aux aléas du contexte, chaque unité garde en mémoire la douleur d’épreuves collectives, la perte de frères d’armes, les échecs imprévus, les dissolutions injustes, les  réorganisations répétées. Ces situations d’exception imposent aux chefs de tous grades de reprendre au plus tôt l’ascendant sur les hommes et les circonstances pour continuer la mission.

A l’échelle de la Nation, la défaite de 1940 fut le déclencheur d’un cycle vertueux : frugalité sous l’Occupation, Résistances, remontée en puissance militaire, contribution à la Victoire au côté des alliés, reconstruction, succès des plans. Depuis 1974, l’enchaînement des chocs pétroliers, financiers, économiques et sécuritaires balisent le paysage de la mondialisation défilant à grande vitesse.

Au-delà de ce rappel, comment passer du mot à l’acte et quelle traduction opérationnelle, quels bénéfices les organisations pourraient-elles attendre de cette résilience opérationnelle qui frappe à nos portes ? 

Pour distinguer le pourquoi du comment, l’expérience militaire – encore elle ! – livre quelques pistes.

Tout d’abord, dans le cadre espace/temps, ce chantier pose des questions analogues, toutes proportions gardées, à celles de la reconstruction de Notre Dame de Paris : que sauver, que reconstruire à l’identique, que changer pour perpétuer ? Dans l’impératif d’une relance au plus tôt, que faire alors que le temps, cet ennemi implacable, nous contraint à la patience avant de pouvoir tirer les leçons d’un retour d’expérience, d’une profusion et d’un magma de données inégalées ?

Ensuite, de nombreux pans du commandement – osons le terme – étatique, territorial et entrepreneurial sont sollicités : la conception du travail dans l’intégralité de son spectre ; la culture, du sens à la cohérence de l’action d’ensemble jusque dans les ultimes détails du succès ; le leadership dans toute son envergure humaine et professionnelle ; l’ancrage, profond mais agile, des organisations dans leur environnement immédiat et, au-delà de l’horizon, dans les plans d’action de leur « manœuvre future ».

Enfin, pour répondre aux attentes impatientes ou meurtries, le besoin d’entretenir, d’enrichir et de partager les compétences et les énergies révélées par cette crise.  Un bouillonnement collectif scientifique, technologique et managérial sans frontières a improvisé sans préavis de possibles remèdes à la crise du COVID-19. Il peut  servir de creuset créatif aux modes d’action aptes à recomposer un écosystème aujourd’hui trop interdépendant et trop fragile pour être véritablement durable.

Pour agir concrètement, nous nous limiterons à cinq verbes, choisis parmi d’autres dans le riche vivier de l’efficacité opérationnelle :

  • Organiser, au sens où le soldat l’entend, à l’opposé du vocabulaire désincarné de la technocratie qui a gravement montré ses limites. Il s’agit de faire converger l’ensemble des acteurs vers une vision partagée, d’imaginer une organisation nouvelle qui sache, à chaque niveau et dans chaque métier, discerner, discerner, concevoir, orienter, permettre, placer les femmes et les hommes là où ils sont nécessaires, connus et reconnus, tout à leur mission, à leur responsabilité, à la répartition des rôles et au service de nos communautés d’avenir.
  • Eduquer dès le plus jeune âge afin d’ouvrir les esprits à nos valeurs communes, à la fierté de l’engagement précoce dans sa diversité, à cette capacité de résilience de la nature et du quotidien, à l’instar des légionnaires, venu d’ailleurs, qui apprennent le français et découvrent la France avant de la servir.
  • Former non pas des citoyens occasionnels, des agents de production sans responsabilités et des consommateurs prisonniers de la communication mais des acteurs libres, informés et engagés de la vie sociale, économique et démocratique. L’ère numérique offre des perspectives insoupçonnées à l’acquisition - à distance comme à proximité - des savoirs et la mise à niveau régulière des citoyens à la mesure du potentiel de  la société de la connaissance.
  • Entraîner, dans le double sens de la dynamique individuelle et collective imprimée et celui de la préparation opérationnelle, déterminante dans l’anticipation, la conduite et la conclusion des crises. Parent pauvre du management, « faute de temps » au motif que « le réel dépasserait le fictif », l’entraînement, les exercices, les alertes, les outils, le RETEX et les experts peu considérés savent[vf1]  bien ce qu’une crise coûte aux collectivités insouciantes, l’œil rivé sur la fausse productivité du court terme.  
  • Aguerrir, sans peur du mot, pour cumuler la résistance à l’effort et l’endurance à l’incertitude. La suspension sine die du Service National, l’abandon ou la réduction de capacités de protection civile et de défense passive, la faiblesse des réserves, l’absence d’instruction et d’équipement des populations comme des entreprises à la préparation et à la gestion des crises sont démonstratifs de notre impréparation collective et du handicap structurel de l’Etat à décider, en arbitre clairvoyant, à gérer l’inattendu dans l’urgence et à surmonter son retard.

Outre la naïveté française en matière d’intelligence économique et d’influence, il est à craindre que la crise du COVID rebatte les cartes d’un grand marché géostratégique survolté et d’une économie globale anémiée où la solidarité a perdu beaucoup de terrain et la France un pan de sa crédibilité.

La résilience opérationnelle, celle qui anticipe, renforce et assure, offre une vraie ressource à l’entreprise, aux collectivités et à l’Etat d’opérer une nouvelle répartition des rôles, d’anticiper un regain d’intérêt nécessaire pour la capacité de gestion de crise. Ensemble, il faut sortir des incantations rituelles, « repenser l’impensable, anticiper l’incertitude,...» et passer à l’acte.

La devise du général de Lattre : « Ne pas subir ! » et celle de Pasteur : « La chance ne sourit qu’aux esprits préparés » sonnent à notre mémoire.  Notre conviction est qu’aucune entreprise, aucun pays ne pourra plus se permettre de payer un tel tribut à l’impréparation d’une crise de l’ampleur de celle du COVID-19.

Yves de Kermabon

Général de corps d'armée (2S) et Directeur des Relations Internationales de MARS Analogies

Marc Delaunay

Général (2S) et Président de MARS Analogies

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[1] Lien 

30/04/2020

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