La crise sanitaire, un moment historique pour accélérer la finance responsable ?
26/09/2020 - 4 min. de lecture
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Vanessa Mendez accompagne les projets d'innovation sociale.
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Force est de constater que le culte du veau d’or et l’hybris ont éloigné la finance de sa finalité et de sa raison d’être. Plus d’une décennie après la crise des subprimes dont les impacts ont été d’une ampleur sans précédent sur l’économie réelle, les facteurs à l’origine de l’ébranlement du système financier mondial sont toujours à l’oeuvre : tyrannie du court-terme, persistance des risques systémiques, recherche de la maximisation du profit, difficulté d’accès aux ressources financières pour les acteurs les plus vulnérables.
Depuis 2008, les économies internationales ont été sévèrement touchées par des événements perturbateurs qui sont venus ralentir, voire arrêter leur progression : menace terroriste, crises migratoires, catastrophes écologiques, crises sanitaires, etc. La finance mondiale, évaluée à près de 400 000 milliards de dollars, fait face à de nouveaux types de risques que la réglementation ne suffit pas à prévenir ni à gérer.
Notre modèle de développement nous expose potentiellement à de futures crises sanitaires et environnementales destructrices des équilibres actuels. Loin de tout parti pris idéologique, on peut affirmer que l’avenir de la planète et de l’humanité est mis en péril. En raison de son rôle et de son poids majeur dans l’économie, le secteur financier porte une responsabilité sociale et environnementale. Il n’a donc pas d’autre choix que de se réformer et changer de paradigme pour contribuer plus fortement à la transition sociétale.
"Back to business as usual ?"
Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les tendances sur les marchés mondiaux ont révélé une remise en question de plusieurs principes d'analyse boursière tandis que certaines bourses ont atteint des records historiques et que les opérations de fusions-acquisitions ont bénéficié d’un effet rebond. Les investisseurs se sont montrés confiants quant à la reprise économique en raison de l’annonce de nombreux plans de relance. Un retour à la normale concernant nos façons de produire, consommer et créer des richesses est-il souhaitable ? Par ailleurs, est-il utile de rappeler que la crise sanitaire a souligné les dysfonctionnements de nos sociétés et accentué les inégalités ? Selon les estimations de l’OIT en mars 2020, le chômage mondial pourrait augmenter de 5,3 millions à 24,7 millions, en fonction des hypothèses retenues, sur une base estimée de 190 millions de chômeurs dans le monde, et, selon les Nations Unies, un demi-milliard d’individus, soit 8 % de la population mondiale, pourraient basculer dans la pauvreté suite à la pandémie.
Transformer les états d’esprit et pratiques du secteur financier, un impératif !
On ne peut que se féliciter du foisonnement, tant au plan français qu’international, de déclarations, chartes et accords en tous genres engageant les acteurs financiers à changer de posture, réorienter leurs investissements, modifier leurs outils et méthodes de gestion, systèmes expert, règles de gouvernance pour une implication accrue dans la transition écologique et sociale. Ces initiatives relevant de la soft law participent à la refondation de la finance et la dynamique du mouvement vers une finance responsable. Cependant, le rythme du changement est de toute évidence trop lent face à l’ampleur des enjeux de justice sociale, de progrès humain et de protection de l’environnement.
Beaucoup utilisent l’art de la rhétorique, c’est-à-dire l’art de convaincre, pour changer le statu quo et l’incantation pour faire bouger les lignes. Hélas, ces méthodes s’avèrent souvent peu efficaces quand il s’agit de modifier durablement les comportements et d’instaurer de nouvelles pratiques. Imposer est vain, faire comprendre insuffisant. La transformation du secteur financier est une démarche que les acteurs eux-mêmes doivent s’approprier. Or, on sait la résistance au changement. Sensibiliser, informer et mobiliser les professionnels déjà en poste est évidemment souhaitable. Mieux former les futurs décideurs du secteur financier est indéniablement une action à accélérer.
Et si la finance responsable s’apprenait à l’école ?
Les acteurs financiers portent une responsabilité singulière, celle de remettre la finance au service de l’économie réelle. Concrètement, l’affirmation d’une finance d’utilité sociale et environnementale doit passer par la généralisation de l’investissement socialement responsable, le renforcement des financements destinés à des solutions de la transition sociale et écologique, la promotion de produits de placement solidaires et une éthique des affaires renouvelée.
Pour répondre à cette exigence, des formations en finance responsable et durable ont vu le jour. Leurs objectifs ? Former des professionnels à la maîtrise de méthodologies d’analyse financière intégrant des enjeux ESG, les équiper d’outils de gestion de risques extra-financiers tout en les sensibilisant à la performance et sa mesure. Des Mastères, des MBA ou encore des chaires d’enseignement et de recherche spécialisés en finance responsable proposent une transmission des savoirs autour de pédagogies innovantes permettant aux étudiants d’intégrer de nouvelles approches en matière d’analyse financière, de financement et de gestion de portefeuilles.
Parmi les formations les plus audacieuses et pionnières, certaines mettent l’accent sur les soft skills, à savoir les compétences personnelles, habiletés et qualités humaines, tandis que d’autres misent sur la pleine conscience. Ces formations font le pari qu’être à l’écoute de soi et du monde permet de mieux appréhender la réalité et de prendre des décisions plus éclairées. Au-delà de l’acquisition de techniques, ces programmes d’apprentissage invitent les étudiants à une meilleure prise en considération du rapport à l’homme et à l’environnement dans les décisions d’investissement. De façon indirecte, ces formations contribuent également à faire évoluer les systèmes de reconnaissance, de récompense et de motivation au sein des établissements financiers.
Ce qui dépend de nous…
Certains observateurs parient sur le fait que la crise sanitaire que nous traversons est un point de bascule pour mettre fin au capitalisme. À l’opposé, les partisans du "c’était mieux avant !" tablent sur un rebond en "V" de l'économie mondiale. Au-delà des pronostics, posons-nous les bonnes questions. Quels choix collectifs souhaitons-nous réaliser ? Quelle société voulons-nous pour demain ? Le monde d’après qui fait l’objet de nombreux débats s’articulera-t-il de façon binaire ? Liberté ou sécurité ? Sens ou matérialisme ? Engagement ou laissez-faire ? Les acteurs qui font la finance ont le devoir de proposer des alternatives de concert avec les acteurs de la société civile.
Chacun en conscience peut décider de faire sa part, à son niveau, avec ses talents, pour améliorer l’état du monde. Le levier à agir ne doit pas résider dans une quelconque injonction moralisatrice mais dans une force intérieure - spirituelle oserai-je dire - qui encourage chacun à ouvrir l’avenir et le champ des possibles.
En conclusion, citons David Graeber, anthropologue et économiste, récemment disparu : "quand on supprime tout ce qui n’a pas de sens, ce que nous appelons l’économie, la "vraie" économie, c’est juste la façon dont nous prenons soin les uns des autres".
26/09/2020