La défiance, une pathologie française ?

07/01/2022 - 4 min. de lecture

La défiance, une pathologie française ? - Cercle K2

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Vincent Lavaux est Directeur des Ressources Humaines à Houston, États-Unis.

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Au cours d’une récente réunion sur le télétravail, un participant soulevait la question de l’incompatibilité du télétravail avec le statut salarié au forfait horaire, au motif de l’impossibilité de contrôler les heures supplémentaires. Si selon l’adage de Lénine, la confiance n’exclut pas le contrôle, peut-elle néanmoins se passer totalement de contrôle ? Cet exemple est révélateur d’une propension à faire peser des contraintes sur l’ensemble d’un groupe afin de contrôler une minorité, potentiellement mal intentionnée. Plus globalement, il pose la question de la confiance, élément essentiel de toute collaboration individuelle ou institutionnelle. 

Depuis Thomas Hobbes, et son célèbre "l’homme est un loup pour l’homme", il est permis de douter des bonnes intentions de nos semblables. On se méfie du marché et du libéralisme qui portent à eux deux tous les ingrédients de l’injustice et de tous les drames sociaux. La logique malthusienne nous rappelle que tout gain se compense par une perte, le bonheur des uns faisant alors le malheur des autres.

La défiance s’exerce envers les gouvernements et leur agenda caché, jusqu’à perquisitionner un ancien premier ministre qui aurait probablement des choses à dissimuler au sujet de la lutte contre un nouveau virus. Elle s’exerce envers la science et les chercheurs coupables de ne pas trouver assez vite ou au contraire d’innover et de faire peser des risques inconsidérés par cupidité et inconscience. Méfiance de l’étranger, qui viendrait mettre en danger notre identité et capter l’argent du contribuable. Les exemples sont légion. 

La méfiance est donc largement répandue dans toutes les strates d’une société bridée par l’aversion au risque, voire paralysée par le principe de précaution. Les acteurs se toisent en cherchant le loup. Secteurs publics et privés sont au mieux hésitants avant de coopérer, les partenaires sociaux anticipent le conflit, le pouvoir local pointe du doigt le pouvoir central, les générations se comparent… Qui plus est, le biais de confirmation déforme notre vision en ne sélectionnant que les éléments qui viennent renforcer le postulat de départ. Notre attention se porte volontiers sur les emplois détruits, les conflits, le migrant délinquant, l’accident industriel, en omettant les emplois créés, les accords d’entreprise ou l’ascenseur social. Ce qui relève a priori d’une bonne nouvelle fait rapidement lever un sourcil suspicieux. 

Les conséquences de nos a priori sont loin d’être négligeables. La défiance fortifie les organisations en silos enfermant chacun dans son domaine de compétence, ignorant, volontairement ou non, ce que l’approche systémique et pluridisciplinaire apporte à la résolution de problèmes. Comment imaginer répondre aux grands défis, et en premier lieu celui de la transition énergétique, sans de solides partenariats public / privé, sans collaboration entre grandes sociétés ayant les moyens d’investir et des structures plus petites, agiles et innovantes ? Dans ce domaine, la simple évocation des sociétés du CAC 40 génère le scepticisme.  

La défiance institutionnalisée a également pour conséquence l’inflation normative. Le contrôle se nourrit de règles, de procédures et d’audits. À cet égard, la bureaucratie n’est pas l’apanage des gouvernements. Les grandes sociétés ont développé une expertise poussée dans l’art de créer des procédures baroques bien souvent aussi lourdes qu’inutiles. Pourtant, le principe de subsidiarité est souvent mis en avant dans les discours sans traduction visible dans la réalité. La décentralisation administrative ou le management participatif restent bien souvent à l’état de projet. Le dialogue social est fréquemment vidé de son contenu, chaque partie jouant un rôle dans une pièce dont l’issue est connue d’avance, avec la puissance publique dans le rôle d’arbitre. Parvenir à un consensus ou des solutions gagnant / gagnant reste suspect.  

Ce constat d’une défiance généralisée appelle deux questions. La première est celle d’une spécificité française. La défiance n’est certainement pas une pathologie qui s’arrêterait aux frontières de l’hexagone. Pour vivre aux États-Unis, pays marqué par la ségrégation et où circulent librement les armes, je peux en témoigner. La différence, ici, réside néanmoins dans une approche plus pragmatique permettant de véritables partenariats entre acteurs de différents horizons, notamment entreprises et universités. 

Le seconde question touche à la tendance : la défiance est-elle plus forte aujourd’hui qu’hier ? Cette question complexe mériterait de convoquer sociologues, historiens et des instruments de mesure fiables dans le temps et dans l’espace. Nous pouvons néanmoins faire le constat de la dégradation du débat public, de la montée en puissance des thèses complotistes, la crise des gilets jaunes… autant d’exemples d’une société grippée par une défiance grandissante à l’égard des institutions. En parallèle, l’inflation normative traduit une défiance structurelle à l’égard du monde de l’entreprise, suspects de maximiser le profit avant toute considération éthique. De la multinationale au petit artisan, les formulaires Cerfa pleuvent. 

Dans ce contexte, il revient à chacun de s’interroger sur le juste équilibre entre le contrôle nécessaire pour assurer le bien commun et la confiance dans la responsabilité individuelle. Certaines situations, comme la lutte contre le terrorisme ou la régulation des flux financiers, imposent des contrôles stricts. Il est pourtant nécessaire d’évaluer continuellement les conséquences que font peser ces règles contraignantes sur l’ensemble d’un groupe. 

Ainsi, à l’issue de cette réunion, chacun convenait que les bénéfices du télétravail pour l’ensemble des salariés restent largement supérieurs au coût potentiel d’une minorité qui déclarerait de fausses heures supplémentaires, mais aussi et surtout que la confiance dans la responsabilité individuelle est un message bien plus porteur et motivant que le contrôle et la suspicion. 

Vincent Lavaux

07/01/2022

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