Jeunisme et âgisme - Développer la coopération intergénérationnelle

09/05/2022 - 11 min. de lecture

Jeunisme et âgisme - Développer la coopération intergénérationnelle - Cercle K2

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Marc Carré est Consultant indépendant en sécurité d'entreprise et intelligence économique et Professeur à l'École d'ingénieurs EPF.

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Depuis la nuit des temps, les relations entre les générations sont souvent houleuses pour des raisons inoxydables. Alors pour aborder cette problématique, très sensible en 2022, énonçons quelques axes de réflexion :

  • Les individus jeunes sont-ils plus performants que les individus âgés dans le monde professionnel ?
  • La jeunesse est-elle un gage de réussite ?
  • Peut-on être soit jeune mais vieux, soit âgé mais jeune ?
  • La coopération entre junior et senior est-elle possible ou, au mieux, souhaitable ?

Les conflits humains résultent d’incompréhensions entre les mondes qui ne savent pas ou qui ne veulent pas communiquer. Mais comment lutter contre ces cloisons perçues comme infranchissables et/ou inflammables ? 

Deux notions sociologiques assez proches, l’intergénérationnel et le transgénérationnel , peuvent étayer notre démarche :

  • L’intergénérationnel décrit les interactions ou les échanges, positifs ou négatifs, qui peuvent se dérouler entre des individus qui appartiennent à des générations différentes.
  • Le transgénérationnel est la transmission d’un héritage venant de générations lointaines. 

Après avoir tenté de démystifier le jeunisme et l’âgisme, nous rappellerons la typologie des différentes générations constituant notre société actuelle et nous proposerons quelques idées permettant d’envisager une meilleure coopération intergénérationnelle. 

 

1. L’âgisme versus le jeunisme 

L’âgisme, serait-il une forme de discrimination liées à l’âge ? Actuellement, on voit de plus en plus de seniors en pleine forme, s’occuper d’associations, militer pour des projets ou faire du sport. Il ne faut surtout pas imaginer que les "vieux" sont tous conservateurs et sclérosés car ils sont dynamiques et plein d’entrain. L’âgisme est une notion à prendre en considération autant que le sexisme ou le racisme. 

À l’opposé de l’âgisme, le jeunisme correspond à la volonté de rester jeune ("vieillir n’est pas bien !") ; ce culte de la jeunesse et du "zéro défaut" sous-tend naturellement l’engouement actuel pour la chirurgie esthétique ou les logiciels de stimulation permettant de limiter le vieillissement du cerveau. Les médias vantent les mérites de produits apportant, a priori, une seconde jeunesse et ils espèrent convaincre que l'apparence demeure primordiale dans le monde actuel. Le paraitre serait-il supérieur à l’être ? L’extérieur serait-il plus rassurant que l’intérieur ?

L’âgisme constitue une discrimination portée par des préjugés et des stéréotypes à propos des personnes âgées (louer une voiture ou de contracter un prêt bancaire après 70 ans, de trouver un emploi ou une formation). À cela s’ajoutent des idées non fondées qui font croire que les "vieux" coûtent trop cher à la société ou encore présupposer qu’ils sont mauvais en informatique et réfractaires aux nouvelles technologies.

En effet, une personne experte dans son domaine coûtera forcément plus cher qu’une personne moins expérimentée mais l’expérience ne s’acquiert qu’au fil des années passées à travailler, donc avec une concaténation d’années de vie... L’expérience est comparable à la stalagmite qui monte grâce aux gouttes d’eau qui tombent régulièrement au fil des jours écoulés.

Soulignons positivement que les personnes âgées peuvent être associées aux notions de sagesse, de patience, d’expérience, de transmission, de partage actif de valeurs (vision positive du vieillissement).

Une qualité première de l’âgisme est l’existence d’un réseau relationnel qui sera toujours un atout pour évoluer dans les vies professionnelle et personnelle. L’entretien et le développement de son réseau relationnel ne sont possibles que par l’ouverture aux autres, la rencontre de nouvelles personnes, tout en se créant de nouvelles opportunités, mais en sachant se remettre en question sans occulter ses axes de progression.

Deux discriminations liées à l’âgisme, se retrouvent dans le monde de l’emploi, l’une avec des moins de trente ans jugés "trop jeunes", et l’autre avec les cinquantenaires jugés "trop vieux". Ces préjugés expriment deux autres formes de l’âgisme : 

  • le "jeunisme" qui estime que les jeunes sont plus aimables et possèdent plus de qualités que les vieux ;
  • le "gérontocratisme" dont le principe est que les vieux sont plus qualifiés que les jeunes pour occuper le pouvoir.

Nous pouvons préciser que les personnes jeunes, n’ayant pas ou peu d’expérience professionnelle, sont en principe plus adaptables et avides d’apprendre que les personnes âgées qui ont acquis un maximum de réflexes conditionnés et d’habitudes, parfois inhibant toute remise en question. Mais cette remarque ne doit pas surtout être un postulat car elle peut être inversée en soulignant qu’un junior débutant croit tout savoir et veut tout réformer alors qu’un senior expérimenté a appris à dominer les problématiques complexes. 

 

2. Typologie des différentes générations

Pour espérer pouvoir vivre avec des personnes de générations différentes, il faut comprendre leurs dissemblances pour savoir décoder intelligemment les mondes distincts. 

La "génération" peut être caractérisée sous quatre angles d’approche :

  • Une génération sociale est un concept sociologique caractérisant une sous-population ayant de nombreux points en commun : contextes social et historique identiques, mêmes pratiques, goûts et représentations.
  • Chaque génération se distingue des autres par les influences qu’elle a reçues et le contexte dans lequel elle a été façonnée, créant un "style et un mode de fonctionnement propre", considéré comme leur ADN.
  • La durée d’une génération sociale est de l’ordre de 15 à 25 ans, proche de celle d’une génération humaine, et cela correspond au cycle de renouvellement d’une population adulte apte à se reproduire.
  • Le fonctionnement de chaque génération est à mettre en parallèle avec les évolutions technologiques (avènement d'internet, logiciels performants, smartphones, itinérance, etc.) et les changements sociaux associés.

Depuis la deuxième guerre mondiale, 5 générations sont identifiables macroscopiquement  :

  • La génération des babyboomers ciblant les personnes nées entre 1945 et 1965 (plus de 20 % de la population mondiale) :
    • Génération privilégiée qui a connu la paix, la prospérité, le plein emploi et la croyance dans le progrès pendant les Trente Glorieuses (de 1945 à 1973).
    • Loyaux envers l’entreprise et la hiérarchie, ils ont profondément modifié le modèle socio-économique et le système de valeurs fataliste et conventionnel de la génération précédente, la génération silencieuse.
    • Très ouverte sur le monde, impliquée dans les grandes luttes idéologiques (1968), cette génération va paradoxalement favoriser l’émergence de l’individualisme et le développement personnel ; la société de consommation est devenue modèle de société.
    • Les baby-boomers, ne se résignant pas au vieillissement, sont actifs, avides de loisirs, de voyages et de sport. Voyant la retraite comme porteuse d’opportunités, ils se sentent jeunes, se soucient de leur apparence et tiennent à leur liberté.
  • La génération X désigne les individus nés entre 1965 et 1980 :
    • En raison de l’ancienneté, c’est celle qui tient aujourd’hui les manettes de l’entreprise et du monde du travail en général, tout en subissant la crise de l’emploi.
    • Cette génération est décrite comme respectueuse des règles et de la hiérarchie et se montre fidèle à l’entreprise qui l’emploie (les individus ne connaissent que quelques entreprises dans leur carrière).
    • Cette génération est plus expérimentée et a un sens plus développé de l’autorité, et cela même si elle n’aime pas toujours le travail qu’elle fait.
    • Elle attache une grande importance à l’articulation vie privée/vie professionnelle tout en conservant un grand attrait pour la liberté.
  • La génération Y regroupe les individus nés entre 1980 et 1995 :
    • Présentant des traits de caractère très affirmés, le travail, pour cette génération, doit rimer avant tout avec plaisir, épanouissement et individualisme.
    • Cette génération est marquée, en filigrane, par l’instabilité de l’emploi, les mutations technologiques, la mondialisation et la globalisation.
    • Fuyant la routine, recherchant des activités stimulantes les Y veulent tout faire plus vite et réclament plus de responsabilités mais ne sont pas toujours faciles à cerner par leur entourage.
    • Dans cette génération, on souligne une impatience et un rejet de la hiérarchie.
    • Nés à l’ère de la digitalisation, les individus Y sont plus à l’aise avec les nouvelles technologies.
    • Le Y représenterait symboliquement les fils des écouteurs toujours insérés dans les oreilles.
  • La génération Z est celle des individus nés entre 1996 et 2010 :
    • Ils ne sont pas encore tous entrés dans le monde du travail et découvrent le monde professionnel dans un contexte de crise économique et financière. Le fort esprit entrepreneurial est très marqué.
    • Ils sont nés avec des technologies matures et n’ont jamais connu un monde sans réseau, et cette génération est d’ailleurs surnommée "génération du pouce" en référence à l’usage ininterrompu du smartphone. Elle se caractérise par un manque de concentration lié à l’usage des réseaux sociaux (contenus courts et éphémères) et "Google" – du nouveau verbe googler – dès qu’elle se pose une question ou fait face à un problème.
    • Ils sont en train de changer la manière de travailler, de voyager, d’apprendre, de consommer… Ils balaient les hiérarchies et les prérequis.
    • Ils recherchent la flexibilité au travail pour concilier vie privée/vie professionnelle.
    • Serait-ce la génération Zorro qui veut révolutionner le monde ?
  • La génération A (Alpha) regroupe les individus nés après 2010 :
    • Cette génération sera la plus instruite, la plus connectée et s’initiera à une foule de choses dès le plus jeune âge.
    • La plus matériellement riche et la mieux informée sur le plan technologique, elle sera façonnée par l’expérience de l’intelligence artificielle.

Après cet énoncé des 5 générations, quelques commentaires transverses peuvent être ajoutés pour approfondir cette connaissance intergénérationnelle. 

  • Pour les plus jeunes :
    • Les nouvelles générations (Y et Z) recherchent avant tout la nouveauté, en changeant fréquemment de poste, d'employeur ou de région. La notion de groupe est essentielle, avec une envie de collaborer au sein d'une équipe. Le travail se veut être un outil de socialisation, dans le but de connaître d'autres personnes et de se faire des amis.
    • Le développement personnel occupe une place très importante chez les jeunes (opportunité de formation, travail à l'étranger…). Paradoxalement, ces derniers rechignent à faire des sacrifices en termes d'horaires, en préférant le plus souvent un "job 9-5", afin de conserver du temps pour d’autres occupations.
    • Les Y et les Z sont majoritairement plus habiles avec un smartphone que leurs aînés.
    • Les générations Y et Z contesteraient davantage l’autorité et les organisations traditionnelles, comme beaucoup de jeunes l’ont fait à chaque époque…
  • Pour les plus anciens :
    • Les baby-boomers et la génération X sont les plus engagés dans leur poste et se sentent concernés par l’entreprise ou le client pour lesquels ils travaillent.
    • L'honnêteté est une valeur forte pour eux, tout comme la notion de respect. Ils ne comptent pas leurs heures, habitués à être jugés sur les résultats.
    • Par ailleurs, le stress de la hiérarchie est bien moins important que celui de l'utilisation des nouvelles technologies…

 

3. Quelques règles simples pour réussir au mieux l’intergénérationnel

Pour obtenir une coopération constructive dans notre société, il faut se fixer 3 objectifs : 

  1. L’intégration des nouvelles générations
  2. La gestion et le transfert des compétences entre les générations
  3. La mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise.

En pensant aux caractéristiques humaines liées au jeunisme et l’âgisme ou/et aux traits de caractères inhérents au senior et au junior devant coopérer, énonçons quelques règles triviales et de bon sens que l’on peut classer en 4 familles interdépendantes.

 

A. Le paraître : penser à son extérieur 

  1. Développer impérativement l’enthousiasme car c’est la base du succès d’une entente réussie entre les différentes générations. L’exaltation n’a pas d’âge et demeure un minerai inépuisable pour nourrir une vie de bonheur.
  2. Cesser de fixer son regard sur le calendrier qui avance, mathématiquement, tous les ans d’une année sans acter des changements effectifs. Les chiffres croissants ne font que prouver que le temps passe vite, sans jamais offrir la possibilité de remonter le temps. La vie est un film, à savoir une succession de photos figées.
  3. Entretenir, par la gymnastique, la souplesse du corps et l’esprit pour éviter de se scléroser et de se nécroser. La flexibilité demeure une grande qualité des personnes qui veulent évoluer, sans limite, en refusant de devenir psychorigides.

 

B. La communication : pour échanger avec les autres 

  1. Veiller à la communication par les mots car c’est la base des échanges et la cause des incompréhensions… Le choix des mots intégrant un peu l’ADN générationnel, la richesse du vocabulaire, la structure des phrases permettent d’échanger sans hiatus, sans ambiguïté lorsque la simplicité est recherchée. À quoi cela sert-il de s’enfermer dans un vocabulaire abscons que, seul, l’émetteur comprendra !
  2. Penser à la communication comportementale qui permet d’émettre de nombreux messages en filigrane. Le sourire, l’attitude, l’utilisation du PC et/ou du smartphone, le regard, la bise et/ou la poignée de main sont rapidement décodés dans l’entourage.
  3. Faire le premier pas vers l’autre montre l’envie de coopérer avec l’autre qui peut être un inconnu. Mais, souvent, par peur de faire apparaître ses faiblesses, le choix consiste à s’enfermer, par facilité, dans sa bulle protectrice n’étant souvent qu’illusoire .

 

C. Le comportemental: pour séduire l’entourage 

  1. Fuir le syndrome de l’instinct de supériorité présent chez les individus qui prétendent tout savoir mais qui souvent cachent leur ignorance en affichant leur pseudo excellence. L’excès de confiance en soi n’est jamais bénéfique car dans tout individu rencontré il existe obligatoirement des niches d’excellence.
  2. Savoir rassurer et accompagner les non sachants et ceux qui ont soif d’apprendre. Pour transmettre son savoir, il faut savoir susciter l’adhésion des autres sans les abaisser ou leur montrer leur ignorance.
  3. Fuir le radotage qui montre que "le disque de l’expérience est rayé car on reste sur le même sillon" et cela rend sourd les personnes environnantes.

 

D. La coopération : pour travailler ensemble 

  1. Veiller au métissage des générations pour faciliter les osmoses des idées. 
  2. Organiser des moments de convivialité, sans objectif professionnel, afin de casser les cloisons.
  3. Établir les modes de tutorat des juniors par des seniors expérimentés, et surtout bienveillants.
  4. Répartir judicieusement les responsabilités dans l’intérêt des projets et, avec comme autre objectif, de mettre sur les rails les profils ayant un potentiel de carrière.

En conclusion, il ressort que la volonté de convergence et de partage des générations sera indispensable pour réussir cette coopération intergénérationnelle. Les niveaux différents d’expériences constituent des leviers de performance et des atouts favorables pour valoriser les travaux des équipes et transmettre les savoirs. Ne pas oublier que les clivages générationnels ne pourront que nuire à l’intelligence collective incontournable dans notre monde du 21ème siècle.

L’avantage indéniable des seniors est qu’ils ont déjà vu des "films professionnels" et qu’ils peuvent aider les juniors à anticiper en leur indiquant ce qui pourrait se passer après. La coopération intergénérationnelle sera d’autant plus facile que les individus jeunes et les individus âgés oublient partiellement ce qu’ils étaient, pour montrer ce qu’ils veulent devenir au sein de l’équipe intergénérationnelle intégrée. 

L’intelligence humaine, le respect humain, l’adaptabilité et la communication, dans un climat d’humilité réciproque, seront les clefs du succès de l’intergénérationnel.

Marc Carré

09/05/2022

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