[Groupe K2] L'imagerie mentale

23/04/2022 - 8 min. de lecture

[Groupe K2] L'imagerie mentale - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Aymeric Guillot est Professeur des universités à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches portent notamment sur l’effet de l’imagerie motrice sur la performance et la réhabilitation. 

---

Vous travaillez depuis plus de 15 ans sur la représentation mentale. En quoi consistent vos travaux ?

Mes travaux consistent, dans un premier temps, à essayer de comprendre en quoi consiste le fait de représenter un mouvement, c’est-à-dire une séquence motrice, et ce que cette séquence va engager du point de vue de l’activité cérébrale dans le système nerveux, c’est-à-dire quel substrat neuronal va être à l’origine de ce travail et quelle plasticité cérébrale est induite par ce travail. Cette approche est dite fondamentale.

Parallèlement à cette approche, il y a un volet que je qualifie de plus appliqué, qui va consister à essayer de déterminer les principales règles de pratique ou les consignes à respecter pour que ce travail de représentation mentale soit efficace.

Pour cela, il faut identifier l’objectif et la direction que prend le travail mental, car il y a plusieurs orientations possibles.

Ensuite, il est indispensable d’essayer de comprendre les meilleures manières de pratiquer la représentation mentale pour la mettre au service de la performance, soit pour préparer l’individu, soit pour améliorer directement la séquence motrice (le geste technique par exemple), soit pour récupérer d’une blessure et retrouver plus facilement les fonctions motrices. Il faut donc essayer de comprendre, à chaque fois, quelles sont les conditions optimales de l’entraînement permettant au sportif d’être le plus efficace possible.

 

Les termes "représentation mentale" et "imagerie mentale" sont souvent utilisées indifféremment. Confirmez-vous que ces deux concepts sont identiques ?

Oui, ces concepts sont identiques, ont la même définition. Cependant, quand on utilise la notion d’imagerie mentale, on a tendance à cibler uniquement l’aspect visualisation, alors que la représentation d’un mouvement recouvre également la perception de l’aspect tactile, la perception ses sensations, l’aspect émotionnel, etc. La représentation est plus large que le simple aspect de visualisation, donc peut être que le terme de "représentation mentale" permet de mieux englober l’ensemble des notions qu’elle recouvre.

 

Comment définiriez-vous la représentation mentale ?

La représentation mentale est la représentation simulée, donc évoquée mentalement, d’un geste ou d’une séquence motrice. Elle consiste à demander à la personne concernée de refaire mentalement, donc de pratiquer une simulation motrice du mouvement comme si elle se préparait à agir et à effectuer ce mouvement réellement. Elle va se mettre dans les contions du mouvement, comme si elle allait le réaliser, mais le travail de représentation mentale ne va pas déboucher sur l’exécution réelle du comportement. On retrouvera cependant une forte équivalence neuronale, ce qu’on appelle une équivalence neuro-fonctionnelle.

 

Dans quelles situations un travail de représentation mentale peut-il être réalisé ?

La représentation mentale se retrouve dans toutes les situations de la vie quotidienne. Nous faisons tous une forme de simulation mentale ou de réévocation mentale dans des conditions et des situations différentes. À chaque fois que nous réévoquons, que nous nous remémorons un souvenir, nous faisons une forme de représentation mentale de ce qu’il s’est passé, nous revivons la scène. À chaque fois que nous nous projetons sur un évènement (entretien, compétition, etc.), nous faisons également une forme de représentation mentale, projetée vers l’avenir. 

Lorsqu’un individu regarde quelque chose, très souvent, cela va amorcer chez lui une manière de se représenter ce qu’il est en train d’observer, que ce soit pour imiter, juger, évaluer ou reconnaître. Il y a donc, dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, un travail de représentation mentale, sans que l’individu n’en ait conscience.

Ce que l’on cherche à faire, notamment chez les athlètes ou les musiciens, c’est de façonner, de structurer la manière de faire la plus précise et la plus pertinente possible, en évitant les erreurs, et de la rendre la plus efficace et la plus efficiente possible, pour la mettre au service de la performance.

Finalement, chaque individu le fait spontanément, et le but des personnes recourant à la représentation mentale est d’apprendre à l’utiliser correctement, afin de la mettre au service de la performance.

Par exemple, s’agissant des sportifs, la représentation mentale peut être utilisée dans de nombreuses situations : se remémorer des situations, se projeter dans une compétition à venir, à répéter mentalement une séquence pour l’automatiser ou la corriger, à profiter d’une phase d’immobilisation ou de blessure, afin de pouvoir continuer à travailler mentalement, de se projeter sur un schéma tactique ou une situation de jeu particulière, par exemple.

 

Comment le travail mental dont vous parlez peut se réaliser ? Y a-t-il un entraînement spécifique à mettre en place pour que ce travail soit pleinement efficace ?

Oui, il faut avoir à l’esprit que le travail mental doit être rigoureusement planifié, contrôlé. Une manière de l’exprimer simplement est de dire que le travail par imagerie n’est pas un travail de l’imaginaire. Dès qu’on va se concentrer sur le mouvement, la technique gestuelle, les paramètres d’exécution et les processus moteurs qui permettent d’être efficace, il n’y a pas le droit à l’approximation et à l’imaginaire. C’est pour cela que, dans ces cas de figure, le travail doit être très rigoureux et respecter des règles de pratique précises. À défaut, le travail ne sera pas efficace et pourrait même s’avérer contre-productif.

J’évoquais précédemment différentes orientations possibles données à la représentation mentale et, en fonction de ces orientations, les règles de pratiques varient.

Si le travail porte sur la confiance ou les émotions, il y aura moins de règles à respecter. Cela ne voudra pas dire que le travail sera moins précis, mais qu’il y aura une marge de manœuvre plus importante pour rester dans des critères de la visualisation de la réussite.

En revanche, dès qu’on va travailler sur des schémas techniques ou la technique gestuelle, il va falloir être le plus fidèle possible par rapport à la réalité et il n’y aura pas de droit à l’approximation car, dès que l’on va introduire des modifications sur l’exécution du mouvement, il y a un risque de modification de l’exécution réelle du mouvement, mais sans que cela soit pertinent ou intéressant du point de vue de la pratique, car il peut y avoir des effets contre-intuitifs.

Il faut vraiment avoir à l’esprit que le travail mental doit respecter des règles et ne doit pas être un travail d’imaginaire et de visualisation de ce que l’on aimerait, dans l’absolu, voir se réaliser.

 

Chaque individu possède-t-il les mêmes capacités face au travail de représentation mentale ?

Il y a de fortes différentes inter-individuelles. Il y a des sportifs qui naturellement réussissent très bien à effectuer ce travail et d’autres qui sont plus en difficulté sur la manière de se représenter le mouvement.

En revanche, on réussit assez rapidement et facilement, soit par la pratique, soit par des exercices éducatifs, à développer ces compétences et à réhomogénéiser le niveau de pratique.

Par exemple, pour faire un parallèle avec le monde médical et l’introduction du travail mental, notamment chez les personnes blessées ou victimes d’incapacité motrice, souvent, on cherche à identifier l’éligibilité de ces personnes, c’est-à-dire celles susceptibles d’en tirer les plus grands bénéfices. Nous procédons à des évaluations du niveau d’imagerie, ce qui revient à exclure des personnes sur le fondement des résultats obtenus lors des tests. 

Or, nous nous rendons compte qu’en une ou deux séances de familiarisation, nous réussissons à combler le déficit mis en lumière par les tests initiaux et que ces personnes ont alors tout autant de bénéfice à tirer du travail mental, dès lors qu’elles se sont familiarisées avec ce travail.

 

Quel type de population a le plus majoritairement recours au travail de représentation mentale ?

Je dirai les sportifs et les musiciens qui intègrent ce travail, pour la majorité, de manière routinière, régulière et de plus en plus structurée dans leur pratique car ils sont amenés à façonner véritablement le geste et la réalisation du mouvement. 

Outre ces deux exemples, on retrouve ce travail dans différents domaines, dans le monde médical avec les chirurgiens soumis à une gestuelle extrêmement précise et rigoureuse, mais également en entreprise avec la gestion du stress, la prise de parole en public, etc. 

Je dirai donc que nous retrouvons un panel d’utilisation, susceptible de pouvoir toucher quasiment tout le monde, probablement pour des raisons différentes.

 

Y a-t-il une évolution en France du travail de représentation mentale au cours de la dernière décennie et existe-t-il des pays que nous pourrions définir d’avant-gardistes s’agissant du recours à la représentation mentale ?

Il y a un France une utilisation de plus en plus fréquente de la représentation mentale. Elle se diversifie, se structure et est utilisée dans de plus en plus de disciplines. Bien sûr, il y a des différences entre les domaines d’activités et notamment en fonction du type d’habiletés (ouverte ou fermée), mais ce travail se développe réellement.

Dans certains pays, cet essor a débuté il y a déjà plusieurs années. Je pense notamment aux États-Unis, au Canada, à l’Australie et à certains pays d’Europe du Nord. La représentation mentale est mieux intégrée dans les consciences et dans les pratiques car ces pays ont donné plus de moyens à cette activité pour qu’elle se développe et qu’elle fasse ses preuves, ce qui leur permet d’avoir un temps d’avance.

 

Comment adapter le travail mental en fonction de l’activité (habileté ouverte / habileté fermée) ?

L’habileté fermée a l’avantage de restreindre les conditions de pratiques, car il y a très peu d’incertitudes évènementielle, temporelle et spatiale, donc le sportif est amené à essayer de reproduire le plus fidèlement possible une séquence.

Comme il a essentiellement cette séquence à répéter, cela le conditionne encore davantage, cela resserre l’efficience de la pratique et le prépare de la meilleure manière possible à la performance.

S’agissant des habiletés ouvertes, il y a plus d’incertitudes, nous sommes confrontés à des situations variables et qui ne peuvent être anticipées, donc le travail mental ne sera pas toujours transférable en termes de bénéfices, et il faut envisager une diversité de pratique afin de progresser grâce à un travail mental. Cela veut dire qu’il est nécessaire de faire des choix : il y a prise en compte des adversaires, des partenaires, des incertitudes de ces personnes et des conséquences de ces incertitudes. Il est plus complexe de se conditionner et il y a plus de risques à se conditionner à une situation précise.

C’est pour cela que, très souvent, dans les activités à habiletés ouvertes, on travaille sur des situations qui sont assez fermées. 

Par exemple, dans un sport collectif, on a tendance à travailler sur des situations fermées, avec peu d’incertitudes (service au tennis, lancer franc au basket, etc.). Progressivement, on commence à s’intéresser à des situations plus ouvertes, ce qui nous fait conduit dans des schémas "technico-tactiques", mais la place qu’on va accorder à ce travail de préparation mentale et la manière de travailler varient énormément selon les activités.

Aymeric Guillot

 

Cet entretien s'inscrit dans le cadre des échanges menés par le Groupe K2 "préparation mentale pour tous" composé de :

Cristina Piccin est préparatrice mentale et sportive de Haut Niveau; Sylvain Callejon est Responsable de la Communication et du Marketing chez Allyteams ; Fanny Renou avocate et co-fondatrice de Allyteams; Charlotte Lapicque Secrétaire générale du Cercle K2; Reynald Lemaitre Conseiller en gestion de patrimoine chez Capfinances & Ancien footballeur professionnel ; Benjamin Nivet ancien footballeur professionnel ; Marilise Miquel Directrice des Opérations du Cercle K2 ; Christophe Massina  Responsable de l'Equipe de France féminine de Judo ; Edith Perreaut-Pierre Directrice associée de Coévolution ; Michel Verger Enseignant-chercheur et Préparateur mental ; Fabien Siguier Vice-Président Exécutif Ressources Humaines et Transformation au sein du Groupe Adisseo; Ronny Turiaf Ancien joueur professionnel de basket-ball. Champion de NBA avec le Heat de Miami

---

TELECHARGER LE RAPPORT

---

 

23/04/2022

Last publications