La technique comme Pharmakon : lutte contre la fraude fiscale, blockchain et intelligence artificielle

22/05/2025 - 2 min. de lecture

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Julien Briot-Hadar est expert en compliance, écrivain, directeur de master et conférencier.

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Le philosophe Bernard Stiegler a brillamment associé la technique au concept grec de pharmakon, un terme riche de paradoxes, signifiant à la fois remède et poison. Cette double nature, qui trouve ses racines dans les dialogues de Platon, a été magistralement mise en lumière par Jacques Derrida, figure majeure de la philosophie contemporaine. En grec ancien, le pharmakon, qui a donné naissance au mot "pharmacie", désignait autant le médicament qui soigne que le poison qui détruit. Tout repose sur l’usage : intention, dosage et contexte, des notions qui résonnent également dans le terme anglais "drugs", englobant médicaments salvateurs et substances destructrices.

La technique, en tant que pharmakon, oscille entre assistance et aliénation. Elle peut tour à tour libérer ou asservir, sauver ou détruire, souvent à travers les mêmes outils. Cette ambivalence se reflète dans des enjeux tels que l’évasion fiscale, où des stratégies sophistiquées — élaborées par juristes, comptables ou banquiers — facilitent des transferts financiers douteux vers des paradis fiscaux. Parallèlement, les administrations fiscales mettent en œuvre des dispositifs de traque et de répression, illustrant un affrontement perpétuel entre innovation et régulation. Ce ballet de fraudeurs et de contrôleurs, évoquant un éternel jeu de chat et de souris, met en évidence le rôle central de la technique dans ce combat.

Dans un contexte de mondialisation capitaliste, les États eux-mêmes incarnent cette ambiguïté du pharmakon. Certains, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, ont activement favorisé l'émergence de paradis fiscaux en concluant des accords internationaux et en adoptant des lois permissives. Simultanément, ces mêmes États mobilisent des équipes pour traquer les fraudeurs et tenter de limiter les abus qu'ils ont contribué à légitimer. Comme l’a souligné Pierre Bourdieu, l’État agit avec une main droite qui détruit et une main gauche qui répare, mais reste irrémédiablement droitier.

Les scandales des Pandora Papers et des LuxLeaks ont mis en lumière des structures juridiques opaques qui, bien que légales en apparence, sapent les fondements des États de droit. En permettant l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et la corruption, ces mécanismes érodent les conventions internationales et fragilisent les démocraties.

Face à cette complexité, l’alliance entre intelligence artificielle et expertise humaine peut offrir une réponse innovante. Une première étape consisterait à exploiter la blockchain pour instaurer un registre numérique européen décentralisé, transparent et immuable, accessible aux administrations fiscales. Ce registre, géré par une organisation internationale indépendante, garantirait la fiabilité et la traçabilité des transactions, tout en favorisant une culture de transparence.

Bien que la blockchain présente des défis — notamment en termes de coût et de consommation énergétique — ses avantages, tels que la sécurité et la décentralisation, en font un outil puissant. Chaque transaction inscrite de manière permanente renforce la confiance et dissuade les comportements frauduleux.

La deuxième étape réside dans l’application du machine learning, capable de repérer des schémas complexes et de détecter des fraudes fiscales de manière prédictive. Contrairement aux approches traditionnelles, cette technologie apprend en continu et s’adapte aux évolutions, offrant une précision inégalée. L’intelligence artificielle devient alors un allié incontournable pour les administrations, leur permettant de naviguer dans un paysage fiscal de plus en plus sophistiqué.

Cependant, la réussite de ces initiatives repose sur une volonté politique affirmée. Comme le rappelle Hervé Saulinac, député, l’acceptation de ces outils modernes exige de surmonter certains préjugés. Pourtant, intégrer ces technologies au service public, c’est renforcer la gouvernance financière et offrir une réponse pertinente aux défis d’un monde en perpétuelle mutation.

Julien Briot Hadar

 

22/05/2025

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