Les chaînes d’infos en continu comme les réseaux sociaux nous interrogent sur les limites de la liberté d’expression

05/09/2021 - 5 min. de lecture

Les chaînes d’infos en continu comme les réseaux sociaux nous interrogent sur les limites de la liberté d’expression - Cercle K2

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Jean-Claude Javillier est Professeur de droit et ancien Directeur du Département des normes de l’Organisation Internationale du Travail, et Jean-Pierre Doly Psychosociologue, Professeur à l'ESCP Europe et au STAPS de Nanterre, Conseil en Management /RH dans l'entreprise et dans le sport et ancien DRH/DG (Renault - Danone).

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LES ANALYSES SOUVENT SUPERFICIELLES ET LES POLÉMIQUES À CHAUD ENTRAÎNENT UNE SORTE D’ÉGALITÉ DES PRISES DE POSITION ET DE LA RELATIVITÉ DE TOUTES LES OPINIONS.

Sont confondues raison et passions, connaissances et expériences qui deviennent apparemment équivalentes. N’importe qui peut dire n’importe quoi, et si le propos est totalitaire et menace les libertés et l’État de droit, qu’importe !  

Ne soyons pas dupes, il y a certes une demande de participation, d’expression directe, de libre débat.

Mais c’est  aussi la réponse à une demande et une offre politique et commerciale d’exprimer ses émotions et ses pulsions quitte à fabriquer du faux, du "fake", du "clash ". Des  pseudo experts, essayistes, influenceurs politiques, communicants, se livrent sans réserve aucune à des joutes oratoires dont les effets sociétaux peuvent être désastreux et destructeurs. En des temps où il est tant parlé et plaidé pour le durable, c'est bien l'éphémère qui l'emporte, et pas seulement pour les magasins.
 

VOULONS-NOUS UNE SOCIÉTÉ QUI PIÉTINE LES VALEURS ET PRINCIPES D’UN ÉTAT DE DROIT, TELS LE SECRET DE L’INSTRUCTION, LE PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE ET LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ?

Voulons-nous vraiment de cette société où tout se vaut, où toutes les paroles sont égales, où chacun peut s’autoriser à mettre en doute des avis ou discours autorisés, et même construits scientifiquement, où on doute de tout et de tout le monde et où on finit par ne plus croire ni en personne ni en rien !

Voulons-nous une société qui piétine les valeurs et principes d’un État de droit, tels le secret de l’instruction, le principe du contradictoire et la présomption d'innocence ?

Tout est livré en pâture, parfois sans vérification des sources, ni rigueur dans la citation. Les commentaires se substituent aux faits. La rigueur cède le pas à la passion et à la haine. Celles et ceux qui parlent tant du vivre ensemble ne mesurent pas la montée de la violence en tous lieux où presque.

Il n'est pas loin le temps où, lorsqu’il se passait quelque chose, chacune et chacun descendait dans la rue voir ce qu’il se passait et pouvait échanger et discuter. Dans les villages, on allait au bistrot. Aujourd’hui, tout le monde est averti par un message sur son téléphone, consulte Internet et les réseaux sociaux dont la violence et la haine sont d’une façon ou d’une autre devenues pratique quotidienne de toutes générations confondues.
 

L’INFORMATION EST DÉSORMAIS UN DIVERTISSEMENT ET LES COMMENTAIRES UN SPECTACLE !

On refait le match, l’info, on commente la petite phrase, la gaffe de tel ou telle. Tout cela est alimenté par des jeux de rôles, des débats, des duels, des combats oratoires, tous plus artificiels les uns que les autres. Il est bien rare que les points de vue soient contradictoires et mesurés : il faut du clivant, du tranché, du polémique, de l’incisif, du péremptoire, du brutal ! 

Point de place pour la bienveillance, la compassion, la discrétion, la mesure.
La haine, l’exclusion, la négation de l’autre vont de soi. Les chaînes d’infos en continu comme les réseaux sociaux sont des "bruits de fond" avec leurs fake news, insultes, violences car nous sommes dans un monde virtuel qui semble l’emporter sur le monde réel.

Tout devient binaire, accentué par la technologie (algorithmes, paradigme cybernétique). Je like ou pas. Les émoticônes symbolisent les humeurs, ressentis, réactions. Nul besoin d’argumentation. Quelle perte de temps que l’argument présenté, la confrontation organisée, la contradiction acceptée. Nous ne serions donc plus dans une société de la "palabre".

Il faut mobiliser les émotions, les humeurs, les pulsions et non la raison pour augmenter l’audience et donc les recettes publicitaires, gagner des électeurs et prendre le pouvoir. Les insultes et  polémiques sont relayées sur les réseaux sociaux sans filtres. Aucune modération n’est possible puisque justement les outrances, abus, exagérations, excès et polémiques augmentent le trafic ! Comme est pertinente l’observation de Christian Salmon : "la délibération raisonnée laisse la place à une libération de la transgression".
 

AU FINAL, N’EST-ON PAS FACE À UNE RÉGRESSION DE LA PENSÉE ET DES IDÉES PLUTÔT QU’UN PROGRÈS DÉMOCRATIQUE AUQUEL NOUS SOMMES CONVIÉS À MARCHE MÉDIATIQUE FORCÉE ?

Face à :

  • ces fourberies, mensonges, tromperies et autres pantalonnades,
  • face au vide des idées et projets,
  • face à l’absence de confrontations, de contradictions pourtant indispensables à une vraie coopération,

que faire quand il n’y a plus de cafés, d’agora, d’arbres à palabres, d’échanges entre collègues, amis, voisins ?

Bien évidemment, la présente pandémie et la crise sanitaire qui l'accompagne vont profondément marquer nos sociétés et aggraver cette situation sociétale dans les pays et nations démocratiques. Alors que l’on sait depuis la nuit des temps que l’échange, le partage, la discussion, l’argumentaire aident à réfléchir et encore que lorsque l’on a à gérer des doutes, des inquiétudes ou des angoisses, il est encore plus nécessaire de se nourrir de confrontations et de contradictions !
 

QUE FAIRE ? NE RIEN DIRE ET SURTOUT NE RIEN FAIRE LAISSERAIT LE CHAMP LIBRE À LA PENSÉE "DÉSINFORMÉE"

... ou pire une pensée unique donc extrémiste qui tôt ou tard nous conduit à l’échafaud sur la place publique. Celle ou celui qui doute, qui réfléchit, qui critique devient l’ennemi du peuple ou plutôt des tyrans qui s’en réclament.

Certaines chaînes d’information et réseaux sociaux nourrissent la violence, la bêtise, l’inculture, l’ignorance.

La naïveté des uns n’a d’égale que l’incurie des décideurs, influenceurs, followeurs ou autres qui en arrivent même à négliger des vérités factuelles ! Ici encore, constatons avec Christian Salmon que "la société du commentaire, c’est la mort de la délibération démocratique". Mais, comme pour de nombreuses choses à changer ou à faire évoluer, tout part et revient à l’école.

Les enseignantes et enseignants sont en première ligne. Il faut les comprendre, les appuyer, leur donner confiance en leur si haute et déterminante mission. L’éducation morale et civique est plus nécessaire que jamais. Elle est pourtant tellement peu développée, tout comme l’éducation physique et sportive en notre pays.  
 

MAIS COMMENT TRANSMETTRE LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE QUAND LES ADULTES SONT DIVISÉS SUR LES CONCEPTS ET DÉFINITIONS DE LA MORALE ET DU CIVISME...

... qui devraient être la transmission de connaissances et de valeurs qui poussent à réfléchir, à justifier des convictions, à faire douter, à questionner ? 

Alors que c’est précisément par la connaissance, le questionnement et le raisonnement que celles et ceux qui enseignent peuvent asseoir leur autorité ?
Quid de la préparation et de la formation pour un tel enseignement si fort et tellement complexe dans nos Sociétés modernes, singulièrement lorsqu'il s'agit des philosophies, morales et religions ? 

De la France il est souvent dit à l’étranger que c’est un pays de la défiance. Étant ajouté, à la lumière de la gestion étatique de la présente crise sanitaire, un "Absurdistan" juridique ! Pour autant, faut-il renoncer à une mobilisation pour nos valeurs, nos libertés et notre État de droit ?

La réponse est bien entendu négative. Résistons à cette haine, cette remise en cause du savoir et de la culture. Chacune et chacun, prenons conscience des vrais et terribles menaces présentes et des formidables mobilisations de celles et ceux, singulièrement les personnels de l'Éducation et de la Santé, qui pratiquent dans le quotidien et la discrétion, la bienveillance et le respect de la dignité de chaque personne humaine.

Jean-Claude Javillier et Jean-Pierre Doly

05/09/2021

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