Petits plaisirs du PR

27/09/2020 - 7 min. de lecture

Petits plaisirs du PR - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.

---

Les petits plaisirs du PR
 

La vie privée d’un Président, personnage public par excellence, ne peut se dérouler sous l’ombre protectrice de la plus stricte intimité, qui offre un asile sûr aux joies simples de la vie. Sa fonction, la nécessité de sa sécurité, sa charge de chef des armées, détenteur de la décision nucléaire, font obstacle à sa liberté. Je pouvais particulièrement le constater au cours des déplacements que le PR effectuaient le dimanche lorsque l’agenda officiel lui permettait quelques évadées.

Lors de son second septennat, le PR prenait plaisir à visiter, le dimanche, des églises ou des abbayes situées aux environs de Paris. Le moyen de transport qu’il privilégiait était l’hélicoptère car il présentait l’avantage de réduire les délais de déplacements de destinations trop éloignées pour être gagnées en véhicule et lui offrait encore une certaine discrétion.

Un dimanche, vers 9 heures, le téléphone sonna. Au bout de la ligne, le PR :

- "Bonjour Colonel !

- Bonjour, Monsieur le Président.

- Colonel, je souhaiterais visiter l’église de….., cette église romane bien connue. Je serai accompagné de quatre personnes et je souhaite un départ vers 11 heures. Pour le déjeuner : une petite auberge dans les environs devrait convenir. Bonne journée Colonel !"

Si je n’accompagnais pas le Président dans ses déplacements "privés-privés", je les organisais dans les moindres détails, du choix des aires de pose pour l’atterrissage de l’hélicoptère présidentiel à la coordination avec le GSPR qui, chargé de la sécurité du Président et rompu à ce genre d’exercice, était systématiquement de la partie.

Le plus délicat à gérer n’était pas nécessairement la sécurité du déplacement du PR, mais l’information des maires et des préfets. Pour les maires, il s’agissait de leur demander de ne pas apparaître officiellement mais juste de nous conseiller le restaurant susceptible de servir le meilleur poisson, repas que prisait particulièrement le PR. Or, les maires sollicités avaient toujours du mal à se voir privés du rôle d’hôte officiel du PR. C’était une telle chance la présence du Président de la République dans leur commune ! Afin de compenser leur frustration, il était d’usage de leur proposer de se trouver au restaurant "par hasard". Le PR jouait toujours le jeu de la surprise et se montrait très aimable avec ses convives pas tout à fait inattendus ! Pour les Préfets, ils souhaitaient toujours tout organiser et s’occuper de tout, alors qu’ils n’étaient pas sollicités, ce qui pouvait générer quelques couacs.

La présence du GSPR dans ses déplacements du dimanche rassurait le Préfet car il pouvait ainsi être informé de son bon déroulé par la voie locale de la gendarmerie. La presse n’était en aucun cas informée, même si bien sûr il pouvait toujours y avoir quelques fuites de dernière minute, ce qui avait généralement pour effet de nous mettre en compagnie de la presse locale. Le PR acceptait alors quelques photos.

Le plus souvent, les prêtres faisaient visiter avec grand plaisir leur église ou abbaye. Le Président, féru d’histoire et de théologie, les soumettaient toujours à des questions expertes, auxquelles ils se plaisaient à répondre, quand ils le pouvaient. L’ambiance solennelle des églises invitait parfois le PR à la méditation. Il aimait alors se retrouver seul et laisser son esprit vaguer sous les voûtes plusieurs fois séculaires. Que pouvait-il penser, lui qui était si proche de la mort, en présence des mystères de la religion ? Le Président a toujours cru aux forces de l’esprit. On peut se prêter à imaginer que ses méditations devant les tableaux d’une foi professant l’immortalité de l’âme ne le portaient pas à concevoir la mort comme le point dernier de la vie.

Si le PR aimait le poisson, il était aussi friand de crustacés. Il s’est souvent rendu à Cancale pour déjeuner et déguster quelques fruits de mer en compagnie des élus locaux, en profitant de l’occasion pour s’informer de la situation politique et sociale locale. Ce que le Président préférait parmi les crustacés, c’étaient les huîtres et, entre toutes, une certaine sélection provenant d’un certain village des Pays-Bas. Un jour, après une cérémonie de remise de décorations organisée à la salle de fêtes du Palais à laquelle le PR n’avait pas voulu s’attarder, il m’avait, d’un signe, demandé de le rejoindre dans le salon des portraits où, confortablement installé dans les fauteuils, il me dit : "Colonel, dans deux semaines, nous nous rendons à La Haye pour le sommet européen. J’aimerais arriver la veille et me rendre dans un village dont j’ai oublié le nom où, il y a quelques années, avec la Reine Béatrix, j’ai dégusté des huîtres succulentes (il se lance alors dans une description rapide de cette fameuse huître). Pouvez-vous organiser cela ? Je serai accompagné de cinq personnes, dont le MAE. Voilà, bonne soirée Colonel, et merci !"

Le PR me laissa à mon désarroi. Perplexe, je partis rejoindre mon bureau où je m’empressai de consulter les archives de ses déplacements aux Pays-Bas. Rien de particulier ne retint mon attention ! Je contactai alors l’Ambassadeur de France aux Pays-Bas, en espérant plus de succès. Il m’apprit que le PR, quelques années auparavant, s’était rendu avec la Reine Béatrix dans le village de Veere, situé à quelques kilomètres de La Haye, à l’occasion de l’inauguration des écluses et des digues chargées de protéger la région contre les effets des tempêtes. Il me conseilla de m’y rendre à l’occasion du voyage préparatoire du déplacement officiel. La piste me semblant bonne, je m’y rendis en toute diligence.

Sur place, les deux restaurateurs concurrents du village m’assurèrent, chacun pour sa maison, que le PR avait bien rendu visite à leur établissement, leur Livre d’Or pouvait en témoigner. Ils m’affirmèrent, tous deux, qu’ils détenaient les meilleures huîtres des Pays-Bas et qu’elles avaient été servies lors de l’inauguration officielle évoquée par l’Ambassadeur. Ils m’offrirent de les déguster. Elles étaient belles, c’est vrai, mais ne correspondaient pas exactement à la description que m’en avait faite le PR. Je restai perplexe mais, entre les deux restaurateurs qui se disputaient le prix de la meilleure huître du pays, il fallait choisir. Je jetai mon dévolu sur le restaurant qui m’avait paru le plus agréable pour organiser le dîner, sans être toutefois convaincu d’avoir mis la main sur le trésor que convoitait le Président et qu’il m’avait signalé de façon si incertaine.

Le jour dit, le PR, accompagné du MAE et de quelques collaborateurs immédiats de l’Élysée, ne se tenait pas de joie de pouvoir déguster les huîtres dont la saveur s’était imprimée dans sa mémoire – "l’odeur et la saveur restent…". Il m’interrogea sur le restaurant. Je lui fis part de mes recherches. Il comprit, dans mon propos, que je n’étais pas très sûr de moi.

Arrivés par avion aux Pays-Bas, nous nous rendîmes en voiture à ce fameux village de Veere et, après quelques pas en bord de mer, nous rejoignîmes le restaurant où les tables avaient été réservées. J’étais inquiet ; j’attendais avec impatience le service. Immédiatement, à la vue des huîtres servies, le Président fit la moue et je compris aussitôt que ce n’était pas le bon endroit et pas les bonnes huîtres. La soirée se passa tout de même dans la bonne humeur, le restaurateur s’étant surpassé pour satisfaire son hôte de marque. À la fin du repas et avant de monter dans la voiture, le PR ne manqua pas de me dire que ce n’était pas ce qu’il attendait, mais que, de toute façon, je n’étais pas le premier qui échouait à lui dénicher ces huîtres si succulentes dont il n’avait jamais oublié la saveur et que personne n’avait encore rempli le contrat ! J’en étais profondément marri !

Quelques mois plus tard, la France recevait en visite d’État la Reine Beatrix des Pays-Bas. Les cérémonies officielles se déroulèrent selon le protocole traditionnel. La réception de retour offerte par la Reine se tint à l’opéra de Paris où se produisit le corps de ballets des Pays-Bas. À l’entracte, un buffet fut servi dans le foyer. Le PR s’y rendit en compagnie de la Reine. Différentes spécialités furent servies, dont des huîtres. Je constatai à ma grande surprise que ces huîtres correspondaient exactement à la description que le PR m’en avait faite. J’observai le PR qui les dégustait avec un plaisir non dissimulé. Immédiatement, je courus saisir le Grand Chambellan de la Cour et lui demandai la provenance des huîtres. Surpris et par mon empressement et par ma question, il m’en demanda la raison. Après lui avoir raconté mon histoire et lui avoir déroulé le fil de mes recherches laborieuses et infructueuses dans le petit village de Veere, il éclata de rire : "Vous ne pouviez pas les trouver ailleurs qu’à la Cour. Je suis le producteur exclusif des huîtres pour la Reine. Pour vous satisfaire, je ferai livrer une bourriche dès demain pour votre Président. J’en mettrai une deuxième pour vous, mais cela reste entre nous ! ha ! ha ! ha !"

J’avais enfin le fin mot de cette histoire.

Sur le chemin du retour vers l’Élysée, dans la voiture avec le PR, celui-ci s’épancha auprès de moi :

- "Colonel, je vais vous confier une mission de choix. Procurez-vous les huîtres qui nous ont été offertes ce soir ! Ce sont celles que j’avais dégustées il y a quelques années avec la Reine.

- Monsieur le Président, une bourriche sera livrée dès demain", lui répliquai-je avec la satisfaction de celui qui a devancé les instructions de son Chef, et lui raconta mon échange avec le Grand Chambellan de la Cour.

Dès le lendemain, les bourriches nous furent, comme promis, livrées à la grande joie du PR qui, à ma grande surprise, car ce n’était pas dans ses habitudes, ne manqua pas de me féliciter pour avoir été le premier parmi tous ses aides de camp à avoir réussi à lui procurer les huîtres tant désirées.

Général (2s) Jean-Pierre Meyer

27/09/2020

Últimas publicaciones