Série JO Paris 2024 - Entretien avec Charlotte Girard-Fabre - Arbitre
23/07/2024 - 10 min. de lecture
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Ancienne arbitre internationale de hockey sur glace (2003-2018), Charlotte Girard-Fabre a officié lors de six championnats du monde et deux Jeux Olympiques, et a été joueuse de l'équipe de France de hockey sur glace (1997-2001). Actuellement arbitre de handball et de curling au niveau national, elle est également très engagée dans le milieu associatif en tant que Secrétaire Générale de l'AFCAM et de l'IFSO, et préside le Comité Consultatif de l'EPAS au Conseil de l'Europe. En plus de ses responsabilités sportives, Charlotte est ambassadrice nationale pour le programme "Jeunes Officiels" à l'UNSS depuis 2014 et mentor dans plusieurs business schools. Elle est reconnue par la Harvard Business Review et Forbes comme l'une des femmes les plus influentes de son domaine. Elle est Disruptive Advisor et consultante en management, spécialisée dans l'accompagnement des dirigeants et managers avec une expertise en prise de décision, gestion du temps, gestion des conflits, transfert de compétences et diversité.
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Qu'est-ce qui vous a inspiré à devenir arbitre, et pourquoi avez-vous choisi cette carrière ?
Je suis devenue arbitre assez jeune, car à l’école je n’avais jamais envie de laisser ma place à mes petits camarades pour qu’ils jouent. Le seul moyen était de devenir arbitre. En effet, l’arbitre est toujours la personne qui reste sur le terrain, sans jamais céder son sifflet.
Après plusieurs expériences arbitrales dans le milieu scolaire dans différents sports, le basket, la course, orientation, le beach-volley, … J’ai tenté quelques formations en hockey sur glace dans le monde fédéral.
Puis à la fin de ma carrière de joueuse, le sélectionneur des arbitres régionaux de hockey sur glace m’a proposé de continuer dans cette voie. Partant du principe que si l’on me propose un poste, c’est que l’on m’y trouve déjà légitime, j’ai accepté avec joie. Il faut avouer que tout n’a pas été rose au début, loin de là, mais en travaillant et en s’accrochant, j’ai fini par faire six championnats du monde et deux Jeux olympiques.
Comment les arbitres sont-ils sélectionnés pour les Jeux Olympiques ?
Les arbitres sont sélectionnés pour les Jeux olympiques, notamment dans les sports collectifs, comme les joueurs et les joueuses des équipes nationales. C’est un long parcours de plusieurs années ou, à chaque match, on remet en question son classement, on est supervisé par 2, 3 ou 4 personnes. La longévité et la constance font notre niveau.
Une fois dans le pôle élite, il reste encore à se sélectionner pour être sur la long list puis sur la short list. Cela s’effectue, pour le hockey sur glace, dans des camps pré olympiques en altitude en Suisse. Outre nos qualités physiques et notre connaissance fine du règlement, c’est notre caractère, notre détermination et notre pugnacité qui sont jaugés. Quand vous donnez beaucoup physiquement, que vous dormez très peu, que vos repères sont délibérément brouillés, vous ne pouvez pas vous cacher derrière un masque. Ainsi, les sélectionneurs internationaux forment le meilleur groupe, avec les meilleurs éléments pour faire une équipe solide, unie et solidaire pour toute la période des Jeux olympiques. Un peu comme les troupes d’élite, ce n’est pas le nombre de pompes qui fera la différence, mais ce qui va ressortir du caractère pour aller au front.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous alliez arbitrer aux JO pour la première fois ?
C’est l’accomplissement d’un long travail, de beaucoup de sacrifices et la réalisation d’un rêve. Alors quand j’ai reçu l’appel de la fédération internationale, le sol s’est dérobé sous mes pieds et pourtant je ne pouvais pas crier, j’étais dans un TGV avec deux autres arbitres. Et puis je devais garder le secret absolu pendant plusieurs jours, donc je suis restée de marbre et j’ai fondu intérieurement pendant quelques heures avant de mon confier à mon conjoint. Oui, il fallait que je puisse évacuer un peu la pression. Après, pendant deux mois, j’étais partager entre une préparation encore plus intense et m’enrouler dans du papier bulle pour prévenir toute blessure ou maladie.
Est-ce que participer aux JO est considéré comme le summum de la carrière pour un arbitre ?
Participer aux Jeux olympiques (ou paralympiques) est forcément le summum d’une carrière pour n’importe quel arbitre. Toutefois ce bonheur est réservé uniquement aux sports olympiques ou paralympiques et l’on sent cette différence quand on échange avec des juges et arbitres de disciplines qui n’auront jamais cette opportunité de près ou de loin.
Il est déjà très dur de se sélectionner pour les compétitions internationales, encore plus de durer au plus haut niveau, et donc d’être au bon endroit au bon moment avec le bon état de forme tous les quatre ans. En sport collectif, faire une fois les Jeux olympiques est une magnifique récompense dans sa carrière, les faire deux fois est un accomplissement exceptionnel, les faire trois fois reste réservée à une toute petite élite. J’en ai fait deux… mais je n’ai pas dit mon dernier mot puisque maintenant j’arbitre une autre discipline olympique.
Pouvez-vous nous décrire votre rôle en tant qu'arbitre pendant les Jeux Olympiques ?
Le rôle en tant qu’arbitre pendant les Jeux olympiques n’est pas différent du rôle d’arbitre dans son club, dans un championnat national, ou dans un championnat du monde. Toutefois, la pression reste plus forte et l’envie d’être la meilleure équipe sur la glace (au hockey sur glace) est encore plus grande.
Dans tous les cas, pas d’arbitre, pas de match, donc c’est un rôle déterminant et essentiel à la compétition.
Comment se déroule une journée typique pour un arbitre aux JO ?
La journée typique est un réveil très matinal, un petit déjeuner très rapide, une séance sur la glace de patinage, de jeux de cohésion avec les dernières mises au point. Puis après une bonne douche, c’est une réunion d’équipe pour de la vidéo et pour des échanges techniques et réglementaires sur les prestations de la veille. Un déjeuner, puis on fait une sieste, on part pour un réveil musculaire et on se prépare pour le match. Bien sûr cet ordre peut être chamboulé avec des matchs répartis sur la journée, il faut être agile, vous avez généralement vos désignation la veille pour vous organiser. Après le match, il y a un cours débriefing dans le vestiaire, un repas et une bonne nuit de sommeil réparatrice.
Quelles sont les principales différences que rencontre un arbitre pendant les Jeux Olympiques par rapport à d'autres compétitions ?
Au hockey sur glace, la principale différence est que tous les arbitres des tournois masculin et féminin vivent ensemble pendant trois semaines. Même si nous sommes affectés, soit au tournoi masculin, soit au tournoi féminin, cela permet des échanges encore plus riches, une plus grande cohésion et multiculturalité plus large.
La fédération internationale de hockey sur glace nous a toujours offert la possibilité d’être dans une bulle, un cocon qui reste identique selon les compétitions élites, donc les repères ne changent pas tellement. Je dirais qu’il manque juste la journée culturelle pendant les Jeux olympiques mais celle-ci est largement compensée par la visite des sites olympiques, ou la chance de pouvoir aller voir d’autres épreuves sur les jours off.
Est-ce plus difficile d'être sélectionné comme arbitre pour les JO par rapport à d'autres compétitions internationales ?
Il est extrêmement plus compliqué d’être sélectionnée comme arbitre pour les Jeux olympiques par rapport à d’autres compétitions internationales tout simplement car les places sont très chères et elles ne se présentent qu’une fois tous les quatre ans.
Cela demande d’être constante sur les trois années de préparation, d’être performante sur la dernière année, d’être au rendez-vous lors des différents camps pré olympiques, et d’avoir la chance d’avoir le bon caractère qui complétera l’équipe parfaite pour les J.O.
Comment vous préparez-vous physiquement et mentalement pour arbitrer aux JO ?
La préparation physique et mentale pour un juge ou un arbitre pour les Jeux olympiques est très différente selon les sports. Alors que le juge de patinage artistique ou de break dance devra parfaire sa culture artistique musicale et scénique, l’arbitre de foot de rugby à 7 ou de hockey sur glace devra être au top physiquement. Dans tous les cas cependant, il faut être bien dans sa tête pour assumer la pression.
Pour ma part, je me suis personnellement offert et organisé une préparation mentale et une préparation physique. La fédération française ne m’a accordée aucun passe-droit car « j’allais arbitrer des femmes ». Aucun match en plus que mes collègues qui restaient dans le championnat français.
J’ai aussi eu la chance de lier des contacts à l’étranger, ce qui m’a permis d’être invitée comme arbitre sur plusieurs tournois internationaux de grande valeur. Sur ce dernier point m’a fédération m’offrait le transport.
Comment évalue-t-on la performance d'un arbitre ?
La performance d’un juge ou d’un arbitre est toujours évaluée sur le long terme mais aussi sur le très court terme, sur le match ou la compétition. Il y a forcément une évaluation sur sa capacité à lire l’action, à se placer, à l’interprétation du règlement, etc.
Comme dans de nombreux sports d’équipe ou même sports de combat, il y a énormément de revue vidéo par des superviseurs. Et ceci pour évaluer si l’arbitre était correctement placé, avait les yeux portés où il fallait etc. Les juges eux, sont évalués sur l’écart-type moyen de leurs notes sur l’ensemble des compétitions.
Au hockey sur glace nous avions aussi bien sûr des évaluations de performance physique, car dans ce sport, nous sommes sur la glace et il nous est demandé d’avoir la même condition physique que les joueurs que l’on arbitre.
Ainsi la qualité d’un arbitre, et surtout sa performance se joue sur la constance à long terme, tout au long de sa carrière ou d’une période donnée.
Comment sont rémunérés les arbitres pendant les Jeux Olympiques ? Recevez-vous des primes ou des bonus pour arbitrer aux JO par rapport à d'autres compétitions ?
Il faut savoir que l’arbitrage sportif est très rarement professionnel et donc rétribué. En France, sur les 240 000 arbitres et juges, toutes disciplines et tous niveaux confondus, seuls 350 sont professionnels, c’est-à-dire qu’ils tirent leurs revenus de leur activité d’arbitrage.
Pour 140 000, c’est une activité 100 % bénévole, c’est-à-dire qu’ils prennent du temps, qu’ils payent de l’essence et par passion ils vont arbitrer tous les week-ends. Avec un peu de chance, ils obtiennent une part de gâteau au goûter.
Pour 100 000 d’entre eux, ils reçoivent une indemnité de match et/ou de déplacement ce qui revient à ne pas perdre d’argent pour sa passion, mais à ne pas en gagner beaucoup.
C’est le modèle français, pour les autres pays, ce n’est guère différent, même si seule la France est capable de compter ses juges et arbitres et de savoir exactement comment les choses sont ordonnées dans chaque sport. L’arbitrage peut servir de coup de pouce pour les étudiants, mais cela devient très rarement une activité lucrative.
En ce qui concerne mon expérience personnelle aux Jeux olympiques, la fédération internationale de hockey sur glace était plutôt généreuse, nous avons eu des primes de match et des perdiems. Toutefois, ces primes étaient équivalentes au montant de ce que l’on peut gagner sur un championnat du monde élite. Pour être totalement honnête, je crois que je suis revenue avec 2500 € dans ma poche lors de mes derniers Jeux Olympiques pour trois semaines d’absence sans solde au travail.
Avez-vous des échanges avec les sportifs pendant les JO ? Si oui, comment se passent ces interactions ?
Il arrive bien sûr que nous ayons des échanges avec les sportifs de notre discipline tout au long du tournoi olympique. Toutefois, les arbitres ne sont jamais logés au village olympique pour des raisons évidentes d’intégrité. Donc il est assez rare de croiser ou de pouvoir avoir des échanges avec des sportifs pendant les Jeux olympiques, en dehors de notre sport.
Pouvez-vous partager une anecdote ou un moment marquant de vos expériences aux JO ?
Il y a bien sûr plein de moments magiques lors des J.O. et plein de moments aussi moins drôles pendant les J.O. notamment à l’annonce des désignations des phases finales, quand vous n’êtes pas sélectionnée, ce n’est pas très fun.
Il y a deux anecdotes sympas lors de mes derniers Jeux, parmi tant d’autres. La première est d’apprendre que l’équipe Suisse s’est entrainée sur les vidéos de mes face-offs (engagements) car pour les joueuses j’étais la meilleure arbitre sur ce point spécifique. Mon ego s’en est trouvé très touché. La deuxième anecdote est notre tête à table quand on nous a servi des cartilages de porc gluants, seule notre collègue japonaise s’est réjouie du diner ! C’est aussi ça les voyages.
Comment gérez-vous la pression et les attentes associées à arbitrer des événements de cette envergure ?
La pression et les attentes associées à cet évènement d’envergure sont toujours impressionnantes vue de l’extérieur. Je ne veux pas dire qu’elle est nulle de l’intérieur, mais il ne faut pas oublier que je suis arrivée sur un tournoi olympique non pas du jour au lendemain, mais en gravissant les échelons un à un. Donc tout au long de ma carrière, j’ai fait de plus en plus de gros évènements. De plus, les joueuses du tournoi olympique sont les mêmes que lors des championnats du monde élite qui se déroulent tous les ans.
La fédération internationale de hockey sur glace nous met dans une bulle que l’on connaît bien qui nous rassure et qui nous détend. Les patinoires des Jeux Olympiques sont plus calmes que les patinoires des championnats du monde car il y a parfois moins de connaisseurs du sport.
23/07/2024