Série JO Paris 2024 -  Entretien avec Coralie Balmy - Natation

20/07/2024 - 12 min. de lecture

Série JO Paris 2024 -  Entretien avec Coralie Balmy - Natation - Cercle K2

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Médaillée de bronze en relais lors des Jeux olympiques de Londres en 2012, Coralie a participé à trois éditions des Jeux. Championne d’Europe sur 400m nage libre, elle a également battu un record du monde sur 200m nage libre en 2008.

Participation aux Jeux Olympiques 2008, 2012 et 2016.
Médaille(s): 1 x bronze.

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Coralie, comment définiriez-vous la performance ?

J’ai deux visions différentes de la performance dans le sport. Une définition que je qualifierais de « brute », c’est-à-dire, dans mon sport, la réalisation d’un excellent chronomètre.

J’ai également une définition plus globale de la performance, détachée de l’aspect chronométrique, qui correspond à la réalisation de soi, son accomplissement en tant qu’athlète au-delà du chronomètre, c’est-à-dire pouvoir réunir toutes ses capacités, ses qualités, sa précision et l’exigence requises à un instant « t ». Si, très souvent, la réalisation de la performance selon cette seconde définition peut permettre la réalisation de la performance selon la première définition, c’est-à-dire un excellent chronomètre, ce n’est pas toujours le cas.

Quelle est, selon vous, la meilleure performance de votre carrière ?

Ma meilleure performance, pour coller à la définition « brute » de la performance que je viens de donner, est mon record du monde du 200 mètres nage libre en décembre 2008 puisque je suis devenue la première nageuse à nager aussi rapidement sur cette distance.

Un autre magnifique souvenir, pour coller à la définition plus large de la performance, correspondant à l’accomplissement que soi en tant qu’athlète dans son sport, avec toutes les valeurs qui en découlent, ce sont mes participations aux Jeux olympiques, même si ce n’est pas lors de ces compétitions que j’ai réalisé mes meilleurs chronomètres.

Les participations aux Jeux olympiques sont des moments exceptionnels qui viennent couronner des années de travail.

A contrario, quelle serait la plus grande contre-performance de votre carrière ?

Ma plus grosse déception est ma 4ème place lors de la finale du 400 mètres aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Je termine à 8 centièmes de la troisième et à deux dixièmes de la première, ce qui démontre que nous étions toutes les quatre extrêmement proches au moment de l’arrivée. Il m’a fallu du temps pour accepter cette 4ème place et passer à autre chose.

Comment avez-vous réussi à passer au-delà de cette déception ?

Cette déception a réveillé en moi une rancœur, une colère intérieure envers moi-même car j’avais l’habitude de très souvent gagner à la touche lors de courses qui étaient très disputées, et je venais d’échouer lors de la course qui était peut-être la plus importante de ma carrière.

J’ai le souvenir que même pendant la course je me voyais dans les trois premières et jamais je ne me suis imaginé pouvoir terminer quatrième.

Ma force a été de réussir à transformer cette colère en désir de revanche, je ne souhaitais pas me contenter de cette quatrième place aux Jeux olympiques.

D’ailleurs je bats le record du monde en décembre 2008, soit quatre mois après cette quatrième place aux Jeux, et je suis persuadée que c’est cette colère qui a réveillé chez moi la force qui m’a permis de battre ce record.

Vous avez été médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Londres en 2012 lors du relais du 4x200 mètres nage libre. Que représente une médaille collective dans un sport individuel ?

Le relais est toujours une course qui a une saveur particulière car cette course est totalement différente que celles sur lesquelles nous nous alignons en individuel tout au long de la saison.

Cette médaille je l’ai obtenue avec des filles que je connaissais très bien (NDLR Camille Muffat, Charlotte Bonnet, Ophélie Cyrielle-Etienne) car nous avions ensemble des années d’expérience en relais. Ce qui est singulier c’est que nous étions concurrentes en compétition, et que nous nous retrouvions, le lendemain, coéquipières à défendre les couleurs de notre pays. J’ai toujours pensé que la force du relais était la mise en commun des forces de chacune d’entre nous permettant de décupler l’énergie, la force et la confiance durant la course.

Enfin, je ne mentirais pas en disant qu’une médaille obtenue collectivement permet d'apporter quatre fois plus d’émotions et de partage.

Ressentiez-vous plus de pression à nager en relais dès lors que sa propre performance influe sur le résultat de l’équipe ?

C’est vrai que dans un sport individuel les performances ne se partagent pas, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Avec le relais, l’approche est différente dès lors que les quatre performances vont s’additionner pour former une performance collective. Pour ma part, le relais me galvanisait, j’ai d’ailleurs presque toujours nagé plus vite en relais qu’en course individuelle. Peut-être que cela s’explique par la motivation qui est différente ou au fait de me dire que la performance que j’allais réaliser allait impacter toute l’équipe. Il est finalement difficile d’en connaître la raison.

Incontestablement, le collectif apporte une confiance qu’il n’est pas possible d’obtenir en individuel. Par exemple, en chambre d’appel, attendre à côté de ses concurrentes à quelques secondes de la course est plus simple à appréhender avec ses coéquipières du relais plutôt que seule. Avec les copines à côté, je me sentais plus forte et n’ai jamais ressenti aucun stress du fait du poids de l’équipe. Finalement, dans notre équipe de relais, je dirais que nous partagions à quatre le stress et la tension de la course, je n’ai donc jamais ressenti de stress supplémentaire du fait de nager en équipe, au contraire.

La natation est souvent perçue comme étant un sport chronophage, qu’est-ce qui vous a permis de rester motivée tout au long de votre carrière ?

La réponse va être très simple, j’ai toujours aimé nager, j’ai toujours aimé chaque entraînement et l’idée de me surpasser malgré le côté répétitif et solitaire de ce sport. L’amour de mon sport m’a permis de continuer même lorsque nombreux de mes camarades de l’équipe de France ont pris leur retraite sportive en 2012.

En 2012, j’avais vingt-cinq ans et déjà dix ans d’équipe de France derrière moi, je me suis interrogée sur l’arrêt de ma carrière.

J’ai cependant compris rapidement que j’aimais encore nager, que je prenais du plaisir et que j’étais performante, je n’avais donc aucune raison de stopper ma carrière à ce moment-là.

À quoi pensiez-vous lorsque vous nagiez pendant les entraînements et les compétitions ?

A l’entraînement, je pensais tout d’abord aux consignes du coach puis aux compétitions. J’avais toujours cet esprit de compétition qui m’animait, même à l’entraînement, qui me donnait l’envie de me dépasser pour être prête le jour J.

En compétition, l’objectif était inverse, j’essayais justement de ne pas penser, de faire le vide et de rester concentrée sur ma nage et de ne pas être déstabilisée par la douleur.

Lorsque l’on nage, très rapidement, le cerveau reçoit des informations des muscles, ces informations correspondent à la douleur ressentie du fait de l’effort.

L’entraînement servait notamment à « se faire mal », c’est-à-dire à se dépasser et à repousser son seuil de tolérance à la douleur au maximum pour que, le jour de la compétition, le cerveau, habitué à recevoir de telles informations, sache les accepter et les traiter sans que cela ait un impact sur l’effort en cours et notamment les fréquences de bras et de jambes qui devaient être, au minimum, maintenues.

Est-ce que les performances des adversaires pendant la course pouvaient perturber la concentration que vous essayiez de maintenir ?

Oui bien sûr, durant une course, j’étais sensible à mes propres ressentis mais également à ceux que mes adversaires pouvaient me provoquer. D’ailleurs, il y a des repères durant une course permettant de la lire.

Par exemple, lors de ma dernière compétition aux Jeux olympiques à Rio en finale du 400 mètres, j’étais très bien à mi-course par rapport à mes adversaires et j’ai ensuite senti que les plus rapides avaient accéléré et que je m’étais fait distancer trop rapidement pour prétendre au podium.

Ce sont des détails et ressentis qui peuvent ne pas être perçus par les personnes à l’extérieur du bassin car l’écart n’est pas important mais moi ce jour-là, dans l’eau, j’ai su que je ne reviendrai pas.

Le nageur connaît parfaitement sa propre nage mais également celle de ses adversaires, et il y a des signes qui ne trompent pas. Ces signes peuvent être des moments dans la course ou tu as conscience qu’une accélération de tes adversaires te serait fatale alors qu’elle ne l’aurait pas forcément été quelques secondes plus tôt, ou plus tard.

Il y a des moments clés dans une course qui ne sont pas toujours les mêmes et qui vont dépendre de la distance, de sa propre forme mais également de celle des autres.

A contrario, je savais parfaitement à quel moment je pouvoir accélérer sans que l’adversaire ne me repère afin de creuser un léger écart qui finalement s’avérerait complexe à combler. La natation requiert donc une bonne lecture de course, surtout dans le demi-fond.

Vous avez parfois nagé sur 200, 400 et 800 mètres lors de compétitions, comment adaptiez-vous votre corps à ces changements de distance ?

Il n’y a pas de secret, cette adaptation n’est due qu’à l’entraînement. Je m’entraînais cinq heures par jour, je connaissais mon corps par cœur, je savais exactement la vitesse adaptée à chaque course, c’est-à-dire les fréquences de bras, de jambes, la façon d’appuyer dans l’eau selon la distance nagée etc. La répétition de l’entraînement fait que le cerveau mémorise et que le corps exécute.

Avez-vous connu des périodes de doutes dans votre carrière, et comment avez-vous réussi à les surmonter ?

Oui, j’ai connu une période de doute en 2005-2006. Lors de ces deux saisons, je faisais d’excellents entraînements, je nageais d’ailleurs plus vite à l’entraînement qu’en compétition. A cette époque, c’était la période charnière entre le passage de l’équipe de France jeune à l’équipe de France senior.

C’était une marche que j’ai eu du mal à franchir car je me retrouvais avec des filles comme Laure Manaudou, Solenne Figuès ou Malia Metella, que j’avais pour habitude de voir gagner à la télévision et j’avais du mal à accepter que je puisse être à leurs côtés.

J’avais un blocage, un complexe d’infériorité qui m’ont fait douter pendant deux saisons, au point de songer à arrêter la natation.

A la fin de la saison 2006, j’ai fait une coupure de deux mois avec la natation, je suis rentrée chez moi en Martinique afin de prendre le temps de réfléchir. Cette réflexion m’a également permis d’acquérir de la maturité et de prendre de la distance afin de revenir motivée et prête à gagner. A cette époque, je ne pouvais pas imaginer que je battrais un record du monde deux ans plus tard !

Avez-vous mené cette réflexion seule ou avez-vous été épaulée ?

J’ai mené cette réflexion seule mais c’est mon entraîneur qui a été à l’origine de cette coupure car il avait senti que je n’étais pas dans de bonnes dispositions psychologiques. Il m’a demandé à la fin de la saison 2006 de prendre deux mois de vacances, au lieu des trois semaines habituelles, de rentrer en Martinique, et de réfléchir à ce que je voulais vraiment.

A l’époque je me suis confinée pendant deux mois et cela m’a fait vraiment prendre conscience de ce que je voulais, ce que je ne voulais pas, de ce qui me plaisait et ne me plaisait pas, et je suis revenue plus forte que jamais.

Avec le recul que vous avez sur votre carrière, est-ce qu’il y a des éléments que vous auriez changés durant celle-ci pour devenir encore plus performante ?

Je pense que si l’on se pose ce genre de questions c’est que l’on vit avec des regrets et je ne le souhaite à personne !

Je ne me suis jamais posé la question car après chaque saison on faisait un bilan sur ce qu’il fallait améliorer. On mettait l’accent sur les points faibles, c’est d’ailleurs le système de l’entraînement en France qui pousse à souligner ce qui ne va pas avant de souligner ce qui a été amélioré durant la saison. L’objectif de la saison d’après était toujours d’améliorer les points faibles relevés lors de la saison qui venait de s’achever. Pour ma part, j’ai toujours connu des améliorations saison après saison donc je ne regrette rien car je sais que j’ai arrêté ma carrière au bon moment.

En revanche, si j’avais arrêté en 2012 je pense que j’aurais regretté car je me serais dit, avec le recul, que je n’avais pas été jusqu’au bout de mes capacités. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret, que ce soit sur la façon dont j’ai mené ma carrière, que sur les personnes dont je me suis entourée car même lorsque j’ai connu des changements d’entraîneurs, de structures ou de clubs tout s’est toujours passé dans d’excellentes conditions.

Vous évoquiez le modèle français de l’entraînement qui aurait pour essence de souligner les faiblesses de l’athlète plutôt que les points forts. Est-ce une méthode qui devrait évoluer selon vous ?

Oui, une évolution serait la bienvenue car je pense que l’entraînement ou l’éducation positive est plus valorisant et plus enrichissant pour l’athlète que la méthode qui consiste à toujours relever les points faibles.

Cependant, j’étais habituée à ce système de fonctionnement « à la française » et je me suis construite avec ce système en devenant une éternelle insatisfaite à toujours réfléchir à ce que je pouvais améliorer.

Lors des compétitions, j’ai eu l’occasion de côtoyer de nombreux athlètes et j’ai toujours été frappée par la confiance impressionnante que les athlètes américains avaient en eux, et sur le fait qu’ils n’avaient aucune difficulté à mettre en avant leurs capacités, alors que ce discours ne serait pas forcément accepté chez un athlète français, qui serait vu comme prétentieux. Nous, les athlètes français, nous étions donc toujours en retrait et très pudiques sur nos ambitions.

Cette différence de comportement est due, je pense, à leur mode de fonctionnement aux entraînements, lors desquels leurs points forts sont valorisés. Ce système ne les empêche pas de toujours viser l’excellence. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre ce que j’appelle l’entraînement « positif » et la performance.

En France, et notamment en natation qui est le domaine que je connais, nous avons toujours tendance à nous cacher derrière nos faiblesses car le système nous inculque cela.

Ce système est parfois difficile à accepter car lorsque tu rentres d’une compétition et que lors du débriefing tu entends tout ce qui n’a pas fonctionné, tu retiens finalement seulement ce qui ne va pas et cela te questionne sur ce que tu as réalisé de positif ou d’encourageant et qui pourrait te montrer que tu es sur la bonne voie, en vue de la réalisation d’objectifs futurs.

Ce système peut être difficile à vivre psychologiquement et je pense d’ailleurs que c’est ce qui permet de faire le « tri » entre les athlètes qui atteignent le très haut niveau et les autres.

A votre époque la natation française était très en vue et pourvoyeuse de médailles, était-ce un stress supplémentaire ?

Non ce n’était pas un stress supplémentaire, bien au contraire. Je dirais que les médailles des filles, et notamment de Laure (Manaudou) et de Malia (Metella), ont permis de montrer à toute la natation féminine française que la porte était ouverte et que nous pouvions toutes avoir de belles ambitions, que nous pourrions, à force de travail, viser l’excellence et les titres.

Je pense que leurs différents titres et médailles dans toutes les compétitions internationales ont permis d’effacer cette pudeur que la natation cultivait depuis des années, et qu’ils ont permis à toutes les jeunes membres de l’équipe de France, dont je faisais partie, de prendre conscience que nous pouvions nous fixer des objectifs élevés durant les grandes compétitions.

Est-ce que dans un sport individuel vous vous donniez des conseils entre nageuses d’une même nation lorsque vous vous retrouviez en équipe de France ?

Je ne vais pas vous cacher que le partage dans un sport individuel est difficile.

Par exemple, j’étais adversaire de Laure car nous étions alignées sur les mêmes courses lors des compétitions. C’était d’ailleurs identique avec Camille (Muffat), Ophélie (Cyrielle Etienne) ou Charlotte (Bonnet).

On s’apprécie toutes beaucoup, on a d’ailleurs remporté une médaille de bronze olympique ensemble et d’autres médailles mondiales et européennes sur le relais, mais partager des conseils est complexe car nous avions toutes une certaine fierté, une envie de réussir par nos propres moyens. Il n’y avait pas de partage mais toujours des mots d’encouragements et un profond respect les unes envers les autres.

20/07/2024

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