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Philippe Bilger est Magistrat honoraire et Président de l'Institut de la Parole.
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Je ne sais pourquoi, mais les vacances sont propices à des réflexions que l'actualité immédiate a heureusement désertées et qui, sans aucune prétention, s'attachent à des expériences humaines que j'ai la faiblesse de juger fondamentales.
Par exemple celle du courage.
Je ne fais pas référence à l'héroïsme des anciens combattants, à ces destins qui ont su affronter, pour nous, les épreuves, les dangers, le risque de la mort, en étant trop souvent brisés net. Ce courage-là est physique et exige une résistance, un dépassement de soi, une indifférence apparente au pire pour lesquels j'ai toujours éprouvé la plus vive admiration. Parce que j'en aurais été, en conscience, incapable.
Ce que le vrai courage a dû endurer dans les combats et les guerres, et qui est incomparable, m'a rendu dubitatif face aux exploits mi-mondains mi-médiatiques qu'on cherche à nous vendre et qui consistent assez généralement à parasiter l'audace, les défis et les souffrances des protagonistes authentiques du terrain.
Ce scepticisme m'a évité de surestimer ce qu'il est convenu d'appeler le courage intellectuel et qui ne devrait être que l'expression ordinaire et honorable de soi, l'affirmation normale d'une personnalité désireuse de ne jamais fuir sa vérité. En ce sens, c'est un abus de langage que de laisser croire qu'il y a de l'intrépidité à penser, à parler et à écrire librement.
Toutefois, à considérer la difficulté, pour beaucoup, quelle que soit leur sphère, de cette autonomie, on est bien obligé d'admettre que cette liberté peut apparaître comme une forme de courage et que dans un monde aseptisé et prudent, exister avec intensité ressemble quasiment à une provocation.
Ils ne sont pas rares, cependant, ceux qui, dans les registres politique, social, judiciaire ou culturel, sont capables parfois de donner d'eux-mêmes une image exemplaire, de veiller à leur indépendance, d'être jaloux de leur intégrité et de refuser la moindre compromission.
Pour soi, il est clair que l'être humain a des faiblesses et qu'il est prêt à se battre pour sa sauvegarde, pour sa maîtrise. Ainsi on a des politiques, des magistrats, des intellectuels et des journalistes qui ne manquent pas de dignité et peuvent se regarder sans honte dans le champ clos de leur intimité ou dans leur pratique professionnelle.
Mais mettre son courage, son énergie au service des autres est évidemment moins fréquent. Pourquoi, d'ailleurs, alors qu'au contraire on aurait pu présumer que l'expansion de soi se consacrerait naturellement à la défense d'autrui, tant il y a plus de volupté, une fois qu'on ne doute plus de ce qu'on est, à se porter au secours d'un autre, même quand il ne vous a rien demandé, qu'à demeurer concentré sur soi ?
Pourtant, que d'exemples démontrant que le courage a tendance à demeurer personnel, à ne jamais sortir hors des murs qu'on lui a assignés et qu'au fond, chacun pour soi en quelque sorte ! Le magistrat indépendant et courageux, en dehors du cadre syndical, n'ira pas spontanément se porter vers un collègue menacé. Le politique, en dehors du parti, ne prendra aucun risque pour en soutenir un autre attaqué. L'autre, s'il n'est pas un loup pour l'homme, est au moins un étranger.
Je comprends mal cette retenue car, pour ma part - c'est facile à vérifier - je me suis volontiers, en plusieurs occasions politiques ou judiciaires, projeté dans des missions de défense et de protection qu'on n'avait pas exigées de moi et qui donc avaient d'autant plus de prix qu'elles s'attachaient à des personnalités dont je n'étais pas forcément proche.
Je sais aussi à quel point il est doux, quand soi-même on a été injustement pourfendu, de voir surgir spontanément un Denis Tillinac ou un Gilles William Goldnadel au soutien de votre cause. On a beau dire, cela fait du bien d'être aimé, au moins le temps d'un article, d'une apologie.
Il y a de l'orgueil, peut-être même un peu de vanité dans le courage. Ce besoin d'intervenir, cet empressement à exister, cette volonté d'être pour soi mais surtout pour les autres - cette obsession de se montrer aussi vrai que possible, ce courage si aisé, si confortable, ce sont les paroxysmes des temps de paix.
Les héros, eux, sont morts. Ou ailleurs.
17/07/2022