De la dangerosité d’être un agent de renseignement
15/01/2023 - 6 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.
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De la dangerosité d’être un agent de renseignement
L‘actualité nous fournit un triste rappel de la paranoïa qui peut entourer les activités d’espionnage et du danger mortel que courent ceux qui se voient imprimés, à tort ou à raison, la marque de l’espion : le régime Iranien a annoncé vendredi avoir exécuté Ali Reza Akbari, qu’il accusait d’espionnage en faveur des services de renseignement britannique. Les condamnations officielles se sont multipliées à la suite de cette annonce, dont nous ne connaissons pas encore tous les détails, si nous les connaîtrons jamais.
J’ai voulu, à travers ce texte, essayer d’initier en quelques lignes aux activités d’espionnage, à propos desquelles beaucoup de fantasmes ont cours, et rendre modestement hommage aux femmes et aux hommes de l’ombre, qui exercent des missions d’importance vitale pour notre pays, sans jamais s’en glorifier et en sacrifiant, souvent, vie personnelle et familiale.
L‘espionnage, en un mot, est la recherche du secret. Très simplement, plus l’information est d’importance, plus elle sera protégée, et plus elle est protégée, plus il sera nécessaire de recourir à des techniques d’investigation clandestines. Parmi ces techniques, il y a bien entendu le recours aux moyens humains. Entrent ici en scène ces personnages qui ont été sources d’inspiration pour de nombreux écrivains et d’admiration pour le public, les fameux espions et agents secrets ! Le roman et le cinéma leur ont offert l’image d’hommes d’action aux multiples talents et de séducteurs impénitents, qui se jouent des dangers et bondissent de conquête en conquête ! La réalité des activités d’espionnage est naturellement moins chargée d’adrénaline. Les missions de ceux que l’on appelle communément les « espions » sont diverses et variées : ils sont chargés de percer les secrets adverses, de découvrir les manœuvres secrètes d’un adversaire et les intentions cachées d’un partenaire ou allié, de détecter les menaces sur notre sol ou à l’étranger ou encore, de découvrir les activités d’espionnage qui sont conduites sur notre territoire. Pour atteindre l’objectif qui leur est assigné, ils tenteront d’infiltrer des agents dans les administrations et services ciblés, de tamponner des sources ou d’identifier des taupes, de pénétrer des systèmes d’informations, de recourir à des techniques de filature, etc. C’est au plus près du terrain qu’ils interviennent, c’est-à-dire sur le territoire d’un ennemi, d’un rival ou même d’un partenaire. Si l’on veut se faire une idée assez fidèle des activités des services d’espionnage ou dits extérieurs, le « Bureau des légendes » en offre une bonne représentation même si tout n’a pu être filmé.
Cette série montre en particulier assez bien la réalité de l’activité des agents, dont la mission n’exige pas d’être exclusivement dans l’action. Un bon agent doit savoir allier action et réflexion. La couverture qu’il va devoir adopter pour cacher sa véritable identité et qui sera pour lui comme une seconde peau va exiger de lui un très haut niveau d’expertise : il se construit un autre lui-même, avec des goûts, des sentiments, des passions, des savoirs qui peuvent être totalement différents de ceux qui lui sont propres et qui doivent être suffisamment travaillés pour paraître authentiques. Rien ne doit trahir l’artifice, s’il veut que sa couverture soit crédible. Il lui faudra pour cela travailler sans compter pour atteindre un niveau de connaissance supérieur dans un domaine donné, comme la chimie, la biologie, les mathématiques, la finance, la data ou le droit, et pouvoir ainsi évoluer sans éveiller les soupçons dans l’écosystème ciblé. Seule une poignée de personnes sont capables de réaliser un tel exploit intellectuel qui leur permettra d’apparaître comme des passionnés dans des matières où ils n’avaient à l’origine que peu d’appétence. J’ai toujours eu la plus grande admiration pour ces personnes-là quand je les ai rencontrais.
Cette admirable faculté de réflexion n’est cependant pas suffisante : l’agent devra encore la conjuguer à une capacité à être en permanence dans l’action et sur le qui-vive. L’action, c’est-à-dire la réalité concrète du terrain, ne peut se réaliser sans que l’agent ait suivi une longue formation préalable auprès des services. Il y apprendra en particulier à dominer les sentiments primaires de peur et de colère qui peuvent s’agiter en lui dans les moments de tensions extrêmes, par exemple lors d’un interrogatoire.
Cette tension constante entre l’exigence de réflexion et la nécessité de l’action est un défi qui éprouve la trempe et le courage des meilleurs.
Pour cette raison, les agents de renseignement sont en général recrutés très tôt, entre 22 et 25 ans, après un cursus académique brillant (Grandes écoles, Sciences Po, Universités). Pour ceux envoyés en mission, il leur faudra souvent faire preuve d’imagination et de caractère pour expliquer à leur entourage, parfois dans l’urgence, une réorientation professionnelle ou des absences répétées. La difficulté sera redoublée pour ceux qui doivent mener de front une activité professionnelle officielle et des missions clandestines à l’étranger : disparaître 1, 3, 5 mois, voire plusieurs années, n’est pas chose aisée à expliquer à un entourage… Pour ceux qui doivent annoncer un départ pour plusieurs années, une technique efficace est celle utilisée par les prestidigitateurs : trouver une raison qui détourne l’attention. Pour y parvenir, inutile de chercher bien loin. Les raisons les plus communes sont souvent les meilleures, car elles suscitent le moins de suspicions : par exemple, rejoindre ou suivre une compagne ou un compagnon à l’étranger, accepter un travail à l’étranger mieux rémunéré… Elles ne protégeront cependant pas de l’agacement, de la jalousie, ni de la critique et des médisances de l’entourage. Mais c’est un moindre mal, l’essentiel étant que les proches ne puissent se douter qu’il s’agit d’un recrutement au sein des Services. J'ai pu remarquer que ceux qui exerçaient des fonctions impliquant une plus grande liberté (musiciens, chercheurs, sportifs, etc.) bénéficiaient d’une excellente couverture pour cacher leur activité clandestine. Leurs collègues, dans le milieu d’experts où ils évoluent, sont loin d’imaginer échanger avec des agents traités par les Services.
Pour conclure, il est inutile de croire qu’un agent sérieux vous révèlera en être et vous parlera de ses activités tant qu’il sera en service, et même après : il se doit de protéger ses sources pour ne pas risquer de les mettre en difficulté, voire en danger, et d’anéantir ainsi un réseau difficilement constitué. L’histoire ne manque cependant pas d’exemples d’agents qui ont franchi la ligne jaune de la compromission et du droit d’en connaitre et dont la chute a entraîné des scandales politiques ou autres, des affaires d’État ou des exécutions sommaires. S’il est évident que les agents ne sont pas livrés à eux-mêmes et qu’ils peuvent et doivent constamment « rendre des comptes », ce n’est que dans un cercle très restreint de personnes, elles aussi professionnelles, impliquées et responsables du bon déroulement de l’opération de renseignement engagée. Il paraît toutefois essentiel de conserver cette discrétion et ce sens du secret. Une personne engagée dans cette fonction ne pourrait que fragiliser sa position en révélant être, même de manière allusive, de la maison. Comme j’ai pu l’écrire dans un précédent texte, méfiez-vous des personnes qui vous indiquent, sur le ton de la confidence, après quelques minutes de discussion et quelques verres, qu’ils sont dans les services. Ce n’est pas la pratique d’un professionnel sérieux. Cela cache bien souvent d’autres intentions moins avouables et plus prosaïques : ego, argent ou sexe.
15/01/2023