De la France des Lumières à la France des excès
31/08/2020 - 4 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Le général (2s) Bertrand Soubelet est général de corps d'armée (2s) de la Gendarmerie Nationale et Vice-président exécutif du mouvement Objectif France.
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L'excès ignore la raison.
Hélas ce constat se vérifie chaque jour. Les réactions aux décisions pour le port du masque sont révélatrices d'un malaise profond qui affecte notre société. L'acceptation des contraintes édictées temporairement dans un souci de protection collective semble un effort hors de portée pour trop de Français.
Désormais rien ne semble pouvoir résister à la conception de la liberté individuelle qui prévaut en France : une conception qui efface tous les garde-fous et les contraintes.
Ce raisonnement poussé à l'extrême mène à une vision dangereuse : la seule manifestation de l'autorité, en particulier celle de l'Etat est insupportable et "liberticide". Et cela conduit directement au désordre et à l'anarchie.
La société est organisée pour permettre à toute la communauté de vivre en harmonie en faisant en sorte que chacun puisse s'épanouir sans nuire au collectif. Dès lors, personne ne peut agir s'il compromet la liberté des autres sinon il se comporte en despote et chacun de nous est un despote en puissance. Ce qui nous en préserve est notre éducation, notre bienveillance, notre capacité à accepter la contrainte et en dernier recours, la règle de droit.
Le plus frappant aujourd'hui, encore plus qu'hier, est le réflexe d'exiger des autres un respect plus strict des règles que pour soi même.
C'est précisément cette conception excessive et névrotique de la liberté individuelle et de la vie en société qui nous mène tout droit à la dictature. Pas celle de l'Etat qui malgré ses faiblesses dues aux hommes essaie de préserver les équilibres fragiles.
User de sa liberté, des droits individuels et parfois du principe inaliénable mais dévoyé des droits de l'homme pour justifier des réactions ou des comportements contraires à l'intérêt général est à mon sens le début d'une dictature terrifiante.
Malheureusement cette tendance touche trop de Français qui habillent l'expression de leur volonté et de leurs opinions avec des grands principes irréfutables pour justifier leurs raisonnements et leurs actes. Cela mène à l'intolérance, aux excès de toutes natures et aux agressions parfois tragiques.
Malheureusement cette tendance ignorant le bon sens atteint des organes étatiques qui ébranlent les équilibres précaires de notre contrat social et engagent l'avenir de notre cohésion nationale. Par petites touches, avec de légers coups de scalpel invisibles à l'œil nu, mais inexorablement.
Comment ?
Par des décisions qui consacrent la primauté d'une vision de l'homme idéal au détriment de l'homme réel et la suprématie de raisonnements purement juridiques déconnectés de la vie quotidienne.
Ces excès là mènent tout droit à la désagrégation de notre cohésion sociale tant le ressentiment des citoyens sera croissant au regard de décisions fondées sur des constructions intellectuelles éloignées de leur préoccupations et de leur quotidien. C'est incompréhensible de la part de décideurs qui sont formés, désignés et payés pour défendre et protéger les Français car le droit est au service du peuple.
Pour être plus clair voici deux exemples.
Le premier concerne la laïcité.
En 2014 la chambre plénière de la Cour de Cassation prend un arrêt baptisé baby Loup qui introduit une nouvelle notion en droit Français.
Dans une crèche de la région parisienne une employée est licenciée pour le port du voile alors qu'elle ne le portait pas avant son congé de maternité. La Cour instaure à cette occasion une différence d'application dans le principe de laïcité.
Elle indique que "ni le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution, ni le principe de neutralité consacré par le Conseil Constitutionnel au nombre des principes fondamentaux du service public ne sont applicables aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public". En d'autres termes la laïcité existe dans l'espace public, dans les entreprises publiques ou gérant un service public mais pas dans les entreprises privées.
Deux poids, deux mesures et des principes constitutionnels à application variable.
Voilà une décision qui ignore la réalité quotidienne des entreprises et des salariés de notre pays.
La deuxième illustration est la décision récente du Conseil Constitutionnel concernant les mesures à prendre à l'égard des djihadistes libérés.
Le Conseil a censuré la proposition de loi du Gouvernement concernant les mesures de sûreté à appliquer à l'issue de l'incarcération de terroristes condamnés à au moins cinq ans de prison au motif qu'elles étaient "liberticides".
Ces mesures, plutôt équilibrées, allaient de l'interdiction de fréquenter certains lieux ou de rencontrer certaines personnes à l'obligation de pointer régulièrement auprès des forces de sécurité ou d'établir sa résidence en un lieu déterminé en passant par le port d'un bracelet électronique.
Au nom de considérations juridiques poussées à l'extrême et contestables, le Conseil Constitutionnel préfère donner des garanties en termes de droits individuels à des sortants de prison potentiellement dangereux au mépris de la sécurité des Français. L'équilibre est désormais rompu et voilà comment la France poursuit son chemin vers le chaos.
Pour mémoire, le Conseil compte deux anciens premiers ministres et la moitié de ses membres est passée par l'ENA et l'autre moitié par l'Ecole nationale de la magistrature ou le barreau.
Ce sont les excès de toutes natures qui minent notre concorde sociale en commençant par le mode de pensée mortifère qui justifie tout en se prévalant des droits au nom d'une fausse conception de la liberté individuelle.
Et lorsque les institutions "régulatrices" et leurs membres prennent des décisions qui portent atteinte à l'intérêt du peuple français, à sa protection et à ce qui fait de nous une Nation au nom d'une certaine orthodoxie juridique déconnectée de la réalité, la rupture approche.
L'excès étouffe la raison et comme le soulignait Chateaubriand "Les excès de liberté mènent au despotisme".
Général (2s) Bertrand Soubelet
31/08/2020