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Article initialement publié dans le numéro 176 de la revue Défense
Dès leur indépendance en 1991, les trois États baltes ont manifesté une orientation claire vers l'Occident, confirmée en 2004:
- par leur adhésion à l'UE, comme garante des principes démocratiques et comme levier de développement, lié à l'économie de marché,
- par leur adhésion à l'OTAN, comme garantie de leur sécurité, face au «grand voisin» russe source de crainte permanente.
Ainsi souhaitent-ils compter parmi les membres actifs de l’UE dans à la mise en oeuvre d'une Politique de Défense et de Sécurité Commune (PSDC) et inciter à une meilleure coordination des actions entre l’UE et l’OTAN, d’où leur proposition de création de Centres d’Excellence (CoE) sur leur territoire respectif. Ils sont ainsi impliqués dans les exercices conjoncturels et les activités structurelles de l'OTAN, à travers ces trois CoE, et le Collège Baltique de Défense.
1. Sommet de Prague: création des CoE
En novembre 2002, est prise à Prague la décision d’élargir l’Alliance à de nouveaux membres, de la renforcer en la dotant de nouvelles capacités de manière à répondre collectivement aux diverses menaces d’actualité, dont le terrorisme. En outre, le Commandement de l’OTAN est réorganisé avec la création de deux structures stratégiques: un Commandement supérieur allié Opérations et un Commandement supérieur allié Transformation (ACT)[1]. L’ACT reçoit notamment la responsabilité de la création, de l'homologation et de l'évaluation des CoE, organismes multilatéraux qui ont pour mission d'élaborer les doctrines, d'améliorer l'interopérabilité, d'évaluer les enseignements[2]. Plutôt que des centres opérationnels, ce sont des centres de recherche et de formation d’experts et de responsables des pays membres de l'OTAN et des pays partenaires.
24 CoE[3] ont été créés à ce jour. Parmi leurs domaines d’expertise: lutte contre le terrorisme, cyberdéfense, défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire, sécurité énergétique, côtoient les questions liées au renseignement humain, à la médecine militaire, à la gestion de crise en cas de catastrophe ou à la coopération civilo-militaire…
Spécialisés chacun dans un domaine fonctionnel précis, ils travaillent aux côtés de l'Alliance. Le but est de diversifier les expertises en évitant de dupliquer les capacités déjà existantes.
Exemples: Le premier centre homologué, en 2005 en RFA (Kalkar), s’intéresse à la puissance aérienne interarmées, le dernier homologué, en 2015 en Bulgarie (So a) à la gestion de crise en cas de catastrophe. En France, le Centre d’analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes a été créé en 2008, à Lyon.
L'OTAN ne finance pas directement les CoE. Trois types de participations, nationale ou multinationale :
- Les pays "cadres" mettent à disposition un espace physique et le personnel nécessaire,
- Les pays "parrains" contribuent financièrement et prennent en charge une partie du personnel,
- Les pays "contributeurs" assurent un soutien financier ou tout autre service.
2. Les CoE des Etats baltes
Parmi les plus récents membres de l'OTAN, les trois États ont chacun créé un CoE sur des sujets d'actualité pour lesquels ils disposent d'une expérience certaine et d'un intérêt fort:
- à Tallinn en 2008, la cyberdéfense
- à Vilnius en 2012, la sécurité énergétique
- à Riga en 2014, la communication stratégique
Au sein des Ministères de la Défense de chaque pays, ils sont administrés par un Conseil présidé par le Vice-ministre de la Défense, dirigés par un national, pas nécessairement militaire. Chaque nation participante y dispose d'une voix. Les frais de fonctionnement du Centre sont pris en charge par la nation hôte, chaque État contribue proportionnellement aux personnels qu'il met à disposition. Les États baltes montrent ainsi leur "pro-activité" et leur engagement au sein de l'OTAN malgré leurs faibles moyens.
2.1. Tallinn: CoE pour la cyberdéfense en coopération
En 2007, l'Estonie a fait l'objet d'une cyber-attaque russe majeure de ses services bancaires[4]. Ce pays par ailleurs déjà reconnu sur le plan international comme leader dans le domaine du numérique (aujourd’hui, la plupart des services civils sont en ligne) se propose très naturellement.
Homologué par l'OTAN en 2008, le CoE regroupe 15 pays à ce jour ; 2 sont en cours d'adhésion : la Grèce et la Turquie. L’ Autriche et la Finlande ont souhaité participer, bien que non-membres de l’OTAN.
Le CoE de Tallinn – Site : ecdcoe.org
Direction : M. Sven SAKKOV (Estonie), Lieutenant-Colonel Jens VAN LAAK (RFA)
Pays membres : Estonie, Bulgarie, Espagne, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, RFA, Royaume-Uni, Slovaquie, USA.
Les missions du centre couvrent trois domaines:
- Droit et doctrine : Cf le Manuel sur l'application des textes juridiques internationaux à la cyberguerre, en référence à la Charte des Nations Unies et à la Convention de Genève (12/08/1949) et l’ouvrage sur le régime applicable en temps de paix aux activités étatiques dans le cyberespace. L'application du droit international et du droit de la guerre dans le cadre d'un conflit dans le cyberespace fait l'objet d'une étude pluridisciplinaire, technique et juridique.
- Stratégie : "La cyberguerre est le blitzkrieg du XXIème siècle " ; le cyberespace est devenu un enjeu de sécurité nationale et de puissance. Les Etats Unis dès 2003 ont défini leur stratégie de cyber sécurité, la France l'a fait à la suite du rapport Bockel[5]. "STUXNET", le ver informatique conçu par la NASA en 2010, dans le but d’attaquer les centrifugeuses iraniennes, constitue une des premières cyber-armes.
- Science et technique, avec des exercices de simulation d'attaques (Exemple Locked Shields en 2015).
La politique de cyberdéfense prise en compte par l'OTAN dès 2002 avec la création d'une chaîne de décision dédiée, s'est vue renforcée par la déclaration du sommet du pays de Galles (5/09/2014).
«Les cyberattaques peuvent atteindre un seuil susceptible de menacer la prospérité, la sécurité et la stabilité des États et de la zone euro-atlantique. …La cyberdéfense relève de la tâche fondamentale de l'OTAN. Il reviendrait au Conseil de l'Atlantique nord de décider, au cas par cas, des circonstances d'une invocation de l'article 5 à la suite d'une cyberattaque».
2.2. Vilnius: CoE sur la sécurité énergétique
Homologué par l'OTAN en 2012 et installé au sein de l'académie militaire de Lituanie, il étudie la sécurité des approvisionnements énergétiques, et d'abord celle des forces armées. La France a mis à disposition en 2013, un officier, commandant en second du centre, qui dispose en la matière de compétences multinationales (OTAN) et opérationnelles (Kosovo).
Le CoE de Vilnius – Site : enseccoe.org
Direction : Colonel Gintaras BAGDONAS (Lituanie), Lieutenant-Colonel Nicolas HENRY (France)
Effectifs civils et militaires : 21 personnes (27 à terme)
Pays membres : Lituanie, Estonie, France, Italie, Turquie (membres OTAN ayant droit de veto) + Georgie (accès limité).
Missions du centre: Les études menées visent à réduire la consommation, diminuer les coûts et augmenter l'efficacité. Assurer une disponibilité ininterrompue des sources d'énergie à un prix abordable, notamment en permettant la diversification des approvisionnements pour réduire la dépendance et donc la vulnérabilité, sans interférer avec l'Agence Européenne de Défense ou les acteurs nationaux. La dépendance vis à vis des approvisionnements énergétiques russes est un sujet particulièrement sensible dans les pays baltes.
L'OTAN met en exergue l'utilisation efficace de l'énergie par les forces armées et la protection des infrastructures critiques. Aux USA, les forces armées sont le plus gros consommateur de carburant du pays. Tous les pays membres de l'OTAN, sauf les États Unis et le Canada dépendent d'un approvisionnement extérieur.
Evaluation des coûts financiers / humains de la consommation et de l'acheminement des carburants : Afghanistan : les forces de l'OTAN consommaient 4 millions de litres de fuel par jour, chaque litre consommé nécessitait 5 litres pour le transport. Mali : un groupe de 4 camions citernes était protégé par une section d'infanterie, 2 chars AMX 10RC et une équipe d'évacuation sanitaire.
A l'instar d'un think tank, le centre participe à tous les comités d'études et groupes de travail institués par l'OTAN sur les questions pétrolières, sur la protection de l'environnement... Il a aussi développé des partenariats dans tous les secteurs (public privé, civil militaire) et a établi une étroite collaboration avec le Collège européen de défense, avec le secteur industriel et avec des universités.
Les activités du centre, trois directions :
- Etude globale (Vision OTAN 2030) sur l’importance de la sécurité énergétique, études sur l'impact de la fermeture de certaines raffineries en Europe, sur la capacité des pays baltes à venir en soutien des forces, cours en ligne à partir de 2015...
- Protection des infrastructures critiques: réunions de tous les acteurs concernés par la protection du nouveau terminal GNL de Klaipeda, études avec l'Ukraine et les pays du Caucase sur la diversification et la protection des réseaux.
- Efficacité énergétique: expériences, recherches en partenariat avec le Canada sur l'utilisation d'énergie hybride avec la possibilité de stockage et de gestion de l'énergie…
2.3. Riga: CoE chargé de la communication stratégique
Dirigé en 2014/2015 par un ancien ambassadeur letton à Paris, c’est l’un des plus récents CoE. Membres fondateurs : l'Allemagne, l'Estonie, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et le Royaume Uni. Aujourd'hui 20 pays participent à ses activités.
Le CoE de Riga – Site : stratcomcoe.org
Direction : Janis KARKLINS, puis en septembre 2015 Janis SARTS, ancien Secrétaire permanent du Ministère letton de la Défense
Effectifs civils et militaires : 24 personnes fin 2015, puis 27 en 2016
20 pays membres dont Canada, Estonie, Finlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, RFA, Royaume-Uni, USA.
Mission du centre : accroître les capacités de communication au sein de l'OTAN, analyser les forces/faiblesses des différentes parties, les méthodes de communication utilisées dans le déroulement des opérations militaires. ."L'information est plus que jamais aujourd'hui une arme, la communication une force". Le CoE se trouve au carrefour des débats et des expertises impliquant diplomatie, affaires publiques, questions militaires, opérations d’information et de désinformation.
Le système d'information/communication russe est particulièrement analysé et étudié (la Lettonie apporte une contribution significative), mais aussi celui de DAESCH, bien que la région balte ne soit pas directement concernée.
Des séminaires d'entraînement à la communication ont été proposés en août 2014 à des auditeurs ukrainiens. Un rapport a été rédigé sur la campagne de communication russe au sujet de l'Ukraine. Le centre participe également à la préparation de l'exercice "Trident Juncture 2015", qui se déroulera en Espagne, en Italie et au Portugal en septembre (le plus important exercice réalisé par l’OTAN depuis 2002, il impliquera 36000 soldats des 28 pays membres et de 5 nations partenaires).
3. Le Collège baltique de défense (BALTDEFCOL)-Tartu
Créé en 1998, ce collège dépend des ministères de la défense des trois États baltes et a vocation à coopérer avec tous les organismes militaires sur tous les théâtres d'opération. Dès 1999, le premier cursus a été organisé selon la procédure OTAN.
Objectif : apprendre aux futures élites à coopérer sur les questions de défense par l'étude et l'action, donner aux élèves officiers une formation militaire large, ouverte sur tous les aspects de la défense moderne.
La menace russe est au coeur de cette institution qui vise à contribuer à la sécurité et à la défense de la Mer baltique et des États nordiques, mais également de la zone arctique et de l'Europe.
Le BALTDEFCOL de Tartu – Site : baltdefcol.org
Direction : Major Général Vitalijus VAISKNORAS (Lituanie), Colonel Axel PFAFFENROTH (RFA). Tournante tous les 3 ans entre les Etats baltes
Effectifs : 63 personnes dont 33 militaires
17 pays participants dont Danemark, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pologne, RFA, Royaume-Uni, Suède, USA.
En conclusion, Si l'implication des États baltes dans la défense des pays occidentaux et européens est certes directement liée à des intérêts propres, elle les dépasse aussi. La participation active à la réflexion sur des sujets d'actualité particulièrement sensibles et à la mise en oeuvre de stratégies communes vise bien l’intérêt général. La formation internationale basée sur les standards de l'OTAN des officiers des États baltes et ceux des nations alliées ou partenaires, s'inscrit dans une coopération internationale, une stratégie de développement de réseaux qui favorisent les interopérabilités. L’effort important réalisé en termes de communication notamment, entraine une multiplication d’échanges indispensables à une meilleure connaissance et compréhension des cultures.
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[1] Le général d’armée aérienne Jean-Paul Palomeros a été nommé pour 3 ans Commandant suprême allié transformation en 2012.
[2] Les critères de la procédure d’homologation et d’évaluation sont établis par le Comité militaire.
[3] 21 centres sont aujourd’hui déjà homologués, deux sont en phase d’homologation, un en cours de négociation.
[4] Le déplacement du monument érigé en souvenir des combattants de l’armée soviétique décidé par les autorités de Tallinn serait à l’origine de cette cyber-attaque.
[5] Jean-Marie BOCKEL : « La cyber défense : un enjeu mondial, une priorité nationale ». Rapport d’information du Sénat, N° 681. 18 juillet 2012.
11/01/2016