[Groupe K2] L'évolution de la préparation mentale

10/04/2022 - 10 min. de lecture

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Enseignant-chercheur, Michel Verger est à l’origine du premier Diplôme universitaire (DU) préparation mentale en France à l’Université de Clermont-Ferrand. Il accompagne aujourd’hui sportifs de haut niveau et entraîneurs. 

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Comment avez-vous découvert la préparation mentale ?

Lorsque j’étais sportif en natation, je me posais plusieurs questions et personne ne pouvait y répondre. Un jour, lors d’une compétition internationale, je me suis retrouvé avec deux nageurs étrangers qui mesuraient près de deux mètres. Sur le plot de départ, pendant plusieurs secondes, je n’étais pas concentré sur ma course mais plutôt sur la taille de mes concurrents. Ces pensées, qui m’ont abreuvé le cerveau, m’ont psychologiquement sorti de ma course. J’ai fait un très mauvais départ sans parvenir ensuite à refaire mon retard.

Ce sont des expériences comme celle-ci qui m’ont amené à une remise en question et à me dire qu’il fallait travailler d’autres choses que le physique. À partir de ce moment, j’ai souhaité trouver des solutions ou des pistes qui pourraient m’aider à surpasser ces moments de déconcentration ou de stress. 

Par la suite, en devenant entraîneur, j’ai rencontré les mêmes problèmes avec les sportifs que j’encadrais. Certaines réponses à mes questions ont été apportées par des personnes spécialisées en psychologie du sport mais cela restait insuffisant. Puis, en 1981, j’ai eu la chance de travailler avec le Centre national d’entrainement de natation à l’INSEP dont le rôle était de détecter les meilleurs jeunes français. 

J’ai ainsi fait la rencontre de Edgar Thill, Directeur du laboratoire de l’INSEP en psychologie du sport. Les techniques sur lesquelles il travaillait, comme la méditation et les techniques de relaxation, étaient méconnues. Malgré le fait que je n’étais plus sportif de haut niveau, je les ai testées et pu en constater les bienfaits dans ma vie quotidienne et professionnelle lorsque j’étais professeur d’éducation physique. 

Quelques années plus tard, j’ai repris mes études en psychologie avant de réaliser une thèse centrée sur les apprentissages et leurs effets. Depuis 1987, je travaille en préparation mentale avec des sportifs de haut niveau et des entraîneurs.

 

Dans les années 1980, quels sportifs avaient recours à la préparation mentale ?

À ma connaissance, elle était essentiellement utilisée dans des sports à haut risque. J’ai l’exemple d’Alain Prost, en Formule 1, qui avait recourt à différentes techniques de types orientales, notamment la méditation et la respiration. 

En escalade, les sportifs que j’ai rencontrés avaient une préparation mentale basée sur la visualisation. Ils s’imaginaient les différentes options avant de passer la voie.

J’ai aussi travaillé avec des tireurs qui préparaient les Jeux Olympiques de Séoul en 1988. Ils avaient pris l’habitude de noter sur un carnet les sensations ressenties durant leurs tirs. Leur objectif était de comprendre les sensations qui leur permettaient de faire 10 sur 10 : leur posture, leur respiration, leur rythme cardiaque, etc. Au fil des essais, chaque tireur a construit ce qu’ils appelaient la fiche du 10. Lorsque l’un d’eux manquait un tir assez nettement, un 7 par exemple, il s’arrêtait de tirer, posait son arme et se reconcentrait sur les sensations présentes sur sa fiche avant de réengager.

Dans les années 1980, il y avait donc quelques techniques qui étaient très intéressantes et que l’on utilise encore actuellement. 

 

En quoi la préparation est-elle aujourd’hui indispensable aux sportifs ?

La préparation mentale est indispensable parce qu’elle va permettre de maintenir la motivation du sportif à un état minimal pour réussir des performances. Constituée d’un ensemble de techniques destinées à la fois au sportif et au non-sportif, elle est particulièrement efficace dans les situations délicates, difficiles ou à fort enjeu. La crise du Covid-19 en est un exemple parfait mais il peut aussi s’agir de gérer une période de blessure, de maladie ou de compétition. L’idée est de permettre au sportif de gérer toutes les formes émotionnelles, et notamment de stress, qui vont traverser son esprit et son corps durant ces moments. 

 

Comment la préparation mentale a-t-elle évolué ?

Elle a beaucoup évolué à partir du moment où les sportifs ont commencé à évoquer les techniques qui leur ont permis d’accéder à l’excellence et de s’y maintenir. Pendant longtemps, la préparation mentale est restée tabou et personne n’osait en parler. Par la suite, les premiers travaux de recherches ont vu le jour, notamment dans le sport universitaire aux États-Unis durant les années 1980. 

À l’Université de UCLA en Californie par exemple, John Wooden, entraîneur de basketball et préparateur mental, avait détaillé la pyramide de l’excellence dans ses écrits, comprenant des techniques de préparation mentale. Celle-ci faisant partie du programme à suivre par ses joueurs, à la fois dans ses entraînements et en dehors des entraînements. D’autres sports universitaires, comme le golf, ont publié leurs travaux de recherche. 

Les écrits et travaux de recherche sur le sujet en France sont arrivés bien plus tard. Au tournant des années 2000-2010, plusieurs champions français issus de différentes disciplines ont commencé à parler de leur préparation mentale, comme Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë-kayak, le nageur Florent Manaudou ou encore Teddy Riner qui travaille avec sa préparatrice mentale (Meriem Salmi) depuis l’âge de 14 ans. 

En France, on a longtemps confondu préparation mentale et psychologie et ceci a freiné le développement de la discipline. La préparation mentale travaille sur l’optimisation des habiletés mentales sur une échelle de 0 à 5. La psychologie s’intéresse plus aux maladies mentales sur une échelle de 0 à -5. C’est d’ailleurs une difficulté que rencontrent les psychologues qui sont parfois préparateurs mentaux car ce n'est pas tout à fait la même démarche dans les interventions. Les addictions, les soucis liés à des traumas ou des harcèlements restent du domaine du psychologue. La gestion émotionnelle, le stress, la motivation, la confiance en soi et la fixation d’objectifs appartiennent au domaine du préparateur mental. 

 

Existe-t-il encore une forme de méfiance, voire d’opposition, entre entraîneurs et préparateurs mentaux ?

C’est de moins en moins vrai aujourd’hui. Pendant longtemps, les entraîneurs craignaient les préparateurs mentaux, notamment l’influence que ces derniers pouvaient avoir sur les athlètes. La forme de connaissance qu’ils avaient des athlètes, les entraîneurs souvent ne l’avaient pas, parce qu’ils étaient surtout centrés sur le registre technique et tactique, tandis que le préparateur mental axait son travail sur la connaissance de l’athlète et la manière dont il abordait les compétitions sur le plan mental, organisationnel et émotionnel. 

Les entraîneurs ont compris aujourd’hui que les préparateurs mentaux n’allaient pas prendre leur place mais que leur objectif était d’aider les athlètes et qu’il était possible de travailler en coordination. Dans mon quotidien, je travaille avec les athlètes et les entraîneurs. Nous sommes en relation permanente pour comprendre les raisons d’une difficulté ou d’une défaite par exemple. Je prends l’athlète indépendamment, puis je vais voir l’entraîneur qui me donne sa version et j’essaie de voir comment lier les trois. Mais je trouve que les entraîneurs sont en train de modifier leur façon de voir les choses. Dans le club avec lequel je travaille (NB : AS Montferrand Omnisports), nous avons même mis en place une formation en préparation mentale pour les entraîneurs afin de répondre à cette demande croissante. C’est une évolution très positive pour la discipline. 

 

Vous avez créé la première formation en France. Comment cela s’est-il passé ?

Le Diplôme universitaire de Préparation mentale a été créé en 2004-2005 à l’Université de Clermont-Ferrand. C’était la première formation en France (NB : Dijon a aussi créé un diplôme la même année). Depuis, une dizaine d’universités délivrent des diplômes dans le domaine. 

À l’époque, je travaillais à la fois en tant qu’enseignant à l’université et en tant que préparateur mental indépendant. Je constatais qu’il y avait de plus en plus de demandes de la part des entraîneurs. Le but du diplôme, à ses débuts, était de l’inclure dans le cadre de la formation continue à l’université, de sorte que l’on puisse accueillir des professionnels de l’entraînement pour leur permettre d’avoir un apport de connaissances et de pratiques sur le plan mental. 

Au vu de la demande croissante, nous avons rapidement augmenté le nombre de places et ouvert à la formation initiale pour accueillir des étudiants, en plus des professionnels. Depuis 2012, nous avons digitalisé en grande partie nos formations. Ce format était mieux adapté aux entraîneurs qui rencontraient des difficultés à concilier la formation avec les entraînements et les stages. Nous gardons toutefois une partie pratique en présentiel. 

 

Il existe désormais de nombreuses formations pour devenir préparateur mental. Quel regard portez-vous sur cette évolution ? 

Il est vrai qu’un problème se pose sur le cadre juridique du métier de préparateur mental et des formations qui permettent d’y accéder. Tout le monde peut se déclarer préparateur mental et c’est la même chose au niveau des formations. Les formations de types universitaires sont agréées par l’université et n’ont pas la possibilité d’être certifiées au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP). 

De plus en plus de formations existent et les formats varient beaucoup. Il existe par exemple des formations en 30h, qui vont donner un diplôme et qui, parce que ce ne sont pas des diplômes universitaires, ont pu être certifiées au RNCP, ce qui me semble un peu léger parce qu’on ne suit pas tout à fait le même programme lors d’une formation en 30h d’enseignement ou en 200h comme le DU de Clermont-Ferrand. 

Néanmoins, on observe que certains pratiquants ayant suivi ces formations "light" s’inscrivent ensuite au DU. La première formation ayant été pour eux une sensibilisation, ils se tournent ensuite vers le DU pour approfondir leurs connaissances et pratiques. C’est aux gens de voir ce qui leur paraît le plus intéressant et le plus pratique aussi. 

 

Comment se positionnent les formations françaises par rapport à leurs homologues étrangers ?

On constate un important décalage entre la France et les pays anglo-saxons. Chez nous, il n’existe que des diplômes universitaires. En Angleterre, aux États-Unis ou en Australie, il y a des formations universitaires comprenant un double cursus en psychologie et en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Leurs formations durent 5 ans et sont de très haute qualité par rapport à nos diplômes. Un gros volume de travail est consacré à la recherche, que ce soit par l’intermédiaire de lectures ou de la pratique dans la recherche, puis progressivement, ils vont transposer sur le terrain. 

En France, nous sommes en retard sur l’approfondissement du travail de recherche. Nous n’arrivons malheureusement pas à mettre en place, au niveau des STAPS, des formations de préparateur mental sur plusieurs années, de type Master, qui donnerait pourtant naissance à un diplôme certifié au RNCP. 

 

Aujourd’hui, tout le monde peut se déclarer préparateur mental. Peut-on imaginer une structuration juridique de la profession ? 

La Société Française de Psychologie du Sport (SFPF) travaille sur ce sujet depuis plusieurs années mais rencontre une certaine opposition. Certains professionnels ont des diplômes qui ne sont pas reconnus mais travaillent depuis des années en tant que préparateurs mentaux et avec des résultats, ce qui crée une difficulté. Toutefois, je pense qu’il faudra y arriver un jour. 

 

Quelle est l’importance de la connaissance de soi en préparation mentale ? 

La préparation mentale n’est pas qu’une boîte à outils. C’est aussi apprendre à l’athlète ou à l’entraîneur à mieux se connaître, à mieux se comprendre. Pour résoudre un problème, on ne peut s'y prendre comme avec une voiture qui aurait une panne. L’humain est autrement plus complexe. Pour trouver l’outil chez l’humain, il faut d’abord qu’il se connaisse. 

Il existe des techniques d’entretien d’explicitation qui permettent à l’athlète de retourner dans un moment de sa mémoire, par exemple une belle performance et d’essayer de travailler sur tout ce qu’il a ressenti à ce moment-là. Que s’est-il passé dans sa tête ? Quels choix a-t-il faits ? Quelle stratégie a-t-il adoptée ? Et quels sont les ressentis qui l’ont envahi à ce moment-là ? 

Et, à partir de ce qu’il va nous dire, on va ensemble soit choisir un outil que l’on a à notre disposition, soit construire un outil avec lui, adapté à sa situation, en s’appuyant sur plusieurs outils existants. 

La préparation mentale va petit à petit plus travailler sur la connaissance de l’individu par lui-même pour que celui-ci, de manière autonome, se familiarise avec les techniques, puis les essaie et en comprenne les effets afin de les utiliser. 

 

Quelles évolutions peut-on attendre de la préparation mentale ?

Les neurosciences sont en train de se développer de manière importante. Les technologies utilisées (scanner, IRM, etc.) permettent de mieux connaître le fonctionnement cérébral, et le lien entre le cérébral et le musculaire. 

Je pense que nous avons ainsi de nouvelles recherches qui vont faire avancer la connaissance et le travail en préparation mentale. 

Un exemple : récemment, j'ai reçu un mémoire canadien sur l'utilisation de la musique dans le cadre de la préparation mentale. On voit que l'utilisation de différents types de musique pour se préparer va mobiliser différentes zones du cerveau. On peut ainsi en déduire les énergies que le cerveau est capable de transférer en termes endocrinien. 

D'un autre côté, nous connaissons déjà ces choses-là. La méthode Coué, par exemple, qui consiste à répéter quelque chose de positif et qui faisait rire tout le monde. Il y a une quinzaine d'années, Amy Cuddy, chercheuse à Harvard, a mis en évidence la naïveté cérébrale, c'est-à-dire que lorsqu'on se répète des choses positives, le cerveau croit que l'on est positif et va ainsi sécréter des hormones de types positives. 

Finalement, les recherches en neuroscience vont pouvoir rendre crédibles des croyances de travaux effectués il y a plusieurs décennies. Mais elles vont aussi faire avancer sur tout ce que le cerveau est capable de faire dans des moments et pas uniquement au niveau sportif.

Michel Verger

 

Cet entretien s'inscrit dans le cadre des échanges menés par le Groupe K2 "préparation mentale pour tous" composé de :

Cristina Piccin est préparatrice mentale et sportive de Haut Niveau; Sylvain Callejon est Responsable de la Communication et du Marketing chez Allyteams ; Fanny Renou avocate et co-fondatrice de Allyteams; Charlotte Lapicque Secrétaire générale du Cercle K2; Reynald Lemaitre Conseiller en gestion de patrimoine chez Capfinances & Ancien footballeur professionnel ; Benjamin Nivet ancien footballeur professionnel ; Marilise Miquel Directrice des Opérations du Cercle K2 ; Christophe Massina  Responsable de l'Equipe de France féminine de Judo ; Edith Perreaut-Pierre Directrice associée de Coévolution ; Michel Verger Enseignant-chercheur et Préparateur mental ; Fabien Siguier Vice-Président Exécutif Ressources Humaines et Transformation au sein du Groupe Adisseo; Ronny Turiaf Ancien joueur professionnel de basket-ball. Champion de NBA avec le Heat de Miami

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